MERCREDI 20 janvier
« Mon professeur de français me haïssait. J’ai étudié votre langue pendant trois ans
avant de prendre du recul avec elle. » Décontracté, Eli Degibri plaisante facilement avec le public du Sunside. Au regard des pochettes de ses disques,
je le voyais plus grand. Je ne suis pas le premier à le lui dire et lui-même ne sait pas trop pourquoi. Il accepte volontiers que je le prenne en photo avec Aaron Goldberg, son pianiste.
Eli est un saxophoniste ténor puissant et expressif qui sait mettre une bonne dose de tendresse dans les ballades qu’il interprète au soprano. Il a enregistré trois albums et son jazz moderne aux
compositions soignées interpelle. Né en Israël, il vit aux Etats-Unis depuis 1997. Un an d’études au Berklee College of Music de Boston, puis le programme du Thelonious Monk Institute of
Jazz Performance qu’il suit au New England Conservatory of Music de la même ville le mettent sur la sellette. Il joue pendant trois ans avec Herbie Hancock puis intègre le groupe du batteur Al Foster. Au Sunside, ses amis musiciens l’accompagnent. Ben Street
indisponible, Thomas Bramerie le remplace sans difficulté à la contrebasse. Son
solide métier lui
permet de se sentir parfaitement à l’aise dans des contextes musicaux très variés. Les autres membres du quartette qui l’entoure connaissent ses compositions. A la batterie, Jonathan
Blake impose la singularité d’une polyrythmie foisonnante. Eli joue souvent avec Aaron Goldberg qui
développe avec autorité et savoir-faire les thèmes qui lui sont confiés : Pum-Pum, In the Beginning qui est aussi le titre de l’un
des albums d’Eli, mais aussi Sue, un morceau fiévreux et énergique et Jealous Eyes, une ballade
récente dans laquelle Aaron développe des voicings inventifs et fluides.
LUNDI 25 janvier
Marc Copland au Sunside, en duo avec
Riccardo Del Fra dont la belle contrebasse accompagne souvent de grands musiciens. Marc est l’un d’entre eux, non pour sa virtuosité tapageuse (les
cascades de notes perlées à la Oscar Peterson ne sont pas indispensables à son univers musical poétique), mais pour l’approche différente du piano
qu’il propose, Marc se souciant davantage de la sonorité qu’il peut tirer de l’instrument que de l’habileté avec laquelle il peut en jouer. Celui du Sunside n’est pas idéal pour un pianiste qui
attache une si grande importance à la couleur et à la dynamique de ses notes, mais Copland s’en accommode. Son fameux jeu de pédales modifie leurs résonances et change le son de l’instrument. Au
cours du premier morceau interprété, il trouve les nuances qu’il recherche et parvient à jouer sa musique, un piano aux harmonies brumeuses et oniriques. Avec Riccardo, une vraie conversation
peut alors s’installer. Rencontre oblige, contrebasse et piano dialoguent et inventent, le plus souvent sur des standards. Les notes scintillent, tintinnabulent. La palette sonore s’enrichit de
nouveaux timbres, s’ouvre à d’inépuisables variations harmoniques, les ostinato de piano laissant du champ libre à une contrebasse désireuse de chanter. In a Sentimental Mood
bénéficie de nouvelles harmonies qui transforment le thème. On Your Own Sweet Way de Dave Brubeck se voit jouer de manière très
personnelle, de même que Round Midnight au sein duquel la contrebasse esquisse un léger rythme de samba. Couplé avec I’m a Fool to Want
You, Someday My Prince Will Come fut un autre grand moment de la soirée, confiée à deux complices en
parfaite osmose, la musique acquérant une profondeur et une sensibilité peu communes.
JEUDI 28 janvier
Avec Jean-Loup Longnon vous êtes toujours sûr de passer une excellente soirée. Le trompettiste, arrangeur, compositeur avait
envahi le Sunset à la tête d’un rutilant big band. Imaginez dans une cave de taille moyenne une formation de dix-sept musiciens portant le swing à ébullition. Bien que surchargée
d’harmonies savantes, la musique n’est jamais difficile à suivre. Attaché à la tradition du jazz et à son courant mainstream, Jean-Loup Longnon place au premier plan la mobilité des
instruments au sein d’arrangements fluides et linéaires qui favorisent le swing et la mélodie. Plutôt que chercher à innover, Jean-Loup privilégie la clarté et la respiration de la masse
orchestrale. Trompettes, trombones,
anches, les sections sont des voix bien distinctes qui croisent et mêlent leurs lignes mélodiques chantantes, constituent de subtils alliages de timbres et de couleurs et mettent les solistes en
valeur. Pierre Guicquero nous offre ainsi un solo de trombone mémorable dans Two notes blues. Ludovic Alainmat fait merveille au piano dans Stephanie’s dream et
invité à se joindre à l’orchestre Louis Mazetier plonge un court moment la musique dans le stride. Au sein de ce jubilatoire maelström sonore que co-dirige le batteur Frederic
Delestré (photo de droite), Jean-Loup Longnon en est l’acteur le plus brillant. Tout en maintenant une grande tension entre ses notes, le trompettiste contrôle parfaitement l’aigu de son
instrument. L’articulation est parfaite et la phrase, aérée par des notes tenues,
constamment fluide. Pas besoin de micro pour l’imposant personnage. Sa voix puissante et grave porte loin. Il chante le célèbre On est pas là pour
se faire engueuler, morceau dans lequel il s’offre un scat éblouissant, véritable histoire contée avec force onomatopées. Il plaisante aussi avec un très nombreux public tassé comme
sardines en boîte et présente avec humour chaque pièce qu’il interprète. Toutes proviennent de son nouvel album dont il conseille vivement l’achat. Intitulé “Encore du Bop“ et disponible sur
www.integralmusic.fr , il contient des compositions originales mais aussi des arrangements très réussis de Que
reste t’il de nos amours ? , L’important
c’est la rose et une version afro-cubaine inattendue du fameux Curé de Camaret, pièce qui hérite de beaucoup de soleil. Comme le dit si bien Jean-Loup dans une interview accordée récemment à Jazz
Magazine/Jazzman : « le curé de Camaret se décide enfin à aller à la plage ». Avec ses riffs de cuivres, ses tutti de trompettes, ses jolies lignes de saxophones à la Four
Brothers, l’orchestre balance une musique festive qui se déguste avec gourmandise en concert.Photos © Pierre de Chocqueuse
VENDREDI 8 janvier
de
Dans le discours qu’il prononça, ce dernier rendit hommage à « l’un des plus grands contrebassistes de l’histoire
du
d’entendre de vive voix ce conteur passionné me parler de la phrase assassine de

DIMANCHE 17 janv
de belles
reprises de Charade, Days of Wine and Roses et Moon River. Susanna chante aussi Skylark, Les Feuilles mortes et La Mer de Charles
Trenet. Sa voix chaude et traînante au léger vibrato évoque parfois Marlène Dietrich
Jazz, le très attendu Prix Django Reinhardt
(les lauréats en sont tellement fiers qu’il apparaît toujours en bonne place dans leur C.V.) récompensa le saxophoniste
R





LUNDI 16 novembre
musique enthousiasmante qui fait appel à l’imaginaire du spectateur. J’en découvre une nouvelle adaptation pour trois
instruments.
LUNDI 23 novembre
LUNDI 30 novembre
-“Analyser le jazz“
jazz sous l’Occupation)
(Les collages du trompettiste, carnets enrichis de lettres, photos et documents d’archives)
Hors compétition, deux livres en
anglais :
JEUDI 29 octobre
souffler à
pleins poumons un torrent de notes festives et colorées. Rollins a lancé un thème riff dont il suit et ornemente la ligne mélodique.
basse électrique ajoute de l’épaisseur à la musique) et Rollins attaque un morceau rapide dans lequel s’instaure une longue conversation avec son tromboniste. Une
magnifique version de Over the Rainbow
JEUDI 5 novembre
pièce dédiée à Krisnamurti
LUNDI 9 novembre
accompagne, envoûte par un ostinato hypnotique. La rythmique encadre avec fluidité
et souplesse, peut doubler brusquement un tempo, jouer ternaire ou déployer une entière liberté métrique. La solide contrebasse de
MARDI 10 novembre
dispose d’un excellent pianiste, Ivan Gonzalez Lewis pour jouer des
voicings aux harmonies colorées et parfois dissonantes et d’une solide section rythmique. Aux congas, Yusnier Sanchez Bustamente fait merveille. A la batterie, Georvis
Pico Milian assure brillamment le tempo. A la contrebasse, Reinier Elizarde étonne par la richesse de ses lignes mélodiques. Très directif, Murray ne parvient pas toujours à éviter les
ensembles de flotter. Ses musiciens n’ont guère eu le temps de répéter les morceaux et leur jeu collectif manque parfois de précision. Ils jouent toutefois avec beaucoup de cœur une musique festive
et généreuse. David Murray véhicule toute l’histoire du jazz dans son saxophone. Que ce soit au ténor
ou à la clarinette basse, il attaque ses notes avec véhémence et utilise tout le registre de ses instruments. Il peut gronder comme l’orage ou souffler du miel,
jouer des phrases chaudes et sensuelles qui s’enroulent autour des mélodies ou éructer des dissonances. Musicien complet, il nous offre en quartette une superbe version de No Me Platiques,
l’orchestre terminant sa prestation sur le très beau Aqui Se Habla en Amor. Un rappel : Quizas, Quizas, Quizas
JEUDI 15 octobre
égale puissance. Imperturbable et le blues dans les doigts, Lightsey trempe la musique dans un grand bain de swing
H
MARDI 20 octobre
d'installer un tissu rythmique très dense.
D
A
MERCREDI 14 octobre
opéra en allemand, acte idéologique fort car, en choisissant cette langue, il le
destinait à un public bourgeois ou populaire. Interprétée par des artistes d’une autre culture cette “Flûte enchantée“ (“Impempe Yomlingo“) chantée en anglais, en xhosa et dans d’autres dialectes
africains, s’adresse également à un public plus large que celui de l’opéra traditionnel. La musique de
choisie pour ses similitudes avec les
rites d’initiations de sa propre culture - épreuves de purification par l’eau et le feu - , et certains contes sud-africains. Dans l’un d’entre eux, un conte tsonga, un être courageux doit
entreprendre l’ascension d’une montagne et y jouer de la flûte afin d’empêcher les oiseaux ndlati
JEUDI 24 septembre
Everett Quartet
de se laisser déborder, il assure un piano funky, joue des rythmes que n’aurait pas désavoué
Daniel Humair
romantiques. Daniel accueillit son
Elise Caron et Lucas Gillet au Triton. Bien que d’accès facile en métro, Les Lilas n’est pas tout près du Paris d’où je viens, mais pour Elise,
on traverserait la Manche à la nage. J’avais très envie d’entendre live “A Thin Sea of Flesh“, magnifique recueil de poèmes de Dylan Thomas mis en musique par Lucas Gillet.
Publié au printemps dernier, l’album distille un charme irrésistible. Sur la scène du Triton, les couleurs superbes de l’album furent parfaitement restituées par Elise, Lucas (au piano et aux
synthétiseurs) et cinq autres musiciens (David Aubaile, claviers et flûte ; Fernando Rodriguez, guitare ; Jean Gillet, basse électrique ; Pascal Riou,
batterie ; Thomas Ostrowiecki, batterie), Phil Reptile à la guitare rejoignant le groupe à la fin du concert. Cette “mise en mélodie“ commence par un long prélude instrumental
installant une ambiance, la musique bénéficiant d’arrangements étudiés. In the Beginning : percussions et batterie installent un rythme qui prend chair avec la voix qui chante et
déclame une poésie très musicale. Les morceaux exigent une grande précision tant instrumentale que vocale et font beaucoup penser à la
pop anglaise des années 70. On entend Henry Cow, John Greaves,
Caravan, National Health, mais aussi Genesis (The Tombstone Told When She Died) dans les orchestrations colorées de Lucas Gillet, étranges comptines aux textes
obscures et hermétiques. Elise envoûte par une voix chaude et sensuelle. Sa tessiture lui permet de chanter sur plusieurs octaves, d’exprimer une large palette d’émotions. Elle peut aussi chanter
du jazz et ceux qui la découvriront dans "Un soir au Club", un film de Jean Achache dont elle est l'actrice principale (sortie le 18 novembre) risquent d’être surpris par le phrasé qu’elle
adopte et maîtrise. Sa voix répond à la flûte de David Aubaile dans The Force that Through the Green Fuse, et au piano de Lucas Gillet dans le très beau The Hunchback in
the Park, un souvenir d’enfance de Dylan Thomas. Deux pièces sont particulièrement réussies : Paper and Sticks, seul texte réaliste de Thomas qui, de ce fait, voulait
l’exclure de ses œuvres complètes, et And Death Shall Have No Dominion (le morceau préféré d’Elise). Introduit par un hang, sphère de métal sonnant comme un steeldrum, les instruments
entrent progressivement habiller un thème magnifique. Les accords rêveurs d’une guitare enveloppent délicatement une voix très pure qui fait battre le cœur.
MARDI 22 septembre
sortir en France. La musique qu’il contient n’est guère éloignée de celle qu’il nous
fit entendre au Sunside. A la basse électrique, Selcuk Karaman n’a certes pas l’étoffe de Vitous, mais l’énergie que dégage le trio est pour le moins impressionnante. Aydin Esen
enthousiasma par ses voicings de rêve. La main gauche ne quitte guère le clavier du piano et fait entendre un ostinato envoûtant, la droite virevolte et joue divers synthés qui donne des
couleurs à la musique. Possédant un toucher extrêmement fin, il contrôle parfaitement l’attaque et la résonance de ses notes. Ses harmonies délicates enrichissent un jeu souvent rythmique que
drive avec bonheur Volkan Oktem à la batterie.
Jazz à la Villette : Jacky Terrasson et Hank Jones en solo interpellent. Le concert que le premier donna à Marciac cet été avec son nouveau
trio, deux jeunes musiciens qui portent le même nom mais ne sont pas de la même famille (Ben Williams à la contrebasse et Jamire Williams à la batterie) fut stupéfiant. A la
Villette, face à face avec lui-même, il se contenta d’être bon. Possédant expérience, énergie et technique, le pianiste ne peut donner un mauvais concert, et passés les laborieux premiers
morceaux, nous eûmes droit à d’excellents moments, Jacky retrouvant son piano, son jeu très physique, pour un magnifique calypso, un blues plein de notes bleues, une ballade mémorable. Dans sa
loge, il me confia n’avoir pas aimé le Steinway au touché très dur de la Villette. L’instrument n’a nullement dérangé Hank Jones, 91 ans, mémoire vivante de l’histoire du jazz. L’aîné des
frères Jones joue un piano en voie de disparition. A lui seul, son jeu est une synthèse d’Art Tatum et de Fats Waller, ses premiers modèles, mais aussi de Teddy Wilson,
Earl Hines, Nat « King » Cole et Bud Powell. Hank ne joue pourtant pas de bop, même lorsqu’il reprend Thelonious Monk et Wes Montgomery. Son piano
allège et condense les styles de ces pianistes. Un sens harmonique de l’accord le conduit à un jeu linéaire et transparent, sobre et parcimonieux. Contrairement à Jacky Terrasson, il
économise ses gestes. Ses mains seules trahissent le mouvement. S’il éprouve une
certaine difficulté à se déplacer, il est en pleine possession de ses moyens derrière son piano. Il s’accorde toutefois une courte pause entre chaque morceau, récupère en prenant le temps
de citer le titre du standard qu’il va jouer. Ceux qu’il reprend ont pour nom Bluesette
MERCREDI 16 septembre
contrebasse ronde et boisée de Larry Grenadier peut très bien se suffire à lui-même, fonctionner de manière autonome. Véloce, Grenadier détache ses notes
avec puissance et autorité. Sa contrebasse parle, chante, danse, commente, ancre la musique dans le groove. L’homme peut assurer une simple pédale ou tenir un langage d’une grande richesse
mélodique. Sky & Country, Lady B, Super Sister et une version étonnante de Mad About the Boy, ballade écrite par Noël Coward, occupent l’espace du
premier set. Les musiciens concentrés s‘écoutent en permanence et multiplient les échanges, véritables sauts dans l’inconnu qu’autorise une parfaite connaissance de l’harmonie. La musique
riche et profonde d’un groupe novateur.