JEUDI 1er juillet
Al Jarreau aurait pu faire une
extraordinaire carrière de chanteur de jazz. Il a préféré plaire à un public plus large, faire certaines concessions commerciales. Il s’efforce toutefois de satisfaire tout le monde lors de ses
concerts et dose très habilement son répertoire pour un public européen exigeant. L’Olympia l’accueillait un premier jour de juillet caniculaire. Portant béret, mince, la peau parcheminé comme
celle d’un vieil indien, le regard pétillant de malice, il arpente la scène avec quelque difficulté, mais nous fait vite oublier les soixante-dix ans qu’il porte depuis le 12 mars dès qu’il commence à chanter. Si sa voix s’est un peu tassée
dans l’aigu, il conserve une large tessiture qui lui permet des sauts de registre impressionnant surtout dans les graves. Il possède aussi une grande maîtrise du scat, ses onomatopées rythmiques
ressemblant souvent à de véritables percussions vocales. Al bien sûr n’est pas seul et certains musiciens qui l’entourent travaillent avec lui depuis longtemps. Aux claviers et aux saxophones
(ténor et soprano) qu’il utilise peu, Joe Turano « a old friend from Milwaukee » fait office de directeur musical de la formation et indique à ses collègues le nombre
de mesures qu’ils leur restent à jouer. Bien que discret, le pianiste, Larry Williams a la charge du piano et occasionnellement joue de la flûte. On lui doit une grande partie
des arrangements d’“Accentuate the Positive“, album de 2004 largement constitué de standards dans lequel Mark Simmons
tient parfois la batterie. Ce dernier fait partie de la
tournée et possède une frappe lourde, puissante qui convient bien aux morceaux les plus funky du répertoire. Les deux hommes qui l’encadrent tiennent une place importante. Chris
Walker assure fort à la basse électrique et ses harmoniques ont beaucoup de justesse. Originaire comme lui de Houston, le guitariste John Calderon a longtemps travaillé
avec le pianiste Bobby Lyle. Il joue parfois en picking, égraine de jolies notes mélodiques qu’il mêle de temps à autre à des espagnolades. Tous deux assurent les chœurs derrière
Jarreau lorsque les morceaux interprétés nécessitent leur présence, pas très souvent à vrai dire. Al
possède une voix qui se suffit à elle-même. Il chante You Don’t See Me, reprend We Got Bye, ses grands morceaux
des années 70 dont le plus fameux reste Take Five qu’il introduit par une longue improvisation vocale. Imitation de nombreux instruments de percussion, le chant devient ainsi tambour,
cuica et contrebasse par des effets de bouche. Al Jarreau dialogue ainsi rythmiquement avec son batteur avant de placer toute son âme dans ses cordes vocales pour une superbe
version de She’s Leaving Home, le tube Mornin’ (qui n’est pas sa meilleure chanson) concluant la première partie du concert.
Le show se poursuit après l’entracte. Al a reposé sa voix. Il s’est rendu
dans la journée aux obsèques de Francis Dreyfus au Père Lachaise, et pour lui rendre hommage entonne un émouvant Summertime. Puis ce sont Better Than Anything
et Aguas de Beber, une composition d’Antonio Carlos Jobim, subtilement
rythmé par une voix en or. Al invite le public et ses musiciens à la chanter avec lui. Beaucoup d’humour aussi
dans ce spectacle fort bien réglé. Jarreau montre l’exemple et au cours de Take Five, fait semblant d’attraper et de gober une mouche, ce qui ne manque pas d’amuser une salle
enthousiaste qui lui est entièrement acquise. Paris lui donne des ailes sous nos applaudissements.
Photos © Pierre de
Chocqueuse