Cela faisait un moment que Terence Blanchard n’avait pas sorti un album digne de lui.
“Bounce“, son dernier opus intéressant date de 2003. Lionel Loueke est déjà le guitariste d’une formation aujourd’hui renouvelée, une sacrée équipe avec le jeune et prometteur
Walter Smith III au saxophone ténor et un pianiste pas manchot du tout, Fabian Almazan. Le trompettiste semble avoir pris conscience de la musique un peu mièvre
de ses derniers albums. Son requiem pour Katrina (“A Tale of God’s will“) avec orchestre symphonique souffre d’une écriture par trop académique. Blanchard revient donc à des arrangements plus
adaptés à ses moyens, laisse le soin à ses musiciens de fournir une grande partie du matériel thématique, lui-même ne signant que trois morceaux. Byus, une composition de Walter
Smith III qui ouvre l’album, fait entendre une musique plus musclée, hard bop modernisé par la guitare de Loueke. Autre nouveauté, la place importante accordée à la voix. Agencé
comme une suite, “Choices“ accueille Bilal que les amateurs de nu-soul connaissent bien. Les jazzmen l’ont découvert dans “Mood“ un album du pianiste Robert
Glasper enregistré en 2002. Il pose sa voix sur D’S Choice, Winding Roads et Touched By An Angel et chante dans Journey et When Will You
Call, l’album s’ouvrant ainsi aux couleurs de la soul. Le trompettiste aurait par contre pu se garder d’inviter le Dr. Cornel West, activiste écrivain philosophe aux
discours pontifiants et moralisateurs. Ses récitations de textes cassent un peu le flux musical lorsqu’elles ne sont pas habillées par la musique. Cela mis à part, ce disque regorge de bonne
musique. Terence Blanchard conserve Derrick Hodge son contrebassiste et Kendrick Scott son batteur. Derrière cette section rythmique, trompette,
saxophone, piano et guitare entrecroisent avec fluidité de savantes lignes mélodiques. Les instrumentaux très réussis restent ouverts à l’imagination des solistes. Terence
Blanchard et Lionel Loueke prennent des chorus particulièrement brillants dans Him or Me. Fabian Almazan montre sa sensibilité dans Hacia
Del Aire et Touched By An Angel. Magnifiquement arrangé, Winding Roads met en valeur les qualités d’improvisateur de Walter Smith III. Le morceau est de
Derrick Hodge qui signe aussi A New World, probablement la pièce la plus funky d’un CD au minutage et à la musique généreuse que l’on aurait tort
d’ignorer.
JEUDI 24 septembre
Everett Quartet
de se laisser déborder, il assure un piano funky, joue des rythmes que n’aurait pas désavoué
Daniel Humair
romantiques. Daniel accueillit son
Elise Caron et Lucas Gillet au Triton. Bien que d’accès facile en métro, Les Lilas n’est pas tout près du Paris d’où je viens, mais pour Elise,
on traverserait la Manche à la nage. J’avais très envie d’entendre live “A Thin Sea of Flesh“, magnifique recueil de poèmes de Dylan Thomas mis en musique par Lucas Gillet.
Publié au printemps dernier, l’album distille un charme irrésistible. Sur la scène du Triton, les couleurs superbes de l’album furent parfaitement restituées par Elise, Lucas (au piano et aux
synthétiseurs) et cinq autres musiciens (David Aubaile, claviers et flûte ; Fernando Rodriguez, guitare ; Jean Gillet, basse électrique ; Pascal Riou,
batterie ; Thomas Ostrowiecki, batterie), Phil Reptile à la guitare rejoignant le groupe à la fin du concert. Cette “mise en mélodie“ commence par un long prélude instrumental
installant une ambiance, la musique bénéficiant d’arrangements étudiés. In the Beginning : percussions et batterie installent un rythme qui prend chair avec la voix qui chante et
déclame une poésie très musicale. Les morceaux exigent une grande précision tant instrumentale que vocale et font beaucoup penser à la
pop anglaise des années 70. On entend Henry Cow, John Greaves,
Caravan, National Health, mais aussi Genesis (The Tombstone Told When She Died) dans les orchestrations colorées de Lucas Gillet, étranges comptines aux textes
obscures et hermétiques. Elise envoûte par une voix chaude et sensuelle. Sa tessiture lui permet de chanter sur plusieurs octaves, d’exprimer une large palette d’émotions. Elle peut aussi chanter
du jazz et ceux qui la découvriront dans "Un soir au Club", un film de Jean Achache dont elle est l'actrice principale (sortie le 18 novembre) risquent d’être surpris par le phrasé qu’elle
adopte et maîtrise. Sa voix répond à la flûte de David Aubaile dans The Force that Through the Green Fuse, et au piano de Lucas Gillet dans le très beau The Hunchback in
the Park, un souvenir d’enfance de Dylan Thomas. Deux pièces sont particulièrement réussies : Paper and Sticks, seul texte réaliste de Thomas qui, de ce fait, voulait
l’exclure de ses œuvres complètes, et And Death Shall Have No Dominion (le morceau préféré d’Elise). Introduit par un hang, sphère de métal sonnant comme un steeldrum, les instruments
entrent progressivement habiller un thème magnifique. Les accords rêveurs d’une guitare enveloppent délicatement une voix très pure qui fait battre le cœur.

O
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MARDI 22 septembre
sortir en France. La musique qu’il contient n’est guère éloignée de celle qu’il nous
fit entendre au Sunside. A la basse électrique, Selcuk Karaman n’a certes pas l’étoffe de Vitous, mais l’énergie que dégage le trio est pour le moins impressionnante. Aydin Esen
enthousiasma par ses voicings de rêve. La main gauche ne quitte guère le clavier du piano et fait entendre un ostinato envoûtant, la droite virevolte et joue divers synthés qui donne des
couleurs à la musique. Possédant un toucher extrêmement fin, il contrôle parfaitement l’attaque et la résonance de ses notes. Ses harmonies délicates enrichissent un jeu souvent rythmique que
drive avec bonheur Volkan Oktem à la batterie.

Jazz à la Villette : Jacky Terrasson et Hank Jones en solo interpellent. Le concert que le premier donna à Marciac cet été avec son nouveau
trio, deux jeunes musiciens qui portent le même nom mais ne sont pas de la même famille (Ben Williams à la contrebasse et Jamire Williams à la batterie) fut stupéfiant. A la
Villette, face à face avec lui-même, il se contenta d’être bon. Possédant expérience, énergie et technique, le pianiste ne peut donner un mauvais concert, et passés les laborieux premiers
morceaux, nous eûmes droit à d’excellents moments, Jacky retrouvant son piano, son jeu très physique, pour un magnifique calypso, un blues plein de notes bleues, une ballade mémorable. Dans sa
loge, il me confia n’avoir pas aimé le Steinway au touché très dur de la Villette. L’instrument n’a nullement dérangé Hank Jones, 91 ans, mémoire vivante de l’histoire du jazz. L’aîné des
frères Jones joue un piano en voie de disparition. A lui seul, son jeu est une synthèse d’Art Tatum et de Fats Waller, ses premiers modèles, mais aussi de Teddy Wilson,
Earl Hines, Nat « King » Cole et Bud Powell. Hank ne joue pourtant pas de bop, même lorsqu’il reprend Thelonious Monk et Wes Montgomery. Son piano
allège et condense les styles de ces pianistes. Un sens harmonique de l’accord le conduit à un jeu linéaire et transparent, sobre et parcimonieux. Contrairement à Jacky Terrasson, il
économise ses gestes. Ses mains seules trahissent le mouvement. S’il éprouve une
certaine difficulté à se déplacer, il est en pleine possession de ses moyens derrière son piano. Il s’accorde toutefois une courte pause entre chaque morceau, récupère en prenant le temps
de citer le titre du standard qu’il va jouer. Ceux qu’il reprend ont pour nom Bluesette
MERCREDI 16 septembre
contrebasse ronde et boisée de Larry Grenadier peut très bien se suffire à lui-même, fonctionner de manière autonome. Véloce, Grenadier détache ses notes
avec puissance et autorité. Sa contrebasse parle, chante, danse, commente, ancre la musique dans le groove. L’homme peut assurer une simple pédale ou tenir un langage d’une grande richesse
mélodique. Sky & Country, Lady B, Super Sister et une version étonnante de Mad About the Boy, ballade écrite par Noël Coward, occupent l’espace du
premier set. Les musiciens concentrés s‘écoutent en permanence et multiplient les échanges, véritables sauts dans l’inconnu qu’autorise une parfaite connaissance de l’harmonie. La musique
riche et profonde d’un groupe novateur.

