Terri Lyne CARRINGTON :
“Money Jungle : Provocative in Blue” (Concord)
Hommage décalé au “Money Jungle” de Duke Ellington, ce
nouvel album d’une des trop rares batteuses de jazz, est pour le moins une réussite. Le Duke enregistra son disque pour United Artists avec Charles
Mingus et Max Roach en 1962. Il contenait sept morceaux. Six autres dont deux alternates apparurent lors d’une réédition en 1987. Loin de les reprendre fidèlement, Terri Lyne
Carrington les transforme et les réinvente. Prétexte à la lecture d’un texte d’Ellington, Rem Blues est méconnaissable. Le nouvel
arrangement de Backward Country Boy Blues le place à des années lumières de l’original. Lizz
Wright y assure des vocalises. Le morceau gagne en épaisseur tout en conservant son aspect blues. Bien que Gerald Clayton ne joue
pas le même piano qu’Ellington, on reconnaît bien Very Special et Wig Wise deux des thèmes du “Money
Jungle” original. Clayton ne se prive pas de faire danser ses notes. Ancrées dans la tradition, ses riches improvisations s’accompagnent d’un saupoudrage de funk, s’ouvrent à d’autres influences
que celles du jazz. No Boxes (Nor Words), un thème bop de la batteuse, atteste de l’étendu de son riche vocabulaire pianistique et Cut off, une ballade proche de Solitude, révèle un jeu aussi élégant qu’inspiré. La virtuosité de Christian McBride, le bassiste de la séance, ne l’empêche nullement de donner une solide assise rythmique à la musique. Si cette dernière privilégie le
trio, les arrangements très soignés de l’album font parfois appel à d’autres instruments. Introduit en solo par McBride, Switch Blade, un blues,
accueille progressivement le trombone de Robin Eubanks et la flûte d’Antonio Hart. Le
vétéran Clark Terry fait entendre sa trompette et un scat marmonné de son invention dans un arrangement très réussi de Fleurette Africain(e). Omniprésente, Terri Lyne Carrington n’en fait pourtant jamais trop. Elle se
réserve A Little Max pour dialoguer avec les percussions d’Arturo Stable, mais parvient
surtout à ré-habiller ces morceaux sans les trahir, à nous en offrir une relecture provocante.