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15 janvier 2018 1 15 /01 /janvier /2018 09:54
La tentation panassiéenne

Janvier. Un mois plein de vent et de pluie mais plus calme quant aux sorties de disques. On en profite pour écouter des albums déjà anciens, voir et revoir des vieux films, lire quelques livres. Une récente et remarquable étude exhaustive de Laurent Cugny sur Hugues Panassié* m’inspire

cet éditorial, écrit un peu plus de 43 ans après son décès survenu en

décembre 1974. Directeur de conscience du « jazz authentique », Panassié

est mort trop tôt pour assister à l’épanouissement du jazz européen. Joué par des musiciens blancs, il en aurait sûrement contesté l’authenticité, tout comme il avait refusé le be-bop, la modernité et l’inévitable transformation de cette musique. Car, selon lui, il fallait être afro-américain pour jouer le jazz qu’il entendait ou, à défaut, le jouer comme un musicien noir et peu de Blancs en étaient capables. Intolérant, il fantasmait un jazz idéal qui ne pouvait que progressivement s’éloigner de l’idée qu’il s’en faisait, des jugements de valeur qu’il avait érigés en dogme et au sein desquels il s’était enfermé.

Si l’on parle moins d’Hugues Panassié aujourd’hui, son influence reste vive dans le petit monde du jazz qui s’agite aujourd’hui. Une emprise d’autant plus pernicieuse qu’elle empoisonne les esprits et conditionne des attitudes. Mes propos ne visent pas certains nostalgiques du Hot Club de France qui défendent toujours bec et ongles l’orthodoxie panassiéenne. Ils s’adressent à ceux qui, pour de mauvaises raisons, refusent que le jazz se transforme, s’ouvre à d’autres musiques, la notion de vraie et de fausse musique de jazz que Panassié introduisit dès son premier livre, “Le Jazz Hot” (1934), restant hélas d’actualité. Installé en Europe, revitalisé par des musiciens inventifs et talentueux, le jazz s’est trouvé un public fidèle et réceptif. Empruntant à d’autres cultures, il s’approprie et s’invente d’autres rythmes, se pare d’autres couleurs, son champ harmonique se confondant souvent avec celui de la musique savante européenne.

 

Non sans provoquer les réactions négatives des puristes pour lesquels il se doit d’obéir à des règles immuables. Cette musique qui s’enracine loin de l’Amérique et du blues des origines, n’est pour eux plus du jazz. Hugues Panassié qui écrivit que les Blancs ne peuvent au mieux qu’imiter le jazz aurait pu être un des leurs. La couleur de la peau et l’éloignement géographique avec la mère patrie du jazz n’ont pourtant rien à voir avec l’aspect qualificatif de cette musique, avec le talent des musiciens qui n’a pas de frontières. Le temps s’était arrêté pour Panassié qui, énonçant des croyances et non des arguments, imposa ses goûts comme s’ils étaient des dogmes. Inclinaison étroitement liée à la culture, le goût se forme, se construit, se modifie au sein d’un monde qui bouge et change à très grande vitesse. Comme toutes les musiques savantes, le jazz demande un effort. Il s’agit de connaître son histoire, ses traditions et loin de la rejeter, d’accueillir favorablement son évolution, même s'il abrite aujourd'hui des musiques étrangères à son glorieux passé. Ce blog qui lui est consacré reflète fidèlement mes goûts. Je respecte ceux des autres, fussent-ils différents. Je vous espère nombreux à partager les miens.

 

* “Hugues Panassié, L’œuvre panassiéenne et sa réception”, Éditions Outre Mesure, Collection Jazz en France.

QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT (seconde quinzaine de janvier)

 

-Le Gil Evans Paris Workshop retrouve le Sunside le 16 janvier après un concert en juillet toujours présent dans nos mémoires. Dirigée par Laurent Cugny qui apporte compositions et arrangements, cette formation de jeunes musiciens fait également revivre la musique de Gil Evans. Si l’instrumentation proposée est celle que ce dernier affectionnait, l’orchestre expérimente, joue autrement une musique qui, loin d’être figée, se transforme, plonge dans un bain de jouvence. La formation a publié son premier disque l’an dernier, deux CD(s) mêlant avec bonheur, compositions originales et reprises de morceaux, Spoonful un thème du bluesman Willie Dixon donnant son nom à un double album inoubliable.

-Enrico Rava et Aldo Romano au Sunside du 18 au 20 janvier (21h00). Ils se connaissent bien et se retrouvent une fois l'an dans un club parisien. Dans les années 60, les deux hommes jouaient ensemble dans le quartette de Steve Lacy et Aldo tient la batterie dans plusieurs disques que Rava réalisa dans les années 70. En 2011, ils enregistraient “Inner Smile” à Udine, un disque en quartette publié sous le nom du batteur. Baptiste Trotignon, le pianiste de l’album, et Darryl Hall à la contrebasse, seront avec eux au Sunside pour faire vibrer leurs mélodies solaires et raffinées, accompagner les notes délicates d’une trompette qui chante, rêve, et dessine de tendres paysages.

-Fred Nardin au Duc des Lombards le 19 avec Ore Bareket (contrebasse) et Leon Parker (batterie), musiciens avec lesquels il a enregistré l’an dernier “Opening” (Jazz Family), son premier opus. Co-fondateur de l’Amazing Keystone Big Band et Prix Django Reinhardt de l’Académie du Jazz en 2016, le pianiste en jouera probablement le répertoire. Fougueux sur tempo rapide, il se fait miel dans les ballades de son disque, Lost in Your Eyes et Hope, mais aussi dans une relecture très réussie de You’d Be So Nice to Come Home to un morceau de Cole Porter. Deux reprises inventives et joyeuses de Thelonious Monk complètent un album tout à fait recommandable.

-Pour prolonger les fêtes en musique, rien de tel que l’Orchestre de la Lune attendu le 24 au Studio de l’Ermitage. Grande formation dirigée par le saxophoniste et compositeur Jon Handelsman, elle réunit chanteurs, chanteuses et instrumentistes de talent. Le tuba de Didier Havet assure les basses de cet orchestre funky qui mêle jazz et reggae, et interprète des compositions festives et joyeuses aux arrangements très soignés. Daniel Zimmermann (trombone), Bobby Rangell (saxophone alto et flûte) et Michael Felberbaum (guitare) ne vous sont probablement pas inconnus. Disponible depuis mai 2017, leur disque “Dancing Bob” (Cristal Records) mérite une écoute attentive.

-Toujours le 24, les frères Moutin (François à la contrebasse et Louis à la batterie) invitent le pianiste Jean-Michel Pilc et le trompettiste  Randy Brecker au New Morning (concert à 21h00). Les frères Moutin, Pilc les connaît depuis 1982. Devenu musicien professionnel en 1989, il forma son premier trio avec François qui l’accompagne dans “Together : Live at Sweet Basil” (en deux volumes), son premier disque, et que l’on retrouve dans d’autres albums du pianiste. Jean-Michel Pilc a également rejoint en 2015 le Moutin Factory Quintet, formation créée deux ans plus tôt par les deux frères et qui comprend aussi le guitariste Manu Codjia et le saxophoniste Christophe Monniot. Publié en 2016, “Deep” (Jazz Family) est leur disque le plus récent.

-Dernière minute : en quartette avec Raphaël Dever (contrebasse), Stan Laferriere (batterie) et Laurent Bataille (congas), le pianiste Pierre Christophe, Prix Django Reinhardt 2007 de l’Académie du Jazz, sera le 25 au Jazz Café Montparnasse (21h00), 13 rue du Commandant Mouchotte, 75014 Paris. Au programme : le répertoire de son dernier disque, “Tribute to Erroll Garner” (Camille Prod. / Socadisc).

 

-Laurent de Wilde au Sunside les 26 et 27 janvier. La sortie en 2017 d’un album consacré à Thelonious Monk dont le centenaire de la naissance fut abondamment fêté lui apporta de nombreux concerts et une importante couverture médiatique. J’ai moi-même rédigé en octobre dernier une chronique élogieuse de son “New Monk Trio”, hommage respectueusement décalé rendu à un pianiste unique à l’univers très personnel. Laurent de Wilde apporte d’autres couleurs et d’autres rythmes à la musique de Monk. Une réussite qu’il partage avec Jérôme Regard et Donald Kontomanou, étroitement associés au projet. Le premier fait magnifiquement chanter sa contrebasse. Le second greffe d’autres tempos sur des compositions qui, revues et transformées par Laurent, brillent plus que jamais dans la galaxie du jazz.

-Sunset - Sunside : www.sunset-sunside.com

-Le Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com

-Studio de l’Ermitage : www.studio-ermitage.com

-New Morning : www.newmorning.com

-Jazz Café Montparnasse : www.jazzcafe-montparnasse.com

 

Crédits Photos : Gil Evans Paris Workshop, Enrico Rava & Aldo Romano, Fred Nardin avec Ore Bareket et Leon Parker, Laurent de Wilde, Pierre Christophe © Philippe Marchin – Louis, François Moutin et Jean-Michel Pilc © Ursula K. – Hugues Panassié © Photo X /D.R.

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