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14 décembre 2008 7 14 /12 /décembre /2008 14:48

Le dimanche, mes coups de cœur jazzistiques (élargis à des films, des livres, des pièces de théâtre…). Rencontres, visions surprenantes, scènes de la vie parisienne à vous faire partager... Suivez le blogueur de Choc…

LUNDI 8 décembre
Une fois par mois, Antoine Hervé occupe la scène de l’auditorium de Saint-Germain-des-Prés pour nous conter une belle histoire. Consacrée à Thelonious Monk (en résistant sur la pochette d’“Underground“, son dernier enregistrement Columbia), sa « leçon de Jazz » de décembre fut riche en anecdotes. Musicien génial et fantasque, le pianiste ne faisait rien comme les autres. Il laisse environ quatre-vingts compositions et de nombreux enregistrements. Oncle Antoine raconte Monk, insiste sur le danseur qui tourne autour de son piano ou sur lui-même, et explique sa musique, des thèmes très simples, mais construits avec des notes savamment décalées, des dissonances calculées, des intervalles chromatiques (Monk’s Dream), des notes ou des accords « klaxons » assemblés pour leur sonorité. Monk passait des heures devant son piano à les chercher et à les faire sonner. Certains thèmes sont de simples accompagnements (Evidence). D’autres possèdent des mélodies inoubliables (‘Round Midnight, Ruby, My Dear). Antoine nous explique la complexité rythmique des compositions monkiennes (Straight no Chaser et sa double structure rythmique). Il donne de nombreux exemples et joue le répertoire de Monk, les morceaux déjà cités, mais aussi le très virtuose Trinkle Tinkle et le dissonant Little Rootie Tootie, sans oublier Think of One dans lequel Antoine introduit malicieusement le fameux thème de La Panthère Rose composé par Henri Mancini.


MARDI 9 décembre
Soirée Paris Jazz Club (1 entrée = 4 clubs) rue des Lombards autour des artistes du label Cristal. Lenny Popkin et Gilles Naturel occupent en premier la scène du Sunside. Les notes tendres et légères du saxophone envahissent l’espace comme des spirales de fumée bleue. Lenny Popkin joue dans l’aigu du ténor. Son instrument sonne comme un alto, instrument qu’il a longtemps pratiqué, fasciné par le bop de Charlie Parker. Sa version de Cherokee
témoigne de la parfaite connaissance de son vocabulaire, mais Popkin remplace l’urgence par le lyrisme, joue cool, son approche harmonique des standards n’en restant pas moins audacieuse. La belle et solide contrebasse de Gilles Naturel assure un tempo immuable et respectueux. Psaume 22, une de ses compositions, mériterait d’être jouée plus souvent. Dommage que les deux hommes communiquent si peu avec le public.

Mélanie De Biasio termine brillamment la soirée en nous faisant replonger dans les ballades planantes et évanescentes de son premier album. Les tempos sont toutefois plus variés, les  rythmes plus enlevés. Pascal Mohy
mêle discrètement les notes de son piano à celles du clavinet de Pascal Paulus qui apporte d’extraordinaires sonorités électriques à la musique. My Man’s Gone Now de Gershwin devient ainsi une féerie presque orientale, impression renforcée par la flûte de Mélanie branchée sur une chambre d’écho. Associée à la contrebasse d’Axel Gilain, la batterie de Dré Pallemaerts donne du tonus à la musique. Dré sent les rythmes avant de les jouer. Il offre de l’assise aux morceaux, fait décoller les improvisations. La voix chaude et sensuelle de Mélanie greffe des mélodies sur cette musique très travaillée. Son charme perdure et fascine.


MERCREDI 10 décembre
Entre la fin des années 60 et le début des années 80, Roger Corman produisit et distribua plus de trois cents films parmi lesquels “Cris et Chuchotements“ d’Ingmar Bergman et “Amarcord“ de Federico Fellini qu’il fit connaître à l’Amérique. Il réalisa également une cinquantaine de série B, des longs-métrages de science-fiction, de gangsters (“Machine Gun Kelly“), se faisant connaître en Europe par ses films fantastiques (“La petite boutique des horreurs“) et ses adaptations d’Edgar Poe. On trouve actuellement sur les quais ou chez les Disc King, chaîne de magasins proposant des CD et des DVD neufs à prix cassés, un film jamais distribué en France dont Corman était particulièrement fier, son préféré avec “The Trip“ et “Le masque de la mort rouge“. Réalisé en 1962, “The Intruder“ (BACH films) s‘attaque à un sujet brûlant, les lois d’intégrations qui autorisent les noirs à étudier dans les écoles blanches. Corman n’a qu’un petit budget. Il le réalise en noir et blanc et engage des acteurs inconnus dont la carrière se limitera à des séries télévisées. William Shatner crève l’écran. Il incarne Adam Cramer, membre d’une organisation raciste blanche. De passage dans une petite ville du Sud, il monte ses habitants contre les noirs « ces nègres qui bientôt obtiendront le droit de vote, pourront briguer la mairie, devenir policiers, et gouverneront l’Etat ». Manifeste contre le racisme et le Klu Klux Klan, il suscita haine et indignation lorsqu’il sortit sur les écrans d’une Amérique encore profondément raciste. On mesure le chemin parcouru avec l’élection d’Obama. Une perle noire à ne pas manquer.


JEUDI 11 décembre
Dîner dans une brasserie parisienne avec Mimi Perrin, sa fille Isabelle et quelques membres de la commission vocale de l’Académie du Jazz que Mimi préside depuis plusieurs années. Une tradition. Les débats et les votes se passent chez cette dernière, un appartement qu’elle occupe avec ses chats. Pour ceux qui l’ignorent, Mimi Perrin (sur la pochette, la seconde à partir de la gauche)
fonda les fameux Double Six en 1959. Parrainé par Quincy Jones, ce groupe vocal, le meilleur de l’histoire du jazz, acquit une réputation internationale, séduisit Dizzy Gillespie et se hissa à la première place des référendums de la revue Down Beat entre 1962 et 1966. Ayant mis fin à sa carrière de chanteuse pour des raisons de santé, Mimi se fit un nom dans l’édition. Sa connaissance de la langue anglaise lui permit de traduire en français de nombreux ouvrages. Citons l’autobiographie de Dizzy et le livre de souvenirs de Ross Russell sur Charlie Parker. Mimi et sa fille Isabelle ont également traduit l’autobiographie de Quincy Jones et tous les romans de John Le Carré depuis “La Maison Russie“. Leur préféré : “La Constance du jardinier“. Le film de Fernando Meirelles avec Ralph Fiennes est également très réussi. Kothbiro son magnifique générique fin a été repris par Kenny Werner dans “Lawn Chair Society“ (Blue Note).


SAMEDI 13 décembre
Ahmad Jamal Salle Pleyel. On ne change pas une équipe gagnante et le pianiste de Pittsburgh aurait du mal à trouver d’autres musiciens aussi rôdés à sa musique que James Cammack à la contrebasse, James Johnson à la batterie et Manolo Badrena aux percussions. Jamal exige beaucoup et sa section rythmique doit être capable d’anticiper ses moindres désirs. Pas question de faire bouger un tempo, de rater l’enchaînement d’une cadence. Tous savent exactement quelle est leur place dans cette alchimie sonore qui ne laisse pas grand-chose au hasard. Au programme : quelques standards dont le fameux Poinciana et des compositions personnelles disséminées dans “It’s Magic“ et “After Fajr“, ses derniers disques. Ahmad improvise, mais dans le cadre d’une musique aussi préparée qu’un moteur de formule 1 la veille d’un grand prix. Il développe depuis quelques années un jeu orchestral, attaque ses notes avec vigueur, leur donne du poids, de l’épaisseur, son quartette sonnant comme un petit big band. Il aime les feux d’artifice de trilles, d’arpèges, les notes perlées qu’il caresse dans les aigus du clavier, mais peut très bien s’arrêter de jouer au milieu d’une phrase. Ses musiciens rythment ses silences et maintiennent une tension permanente.


Il est 21 heures 30 lorsque le concert d’Ahmal se termine. Donald Brown joue au Sunside. Le pianiste aime les jam-sessions, les rencontres improvisées. S’il peaufine ses compositions en studio, se produire en club est pour lui récréation, terrain de jeu ludique. Contrairement à Ahmad Jamal, on ne sait jamais ce qu’il va inventer, quelles notes il va jouer. Donald se fait plaisir. Ses musiciens aussi. Stéphane Belmondo au bugle et Jérôme Bardes à la guitare se partagent avec lui les chorus. Darryl Hall à la contrebasse et Leon Parker à la batterie leur fournissent les rythmes solides sur lesquels s’appuyer. Les standards qu’ils reprennent sont trempés dans les notes bleues et les accords du blues. Le swing cimente leur discours fiévreux. Ils ne jouent pas souvent ensemble, ont trouvé leurs marques, et sont capables d’occuper la scène jusqu’au petit matin.
 

I Concentrate On You, Baltimore Oriole, Falling in Love with Love, How Deep is the Ocean, Dat Dere, au Duc des Lombards les standards se succèdent, magnifiés par la voix d’une grande chanteuse de jazz. Sheila Jordan fête son quatre-vingtième anniversaire. Comme Helen Merrill, Blossom Dearie et Norma Winstone, elle a apporté au jazz un timbre particulier, une technique de chant qui lui est propre. Sa voix un peu voilée, feutrée, expressive, s’accorde bien avec les cordes d’une contrebasse. Celle de Thomas Bramerie la sert avec respect. Au piano Franck Avitabile ; à la batterie Aldo Romano. La flûte de Nicolas Stilo les rejoint et dessine d’élégantes arabesques sonores. La nuit ne fait que commencer.

Photos ©Pierre de Chocqueuse 

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7 décembre 2008 7 07 /12 /décembre /2008 10:31

Le dimanche, mes coups de cœur jazzistiques (élargis à des films, des livres, des pièces de théâtre…). Rencontres, visions surprenantes, scènes de la vie parisienne à vous faire partager... Suivez le blogueur de Choc…

LUNDI 1 décembre
Pluie de disques de Richie Beirach à la Fnac Montparnasse. Des imports japonais pas bon marché ce qui m’empêche d’être trop gourmand. Je cherchais depuis longtemps à me procurer "Elegy for Bill Evans", un enregistrement de 1981 que je possédais autrefois en vinyle. Avec George Mraz à la contrebasse et Al Foster à la batterie, le pianiste rend hommage au musicien qui l’a probablement le plus influencé. S’il peut jouer free et composer des pièces atonales, Beirach est surtout un grand romantique qui fait chanter son clavier. Au sein de Quest, assurément l’un des groupes les plus remarquables des années 80, son tendre piano tempère le soprano volcanique de Dave Liebman, porte le calme au cœur de la tempête. L’irremplaçable Vladimir me conseille “Romantic Rhapsody“ enregistré pour Venus en novembre 2000. En général, je ne goûte pas trop les productions de ce label destiné au marché japonais. Ces derniers raffolent des pianistes qui sucrent leur musique et ne jouent que des ballades. “Romantic Rhapsody“  ne contient que cela, mais Beirach sait habilement durcir son jeu et évite les jolies notes inutiles. George Mraz assure toujours la contrebasse, mais Billy Hart remplace Al Foster et sa frappe est plus dure. On comparera les deux versions de Spring is Here. Dans celle de 1981, l’introduction au piano est inoubliable et Mraz tient une forme éblouissante. Son jeu de contrebasse fait la différence. Je me laisse également tenter par un disque de piano solo, un concert au Japon de 1981. Beirach reprend trois de ses morceaux dont le magnifique ELM, et trois standards de ou associés à Bill Evans. Du bonheur garanti
!

Mon confrère et ami Marc Tarascoff indisponible, je préside la commission livres de l’Académie du Jazz réunie autour d’un déjeuner à La Caseta, rue Pierre Charron. Son but : décerner un prix au meilleur livre de jazz de l’année. Les débats furent évidemment passionnés. Comment comparer une étude critique ou une biographie et un livre de photos ? Ma proposition de donner deux prix ex-aequo n’étant point retenue, il fallut deux tours de scrutin pour départager les candidats. Le prix sera remis le 18 janvier prochain. Il vous faudra patienter jusque-là pour connaître les résultats. De gauche à droite sur la photo : Alex Dutilh, Jacques Bisceglia, Gilles Coquempot, moi-même, André Francis, Alain Tomas et Jean-Louis Lemarchand. (Photo X)


MARDI 2 décembre
Les films de Peter Greenaway me plaisent décidément beaucoup. Après “The Pillow Book“ et “Le Cuisinier, le voleur, sa femme et son amant“ (chronique dans la semaine du blogueur du 23 novembre), je revois avec plaisir “Le Ventre de l’architecte“, un film dont chaque scène est un tableau, chaque couleur, chaque objet trouve sa place dans des cadrages sophistiqués. La caméra bouge peu ce qui permet au regard de se fixer sur les décors. Greenaway travaille comme un peintre et son cinéma n’a pas forcément besoin de mouvement. Un architecte américain (Brian Dennehy) séjourne à Rome pour y organiser une exposition sur Etienne Louis Boullet (1728-1799), un architecte français que peu de gens connaissent, mais qui a réellement existé. Il souffre de maux d’estomac, pense que sa femme veut l’empoisonner, se découvre un cancer qu’il développe alors même que sa femme attend un enfant. Pour les anciens Romains, le ventre était le siège de l’âme. A Rome, l’architecte américain obsédé par son ventre perd la sienne avec sa vie. Réflexion sur la création artistique, sur les pouvoirs que l’architecture peut exercer sur la raison, “Le Ventre de l’architecte est aussi un portrait du père de Peter Greenaway, un passionné d’histoire naturelle et d’ornithologie, un homme corpulent qu’un cancer de l’estomac emporta.


MERCREDI 3 décembre
Les éditions Zulma rééditent depuis janvier 2008 la saga des Fu Manchu dans une nouvelle traduction d’Anne-Sylvie Homassel. Deux volumes sont déjà parus, “Le mystérieux Docteur Fu Manchu“ et “Les créatures du Docteur Fu Manchu“, publiés pour la première fois en 1913 et 1916. Ils m’enchantent. Long, maigre, félin, les épaules hautes, le front de Shakespeare et le visage de Satan, le Chinois cruel incarne le péril jaune. Face à lui Nayland Smith, l’agent spécial de Birmanie, au visage maigre et hâlé, au regard d’acier. Comme Sherlock Holmes imaginé par Conan Doyle dont Sax Rohmer a certainement lu les exploits, Smith a son Docteur Watson, le Docteur Petrie compagnon fidèle et narrateur de ses aventures dans les bas-fonds et les docks de Londres noyés par le brouillard. Le meilleur film consacré à Fu Manchu reste “Le masque d’or“ réalisé par Charles Brabin en 1932. Boris Karloff prête ses traits au terrible Docteur. Auteur prolixe, Sax Rohmer (1883-1959) né Arthur Henry Sarsfield Ward créa d’autres personnages tout aussi pittoresques dont un prêtre détective musulman, l’imam Abu Tabah. Ses six enquêtes parurent à Londres en 1916. Le regretté Francis Lacassin les publia dans la collection 10/18 en 1988.


JEUDI 4 décembre
Jusqu’au 9 janvier, la librairie Lecointre Drouet, 9 rue de Tournon 75006 Paris (01 43 26 02 92) expose des affiches et des livres de Tadanori Yokoo. Né en 1936 à Nishiwaki, Tadanori commença par dessiner des affiches publicitaires. « Mon rêve était de devenir peintre. Le destin me conduisit à l’affiche ». Dans les années 60, il rencontra de nombreux artistes qui lui ouvrirent les portes de l’underground japonais. Il se lia avec les écrivains Yukio Mishima et Tatsuhiko Shibusawa (ami intime de Mishima. Ce dernier s’est inspiré de sa“Vie du Marquis de Sade“ pour écrire“Madame de Sade“, pièce récemment montée à Paris), avec le scénariste et metteur en scène Shûji Terayama. Il réalisa des pochettes de disques (“Lotus“ de Santana, “Agharta“ de Miles Davis), des cartons d’invitations pour les défilés d’Issey Miyake. Ses affiches, peintures, collages, livres relèvent du pop art, empruntent aux réclames américaines des années 5O, à des motifs de kimonos anciens (les parents de Tadanori en fabriquaient), mais aussi à la tradition des estampes japonaises d’Hiroshige et d’Hokusai.

VENDREDI 5 décembre
Lecture du tome 2 de “La Théorie du grain de sable“ de François Schuiten et Benoît Peeters, volume appartenant au fameux cycle des Cités Obscures. Le dessin en noir et blanc au service d’une histoire relevant du fantastique, illustre de très belles pages. Schuiten a le sens des perspectives et sait fort bien dessiner des édifices architecturaux. Ses personnages sont également travaillés. Aidée par Constant Abeels, héroïne de ce récit en deux parties, Mary Von Rathen, « l’enfant penchée », parvient à remettre en place le Nawaby disparu du pays Bugti qui perturbe l’ordre des choses. Victime d’inondations catastrophiques dans un précédent volume de la saga, Brüsel et ses habitants pâtissent de phénomènes bien plus graves. Surtout Monsieur Maurice qui perd du poids et échappe peu à peu à la gravitation. Les planches affirment un trait sûr. D’une grande force poétique, ils témoignent de la capacité imaginative des auteurs à poursuivre une série qui conserve son charisme.


Concert d’Issam Krimi au Studio de l’Ermitage à l’occasion de la parution de “Post Jazz“, disque dont vous trouverez prochainement la chronique dans ce blogdechoc. Issam interpréta bien sûr les morceaux de son nouvel album, leur donnant toutefois un aspect plus rock. Sur scène la musique se fait dure, se pare d’autres couleurs et monte en puissance. La batterie de Nicolas Larmignat tonne des rythmes lourds ; le violoncelle d’Olivier Koundouno leur ajoute du mystère. Issam Krimi montre peu ses capacités pianistiques. Il joue une musique jeune et énergique, préfère les discours collectifs aux longs chorus individuels.
Le jazz s’y révèle marginal au sein d’une passionnante musique composite au carrefour de nombreuses influences.
(Photo ©Pierre Luzy)

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30 novembre 2008 7 30 /11 /novembre /2008 09:12

Le dimanche, mes coups de cœur jazzistiques (élargis à des films, des livres, des pièces de théâtre…). Rencontres, visions surprenantes, scènes de la vie parisienne à vous faire partager... Suivez le blogueur de Choc…

LUNDI 24 novembre
Welcome to the Voice“ au Théâtre du Châtelet. La presse n’a pas été tendre avec ce spectacle dont je donne l’argument dans le blogdechoc du jeudi 13 novembre. Le livret est médiocre, mais on s’y rend pour la beauté du chant et de la musique. Celle de “Welcome to the Voice“ réserve de magnifiques arias (« Laissez cet homme » chantée par Lily, la cantatrice). Le livret justifie parfaitement des emprunts à Bizet, Puccini, Bellini et le patchwork musical assemblé par Steve Nieve reste parfaitement cohérent. L’Ensemble Orchestral de Paris lui donne une ampleur que le quatuor à cordes de l’album ne lui offre pas. Transposée pour grand orchestre, la partition hérite d’un long prélude instrumental présentant les principaux thèmes. Sur le rideau de scène, sont alors projetées les images brûlantes d’une gigantesque fonderie. Les lumières et les décors servent une mise en scène qui tient constamment en éveil. Trompette (Ibrahim Maalouf), violoncelle et saxophone improvisent de brefs interludes. Et puis, il y a les voix. Celle de Sting, rauque et puissante, se marie bien avec celles des chanteuses lyriques. Sensuelle et magnifique, Sylvia Schwartz est la reine du spectacle (la voix de Barbara Bonney, la Lily de l’album, paraît bien terne en comparaison). Elvis Costello se voit confier une partition trop difficile pour ses capacités vocales. On regrette l’absence de Robert Wyatt, mais Joe Sumner, le fils de Sting, son remplaçant, chante parfaitement son texte. Une belle création mondiale. Thank you to the Voice.

MARDI 25 novembre
18 heures 30. Remise des Chocs Jazzman de l’année 2008 au Café Universel, rue Saint-Jacques. Alex Dutilh (en photo) les commente devant un parterre de journalistes, de musiciens (Martial Solal, Christophe Marguet, François Théberge, Michael Felberbaum), de responsables de maisons de disques (la jolie Marie-Claude Nouy, Patrick Schuster, Nicolas Pflug, Daniel Baumgarten, Francis Dreyfus, Marc Sénéchal…). “Kind of Blue“ de Miles Davis gagne bien sûr à recevoir tous les Chocs de la terre, mais j’ai comme l’impression que l’on prime davantage le coffret (par ailleurs superbe) que le disque fréquemment réédité. Des Chocs mérités pour “Live at Belleville“ du contrebassiste Arild Andersen et “Tragicomic“ du pianiste Vijay Iyer. Les autres enregistrements primés me plaisent moins. Vous en trouverez la liste dans le numéro de décembre de Jazzman. “Avatar“ de Gonzalo Rubalcaba, “Awake“ de Miguel Zenon, “Enrico Pieranunzi plays Domenico Scarlatti“ (bien que ce ne soit pas du jazz), “History, Mystery“ de Bill Frisell (double CD presque trop copieux) et l’admirable “Filtros“ de Guillermo Klein, Emois 2008 de Jazz Magazine, parlent davantage à mon cœur de blogueur.

19 heures 30 : je fonce Salle Pleyel, impatient d’écouter l’immense Chucho Valdés, 1 mètre 94 et de longues mains fines qui l’aident à jouer des accords impossibles. Son Steinway est un peu métallique, mais quelle musique ! La chaleur et les rythmes des îles s’entendent dans ce piano qui chante Ellington, Bach, mais aussi des boleros, des danzas, sans oublier quelques ballades tendres et émouvantes. Chucho multiplie notes perlées et citations. Chopin, Ravel, Gershwin surgissent au détour d’une phrase et héritent de rythmes qu’ils n’auraient jamais imaginés. En quartette, contrebasse et batterie accompagnent ce piano syncopé qui dialogue avec les percussions de Yaroldi Abreu, petit homme râblé et costaud, magicien des tambours et maître des congas. De l’émotion, nous en eûmes lorsque Chucho présenta son père Bebo, 90 ans, doyen de la musique cubaine. Leur duo de piano fut un des grands moments de ce concert évènement. Après l’entracte, deux trompettes et deux saxes vinrent renforcer la section rythmique, souffler des riffs incandescents et fiévreux, l’orchestre sonnant comme un véritable big band, comme Irakere, groupe phare de la musique afro-cubaine dont Chucho fut le leader. L’ambiance devint encore plus chaude lorsque Mayra Caridad Valdés, la sœur de Chucho, monta sur scène. Sa voix forte, puissante invita à la danse, à la fête. Une onde rythmique se propagea et fit lever la salle, la musique agissant comme un puissant tonique.

MERCREDI 26 novembre
Après une remarquable biographie du peintre Jackson Pollock, Ed Harris repasse derrière la caméra avec un sujet radicalement différent, un western, “Appaloosa“, dans lequel le rôle principal lui convient comme un gant. Il interprète le Marshall Virgil Cole, un homme froid au regard pénétrant, au visage sévère, chargé de faire régner l’ordre dans petite ville d’Appaloosa (Nouveau-Mexique) en 1882. Le scénario évoque un peu celui de “Rio Bravo“ d’Howard Hawks. On pense aussi à “L’homme aux colts d’or“ d’Edward Dmytryk. Everett Hitch (Viggo Mortensen), son adjoint, la seule personne pour laquelle il éprouve une réelle amitié, est un homme aussi taciturne que lui, ce qui permet à Harris également co-producteur et co-scénariste du film, d’économiser les dialogues. Virgil Cole parle peu, mais bouquine et cherche à améliorer son vocabulaire défaillant. Si Jeremy Irons campe un méchant présentable, la femme tient ici le mauvais rôle. Cole n’est pas dupe de la volage et cupide Allison French (Renée Zellweger) qui coure les cow-boys virils. Clin d’oeil à Sergio Leone, la caméra s’attarde longuement sur la poussière que le vent porte au cœur même d’Appaloosa, bourgade entourée de paysages grandioses brûlés par le soleil. Un bon film qui se laisse voir avec plaisir.

JEUDI 27 novembre
Théâtre du Rond-Point : sur le sol, un grand cercle délimite une piste, celle du“Cirque invisible“. Deux personnages l’animent. Sont-ils vraiment deux ? Difficile de l’affirmer. Ils apparaissent et disparaissent sans jamais être les mêmes, se métamorphosent en d’autres personnes et transforment leurs vêtements en bestiaire féerique. Irréel mais bien visible, ce cirque ne ressemble à aucun autre. Depuis 1990 Jean-Baptiste Thierrée et Victoria Chaplin (quatrième enfant d’Oona et Charlie Chaplin et sœur de Géraldine) peaufinent un spectacle total, plein de magie, de musique, de danse, de mime et de comique. Une fantasmagorie poétique, succession de courts tableaux dans lesquels les objets les plus divers deviennent insectes, monstres de fer aux ailes métalliques, instruments de musique, dragons de papier… L’équilibriste funambule assiste l’illusionniste, le clown se fait jongleur, ce dernier dresseur d’oies. Le charme opère, vous donne le rire, les yeux que vous aviez enfant. 

VENDREDI 28 novembre
Je regarde “La Charrette fantôme“ de Victor Sjöström, magnétoscopé lundi sur Arte. Ses surimpressions épatèrent Murnau. Tourné en 1920, ce muet influença l’expressionnisme allemand. Julien Duvivier en fit un remake en 1939 avec Pierre Fresnay et Louis Jouvet. Son côté moralisateur le démode un peu. Le récit non linéaire constitue une nouveauté pour l’époque, et certaines images, notamment celles de la charrette que conduit le cocher de la mort, restent inoubliables. Avant de devenir l’un des plus grands réalisateurs du muet, Victor Sjöström (1879-1960) fut acteur de théâtre. Il joua dans des pièces d’Ibsen et de Strindberg. Metteur en scène dès 1913, il s’associa trois ans plus tard avec Selma Lagerlöf, l’auteur du “Merveilleux Voyage de Nils Holgersson à travers la Suède“, mais aussi du “Charretier de la mort“ qui chaque nuit passe ramasser les victimes de la peste dans un village sicilien. Sjöström tient le rôle principal des “Fraises sauvages“ d’Ingmar Bergman. Il a alors 78 ans. Dans “Lanterna Magica“, son livre de souvenirs, Bergman raconte que Sjöström n’avait jamais trouvé La "Charrette fantôme" très remarquable. « Victor était fatigué, mal-en-point, pour travailler avec lui il fallait l’entourer de bon nombre d’égards. Je dus, entre autres, lui promettre que tous les jours, il serait chez lui exactement à quatre heures et demie pour son traditionnel whisky ».

 

SAMEDI 29 novembre
Quelques chroniques de disques à rédiger pour le numéro de janvier de Jazzman. Parmi les nouveauté
s, deux perles à se procurer sans plus attendre. La première, vous la téléchargerez sur http://www.sansbruit.fr/. Il n’y a pas d’autre moyen d'obtenir “New York City Session“ du trio Bruno Angelini, Joe Fonda, Ramon Lopez. Le site de Sans bruit fournit la pochette et si vous choisissez le téléchargement FLAC, la musique est de bonne qualité. Le deuxième disque est un opus en trio de Philippe Le Baraillec, pianiste qui fait trop peu parler de lui. Vous patienterez pour me lire, mais achetez dès à présent son “Invisible Wound“ (AJMI/Integral distribution), un album magnifique.

Photos © Pierre de Chocqueuse, sauf Sting & Sylvia Schwartz © Marie Noëlle Robert, et “Le Cirque invisible" © Brigitte Enguerand. Avec les aimables autorisations du Théâtre du Châtelet et du Théâtre du Rond-Point.

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23 novembre 2008 7 23 /11 /novembre /2008 15:41

Le dimanche, mes coups de cœur jazzistiques (élargis à des films, des livres, des pièces de théâtre…). Rencontres, visions surprenantes, scènes de la vie parisienne à vous faire partager... Suivez le blogueur de Choc…

LUNDI 17 novembre
« Lee Miller buvait beaucoup…Elle se faisait porter un verre de scotch à tout moment…Le week-end, nous partions dans la propriété que (Roland) Penrose avait dans le Sussex , à Chiddingly. Ces séjours pouvaient être des cauchemars, tant Lee était ivre. Elle tenait absolument à faire la cuisine. Comme il faisait chaud près des fours, elle cuisinait parfois le torse nu au milieu de ses domestiques » raconte Diane Deriaz, la trapéziste des poètes, dans “La tête à l’envers“, son livre de souvenirs. Avant de s’installer à Paris à la fin des années 20 et de devenir l’assistante de Man Ray qui lui apprit la photographie et fit d’elle des portraits très admirés, Lee fut un mannequin très prisé des plus grands photographes. Très belle, portant des toilettes simples, des pulls de laine et des pantalons de velours gris pâle qui seyaient à son teint, elle devint l’égérie des surréalistes, et Jean Cocteau la fit tourner dans “Le sang d’un poète“. Le musée du Jeu de Paume expose ses photos jusqu’au 4 janvier, divers travaux que complètent des portraits d’elle réalisés par Man Ray, Horst P. Horst, Edward Steichen et George Hoyningen-Huene. L’ensemble très divers réunit aussi bien des photos de mode, que des images d’Egypte (elle y vécut dans les années 30 avec son premier mari, un riche fonctionnaire égyptien), ou ses célèbres clichés de correspondante de guerre.

Pique-nique: Nusch et Paul Eluard, Roland Penrose, Man Ray et Ady Fidelin, île Sainte-marguerite 1937 - Autoportrait en serre-tête 1933. ©Lee Miller Archives.

 

Danilo Perez au Sunside. En trio avec Ben Street à la contrebasse et Adam Cruz à la batterie, le pianiste combine hardiment un jeu rythmique dans lequel se reflètent ses origines latines et une approche harmonique sophistiquée héritée de ses années d’étude de la musique classique européenne au Conservatoire National de Panama. On est surpris par ce jeu inventif qui brasse beaucoup de notes et prend toutes sortes de directions. Danilo Perez joue de longues phrases aux couleurs modales. La main droite harmonise, brode des variations ; la gauche baigne la musique dans le rythme. Bach et ses fugues assouplissent les doigts, leur donnent de la grâce. Une légèreté dont profitent les nombreux pas de danse que dessine la musique.  

MARDI 18 novembre
Yaron Herman et Joachim Kühn à Nantes. Deux concerts pour le prix d’un, à prix coûtant, au Grand T. Sacralisé par les dernières Victoires de la Musique, Yaron nous emporte dans un maelström de notes perlées, martelées, tourbillonnantes qu’il attaque avec une vélocité gourmande. Imperturbable, Matt Brewer assure le tempo, trouve les accords qui reposent, les notes qui surprennent. Gerald Cleaver indisponible, Tommy Crane pose des rythmes forts, les martèle de ses tambours de jungle. Phil Costing et sa copine en sont tout ébaubis ! Disposant d’une rythmique plus carrée, Yaron fait chanter des accords impossibles, transforme, invente. Toxic de Britney Spears qu’il inclut fréquemment à son répertoire a l’air d’un nouveau morceau. Hatikva n’en est pas un. Israël en a fait son hymne national. Jouée en rappel, sa mélodie magnifique, toucha les nantais jazzophiles.

 

Joachim Kühn semble tout droit sortir d’un livre de Goethe. Bonheur de le voir entouré par des jeunes musiciens qui admirent son piano : Christophe Monniot aux saxes, Sébastien Boisseau (de Nantes) à la contrebasse, Christophe Marguet à la batterie. A l’initiative de ce dernier, ce quartette existe et enchante. Les pièces, toutes écrites par les membres du groupe, ne sont que le fil conducteur d’une musique changeante comme les couleurs du ciel. Energie pure et averse lyrique provoquent d’étonnants moments d’entente entre le piano et le saxophone. En éveil, la contrebasse arbitre. Le batteur colore, bruine des sons aériens, mitraille du bronze et du cuivre, commentaires rythmiques au cours desquels les notes trouvent naturellement leur place. Kühn sait leur donner du poids. Ses mains agiles convoquent Bach, esquissent des fugues inattendues, moments de grâce d’une musique ouverte à tous les possibles.

MERCREDI 19 novembre
Two Lovers“ de James Gray est un film superbe. S’éloignant des milieux mafieux dans lesquels baignent ses longs métrages précédents (“Little Odessa“, “The Yard“, “La nuit nous appartient“), James Gray filme une touchante histoire d’amour entre un homme et deux femmes, et renouvelle brillamment le thème éculé du triangle amoureux. Meurtri par une ancienne liaison qui s’est mal terminée, Leonard (Joaquin Phoenix) manque son suicide. Il souffre de troubles bipolaires, prend quantité de médicaments et sa fragilité fascine Sandra (Vinessa Shaw), la fille des amis de ses parents qui songent justement à la marier. Leonard attiré, rencontre presque en même temps Michèle (Gwyneth Paltrow), une voisine aussi perturbée que lui par une liaison avec un riche homme marié. Il en tombe amoureux. Le metteur en scène jette un regard sensible sur ses personnages dont les acteurs traduisent magnifiquement les émotions. La caméra capture leurs désarrois, leurs attitudes, la grande justesse de leurs sentiments. Joaquin Phoenix est extraordinaire en homme blessé, indécis, mélancolique, et les actrices formidables, Gwyneth Paltrow en séduisante séductrice toxico et la presque trop discrète Vinessa Shaw dont les regards en disent plus que les rares dialogues qui lui sont confiés.

JEUDI 20 novembre
La grande question que l’Amérique se pose : faut-il repeindre la Maison Blanche ?

 

VENDREDI 21 novembre
D'abord paisibles, de jolies notes gonflent et se déversent comme des vagues à l’approche d’un rivage. Cette musique impressionniste que le batteur ponctue légèrement de ses cymbales déverse son trop plein de tendresse dans le Duc des Lombards. Jean-Philippe Viret à la contrebasse, Edouard Ferlet au piano et Fabrice Moreau à la batterie nous font cadeau d’un jazz intimiste d’une rare transparence. Les sons y ont leur importance. Peaux, cordes, métaux s’accouplent, donnent une couleur particulière à des morceaux fluides qui se donnent le temps de respirer, petites notes lancées à un grand vent qui les porte, les restitue intactes et chargées d’un air pur. Nouvellement composé par le batteur, Vert en contient quelques-unes. Un peu de couleur s’y ajoute, mais plongée dans un grand bain d’âme, cette tendre ritournelle devient moment de pure magie, son exquise fragilité lui donnant tout son poids. Cette musique qui fait voir des images – le magnifique Peine perdue - , s’ouvre aussi à l’abstraction, gagne des terres moins explorées. Son mystère n’en est que plus intense.

SAMEDI 22 novembre
Revu en DVD “Le Cuisinier, le voleur, sa femme et son amant“ de Peter Greenaway. Bien que traitant accessoirement du cannibalisme (la femme fait manger au voleur qui l’a assassiné le corps de son amant) le film va bien au delà de la simple provocation. Greenaway est un peintre qui construit ses scènes comme des tableaux. Utilisées comme un langage et associées à des symboles, les couleurs possèdent une vie propre. L’action se déroule principalement dans trois pièces communicantes de couleurs différentes. L’immense cuisine qu’occupent les vrais cuisiniers de l’hôtel Savoy à Londres, verte comme la végétation et la chlorophylle, fait pendant au rouge sang carnivore de la grande salle de restaurant. Le metteur en scène y a intentionnellement placé un grand tableau de Frans Hals, un portrait de miliciens dont s’est inspiré Jean-Paul Gaultier pour les costumes. Les toilettes « lieu où l’on pisse et chie et où l’on régurgite tout ce que l’on a ingéré » pour citer Greenaway interviewé dans le bonus de ce DVD, sont d’une blancheur immaculée. Le bleu domine le parking. Les couleurs des vêtements changent aussi lorsque les personnages passent d’une pièce à une autre. Organisé, chorégraphié comme un ballet, le film dans sa dernière partie se rapproche de l’opéra. Un rideau rouge se referme à la fin du dernier acte et la musique de Michael Nyman y occupe une place importante. Ce film baroque, dérangeant et beau reste une réussite incontestable.

 

Photos ©Pierre de Chocqueuse - Photos de Lee Miller ©Lee Miller Archives. Avec l'aimable autorisation du Musée du Jeu de Paume.

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16 novembre 2008 7 16 /11 /novembre /2008 13:12

Le dimanche, mes coups de cœur jazzistiques (élargis à des films, des livres, des pièces de théâtre…). Rencontres, visions surprenantes, scènes de la vie parisienne à vous faire partager... Suivez le blogueur de Choc…

LUNDI 10 novembre
Amarcord Nino Rota“, hommage rendu à ce dernier par un collectif de musiciens résonne entre les murs de la pièce qui me sert de bureau. Un disque de 1981 probablement difficile à trouver. C’est le premier « tribute » sur lequel travailla le producteur Hal Willner. D’autres suivirent, consacrés à Thelonious Monk (“That’s the Way I Feel Now“ en 1984) et à Charles Mingus (“Weird Nightmare“ en 1992). Ils sont moins réussis. Rota composa de grandes musiques pour les films de Federico Fellini et Willner a sélectionné des mélodies inoubliables que les jazzmen associés au projet ont délicieusement arrangées. La plus belle nous est offerte par Carla Bley qui développe magistralement avec son orchestre le thème de "8 1/2" ("Oto e mezo"). Confiées à Muhal Richard Abrams, David Amram ou au trop méconnu William Fisher dont le groupe rassemble les frères Wynton et Branford Marsalis, George Adams, Kenny Barron et Ron Carter, les partitions de Rota se parent de nouvelles couleurs et des rythmes du jazz. Le disque contient plusieurs interludes en solo ; Steve Lacy improvise au soprano, Bill Frisell à la guitare, Dave Samuels au vibraphone. Il s’ouvre et se ferme sur les accords d’"Amarcord" et de "La Strada" que Jaki Byard confie à son tendre piano.


Visite de “L’instant et l’éternité“, exposition consacrée aux peintures traditionnelles japonaises Nihon-ga de TABUCHI Toshio, à l’Espace des Arts Mitsukoshi Etoile. Une soixantaine d’œuvres sur papier à contempler jusqu’au 22 novembre. TABUCHI Toshio maîtrise parfaitement son dessin, mais ses paysages urbains et ses personnages me donnent peu d’émotion. Lorsqu’il réduit la couleur à une seule ou ne garde que le noir pour peindre à l’encre de chine des panneaux, des paravents ou les portes coulissantes d’un temple de monastère Zen, son art se dépouille de tout artifice pour aller à l’essentiel et atteint une autre dimension. L’ego de l’artiste se dissout comme l’encre absorbée par le papier. Le trait devient transparent, la nature se fait abstraite comme si ses paysages monochromes perdant leurs contours exprimaient la fragilité des formes.


MARDI 11 novembre
Vu “My Magic“ du Singapourien Eric Khoo. Une déception si on le compare à “Be with Me“, son film précédent, petite merveille achromatique, mosaïque d’histoires en partie construites autour d’une femme aveugle et sourde dont le courage est profondément émouvant. Porté par sa grâce, “Be with Me“ redonne espoir. Le voir allège. Malgré certaines scènes très touchantes, “My Magic“ ne possède pas le même impact. La rédemption de Francis, le colosse-magicien pèse son poids de souffrance. Son chemin de croix passe par des scènes de tortures, d’auto-mutilations qui dérangent. Le monde dur et étouffant que décrit Eric Khoo s’oxygène au contact de la nature. Dans ses dernières minutes, le récit glisse dans l’imaginaire, nous livre les images magiques que l’on attend du cinéma.

MERCREDI 12 novembre
Pierre de Bethmann en septet dans le cadre du “Festival Plus Loin“ au Sunside. Pierre a reçu récemment une Victoire du Jazz, celle de l’album instrumental français pour “Oui“, publié chez Nocurne en 2007. La musique énergique, puissante, traduit le jusqu’au-boutisme des solistes ; Pierre au Fender Rhodes jouant de longues phrases passionnées ; David El Malek soufflant des notes brûlantes à l’alto ; Stéphane Guillaume décomposant les harmonies des pièces jusqu’à plus soif, ses voicings chargés de notes tumultueuses. On respire un peu grâce à la voix de Jeanne Added qui vocalise sur les accords des morceaux, (Altération, Air courbe), les deux saxophones les reprenant brièvement à l’unisson avant de se lancer à nouveau dans des chorus fiévreux. On sort de là un peu sonné par toutes ces notes, convaincu par la grande technicité des musiciens, un peu moins par les compositions, des suites d’accords compliqués pensés par quelque cerveau surdimensionné. J’en discute avec Pierre qui voit des mélodies partout dans le jazz moderne. J’entends des airs complexes et compliqués que l’on serait bien en peine de chantonner. Les mélodies simples, “mélodieuses“, font aujourd’hui défaut. Des années d’études ou de conservatoire n’en donnent pas la clef. Normal. Ils habitent l’homme et ne se révèlent qu’à ceux qui les possèdent.

JEUDI 13 novembre
Lecture de “Europeana, une brève histoire du XXe siècle“, petit bouquin de Patrik Ourednik
publié aux éditions Allia, cadeau de Phil Costing. Cet érudit tchèque, traducteur de Jarry, Beckett, Queneau et Michaux, nous livre une quantité gigantesque d’informations sur la folie des hommes au cours du siècle le plus meurtrier de l’histoire de l’humanité, et sur leurs descendants aspirant comme leurs pères à créer un homme nouveau, une ère post-humaniste pour un homme productif. L’auteur de ces pages, véritable monologue avare de ponctuations, noie son pessimisme dans un humour grinçant et décalé, nous conte les pires méfaits d’une humanité livrée à des marchands et à des scientifiques qui fabriquent autant de misères qu’ils nous livrent de progrès. L’auteur ne juge pas, expose froidement des faits, des théories philosophiques contradictoires, des idéologies folles dont beaucoup survivent aujourd’hui.

VENDREDI 14 novembre
Molly Johnson au Duc des Lombards. Après son remarquable Olympia de décembre 2004, la découvrir dans l’intimité d’une petite salle était par trop tentant. Formidable chanteuse dont la voix grave et puissante n’est pas dénuée de raucité, Molly ne tarda pas à convaincre le nombreux public venu l’applaudir. Elle peut aisément bouleverser lorsqu’elle reprend In My Solitude ou Lush Life, ballades qu’elle chante avec beaucoup d’émotion. Très à l’aise sur scène, elle parle facilement au public et le fait avec beaucoup d’humour comptant sur ses musiciens pour assurer la partie instrumentale d’un show quasi parfait. Robi Botos étonnamment agile au piano, le fidèle Mike Downes à la contrebasse et Sebastiaan De Krom, batteur de Jamie Cullum, affichent des visages heureux. Engagé quelques jours plus tôt pour cette tournée, Sebastiaan De Krom nous régala d’un solo de batterie d’une légèreté tout à fait adaptée au Duc. Confiante, Molly peut chanter une bonne partie de “Lucky“ son dernier album, un opus plus jazz que les précédents. Il renferme Gee Baby, Ain’t It Good to You et Mean to Me, des blues qui passent bien en concert, mais aussi le célèbre Ode to Billy Joe que Bobby Gentry nous fit connaître en 1967. Rain, évocation nostalgique de Montréal, fut suivi par un magnifique Summertime en rappel.

SAMEDI 15 novembre
L'écoute de quelques-uns des 40 albums que réédite ECM en pochette digipack, plus précisément ceux que le label munichois édita dans les années 70 et 80, m’inspire quelques réflexions. Le jazz sortait alors d’une période difficile. Sa forte politisation, sa radicalisation par des musiciens rejetant thèmes, tempos et harmonies, avaient fait fuir une grande partie de son public. La pop était alors plus inventive. Ses ténors contestaient le système sans pour autant sacrifier leur esthétisme musical. Une nouvelle génération de jazzmen avait pourtant émergé. Michael Brecker ou le triumvirat pianistique constitué par Chick Corea, Herbie Hancock et Keith Jarrett savaient faire parler d’eux. Les enfants de Miles Davis créaient un jazz ouvert sur d’autres cultures. Le cas d'Hancock mis à part, la tentation technologique ne fut qu’une parenthèse dans leurs œuvres. Les jazzmen d’aujourd’hui s’en sont beaucoup inspirés. Normal. On écoute toujours avec plaisir “Facing You“ ou “Belonging“ de Jarrett, les débuts de Pat Metheny sur ECM, les vieux albums de Paul Motian et de Gary Burton ou les remarquables enregistrements que Corea effectua dans les années 80 au sein de son Trio Music. Les musiciens talentueux d’aujourd’hui deviendront peut-être les modèles de demain. L’avenir nous dira lesquels. Et tournent les chevaux de bois...

Photos de Pierre de Bethmann et de Molly Johnson ©Pierre de Chocqueuse

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9 novembre 2008 7 09 /11 /novembre /2008 19:03

Le dimanche, mes coups de cœur jazzistiques (élargis à des films, des livres, des pièces de théâtre…). Rencontres, visions surprenantes, scènes de la vie parisienne à vous faire partager... Suivez le blogueur de Choc…

LUNDI 3 novembre
Les basses tonnent haut et fort au foyer du Théâtre du Châtelet. Aidé par Thierry Barbé de l’Opéra de Paris, François Lacharme a convié en soirée quelque uns des plus talentueux palpeurs de grand-mère qui séjournent dans la capitale. Un concert en deux parties qui clôture en beauté le symposium Bass’2008, qui vient de se tenir au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris. De nombreux contrebassistes parmi lesquels François Rabbath, Stafford James et « Totole » Masselier occupent en spectateur une salle dont pas un siège ne reste vide. Renaud Garcia-Fons et Claire Antonini au théorbe nous régalent d’une belle musique arabo-andalouse. Barre Phillips et son fils David nous plongent dans la modernité de dissonances et de rythmes envoûtants. Frappé, caressé, l’instrument résonne de sons primitifs et sacrés, devient instrument totémique d’un très vieux monde dont il semble conserver la mémoire. Découverte de Jackie Allen, chanteuse au métier solide que chaperonne Hans Sturm, contrebassiste à la sonorité superbe. Ce dernier rythme délicatement la voix tout en faisant chanter ses notes. Hervé Sellin, harmoniste raffiné, accompagne au piano. Après la pause, Thierry Barbé (en photo) interprète magistralement l’Hommage à J.S. Bach écrit en 1969 par le compositeur Suisse Julien-François Zbinden. Sa chevelure fait penser à la crinière d’un lion, Peter Ind, 80 ans cette année, étonne par son énergie, la musicalité d’un tempo solide qu’il met au service du bebop avec Rufus Reid, un complice de taille. Utilisant une contrebasse descendant jusqu’au do grave, ce dernier éblouit par sa façon de faire sonner les harmoniques de son instrument. Riccardo Del Fra et ses invités – Stéphane Belmondo au bugle, Remy Dumoulin au ténor, Bruno Ruder au piano, Julien Letellier à la batterie - terminent en beauté la soirée. De gauche à droite sur la photo : Stafford James, Rufus Reid, Peter Ind, Riccardo Del Fra et Renaud Garcia-Fons.

MARDI 4 novembre
On attendait Marjolaine Reymond sur une scène depuis plusieurs mois. Un public nombreux et impatient envahit le Duc des Lombards, ensorcelé par l’énorme potentiel lyrique de la chanteuse, par une musique insolite dans laquelle calme et tempête cohabitent. Bien qu’organisées autour d’une voix qui pratique fréquemment le saut d’octaves, les compositions abritent de nombreuses séquences instrumentales. Le vibraphone de David Patrois
baigne cet univers d'hypnotiques sonorités cristallines ; Antoine Simoni tire des sons étonnants de sa contrebasse; à la batterie, Yann Joussein impose un groove solide, une assise rythmique dont profite tout le groupe. Des extraits de son récent album “Chronos in USA“ revus à travers le prisme d'une instrumentation nouvelle, et des compositions récentes bientôt enregistrées, confirment la place singulière et neuve qu’occupe aujourd’hui la chanteuse.

MERCREDI 5 novembre
« Enfant, je passais mes vacances d’été dans les colonies de vacances de la Commission Centrale de l’Enfance, cette association crée par les juifs communistes français après la seconde guerre mondiale ». Sur l’espace scénique de la Maison de la Poésie (Passage Molière, 157, rue Saint-Martin) David Lescot raconte “La Commission Centrale de l’Enfance“, une histoire qu’il a lui-même vécue, des souvenirs intimes, drôles et tendres narrés avec beaucoup d’humour. Il s’aide parfois d’une guitare électrique, un modèle tchécoslovaque des années 60, pour nous chanter quelques chansons communistes (Jeunesse Ardente, un régal !), nous explique qu'une “descente“ est une visite nocturne d'une tente féminine communiste, acte passible de renvoi de ladite colonie de vacances communiste… le texte, fluide, devient
« petit poème épique, parlé, chanté, scandé ». Invités par l'ami et mentor Phil Costing, nous dînons ensemble après le spectacle. David Lescot aime aussi le jazz. Auteur, acteur, guitariste, il joue de la trompette et a signé la musique du “Prince“ de Machiavel mis en scène par Anne Torres. L’un de ses textes, “L’instrument à pression“ bénéficia du concours d’un autre trompettiste, Médéric Collignon. Lorsqu’on lui demande quel est son disque de jazz préféré, David répond “Out Front“ de Booker Little. L’excellent choix d’un homme de goût.

VENDREDI 7 novembre
Arbitré par Alex Dutilh, débat à la rédaction de Jazzman autour du nouveau disque de Simon Goubert et d’une très bonne bouteille de Bordeaux. Sur la photo de droite, Vincent Bessières donne son point de vue à Christophe Marguet, musicien invité à débattre. Comme l’est Jean-Marc Gelin, collaborateur de jazzman et animateur des “Dernières nouvelles du Jazz“  http://www.lesdnj.com/, excellent blog consacré à sa musique préférée.


Revu en DVD “Ubu Roi“ pièce qu’Alfred Jarry publia en 1896 et qui fit scandale dès sa première représentation au Théâtre de l’Oeuvre le 10 décembre de la même année. Jean-Christophe Averty en fit un film cathodique en 1965. Non sans tohu-bohu. Les propos que Jarry fait tenir à ses personnages ne pouvaient que déplaire à une bourgeoisie hypocrite et bien pensante. J’avais treize ans et mon professeur de français s’était bien gardé de nous parler du père Ubu, officier de confiance du roi de Pologne Venceslas qui conspire et assassine ce dernier, passe à la trappe nobles, magistrats et financiers, et parcourt le pays rançonner les paysans dans son « voiturin à phynances ». La dernière demi-heure contient quelques longueurs, mais il fallait toute l’imagination d’Averty pour mettre en scène une armée de personnages ubuesques et à les faire entrer dans le petit écran. Les trucages, cornegidouille!, gardent un charme que n’aurait pas désavoué le grand Georges Méliès.


SAMEDI 8 novembre
La rédaction d’une chronique sur Bill Evans destinée prochainement à ce blog, m’incite à réécouter les concerts que le pianiste donna au Village Vanguard de New York en juin 1961, onze jours avant la disparition de Scott La Faro. Il y occupe une place de choix, dialogue d’égal à égal avec Evans qui mettra cinq ans à retrouver un contrebassiste possédant un semblable jeu mélodique, Eddie Gomez bénéficiant toutefois des progrès d’amplification dont bénéficie son instrument. Le même problème se posera à Evans lorsque le batteur de son trio l’abandonne en 1964. Lors des concerts du Vanguard, Paul Motian ne joue pas encore de la batterie comme il le fait aujourd’hui, mais son jeu ponctue les silences de la musique et tend déjà à un contrepoint mélodique. Le pianiste patientera jusqu’en 1975 pour retrouver un batteur pour qui l’instrument est davantage timbres et couleurs qu’accompagnement rythmique : Eliot Zigmund, orfèvre de cymbales en cristal.

Le nouveau disque du pianiste Guillermo Klein reçu ce matin m’enchante. Son foisonnement rythmique voisine avec des pièces chorales touchantes. Parmi elles, Louange à l’éternité de Jésus, adaptation particulièrement lyrique d’une œuvre d’Olivier Messiaen. Chronique prochaine dans ce blogdechoc.

Termine la journée chez Crocojazz, 64 rue de la Montagne Sainte-Geneviève. Gilles Coquempot en plein travail, s’abrite comme il peut du son de ténor énorme que Tommy Smith fait entendre dans “Live at Belleville“ nouvel album d’Arild Andersen que nous écoutons ensemble. Deux adolescents rentrent dans le magasin au moment même ou le saxophoniste souffle des notes brûlantes et se demandent effrayés, s'ils ne sont pas dans l'une des forges de Vulcain au lieu et place de l'antre très sonore d'un honorable vendeur de disques parisien.

Photos ©Pierre de Chocqueuse et Phil Costing (David Lescot
)


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2 novembre 2008 7 02 /11 /novembre /2008 15:38

Chaque dimanche, mes coups de cœur jazzistiques (élargis à des films, des livres, des pièces de théâtre…). Rencontres, visions surprenantes, scènes de la vie parisienne à vous faire partager. Suivez le blogueur de Choc…

LUNDI 27 octobre
Jamie Cullum au théâtre du Châtelet, l’un des deux seuls concerts que le chanteur donna cette année. Jamie accorda l’autre à Clint Eastwood et nous fit entendre en rappel le générique fin du prochain film de ce dernier, une chanson qui n’incita pas le public enthousiaste à quitter la salle. Il nous avait promis une invitée surprise et tint parole en nous présentant Camille, guère connue des amateurs de jazz – mais sûrement repérée par le jeune public de Jamie qui comme lui écoute aussi du funk et de la pop. On ne s’ennuie pas une seconde à son spectacle. Toujours en mouvement lorsqu’il quitte son piano – ce qui m’a permis de prendre cette surprenante photo, Jamie de dos, est à droite ; au centre Ian Thomas son batteur ; à gauche Ben Cullum, frère de Jamie tient la basse électrique - , le chanteur nous offre un show très visuel, la scène donnant un plus à ses chansons trempées dans le swing. Pour finir cette belle soirée, un petit tour au Duc des Lombards avec Yves Chamberland que les musiciens de jazz connaissent bien – ancien propriétaire du studio Davout, Yves en a enregistrés beaucoup. Dmitry Baevsky dont le saxophone alto sonne comme celui de Charlie Parker termine son set. Nous nous attardons en compagnie d’Alain Jean-Marie. Lecteur du blogdechoc, ce dernier prend des nouvelles de mon ours blanc. Je lui en suis reconnaissant.

MARDI 28 octobre
Séduit par la voix de Camille, je me procure son dernier album à la Fnac Montparnasse. Vladimir me le recommande. Il a raison, “Music Hole“ me plaît par sa fantaisie, sa fraîcheur. Il échappe à toute classification et sa musique s’envole, portée par les grandes ailes des voix. Chanté principalement en anglais, ce disque est aussi un véritable tour de force sur un plan vocal – la cinquième plage, The Monk, résume ce qu’est capable de faire cette vraie chanteuse. Aidée par quelques amis, par des voix de basse (celle de Sly Johnson apparaît au générique), les percussions « corporelles, à eau ou dans le piano » de ses invités, et grâce au re-recordings que permet le studio, Camille démultiplie sa voix, la rend légère et souple pour murmurer de délicieuses mélodies, rauque et sauvage pour chanter des rythmes d’une variété stupéfiante. Un duo avec Bobby McFerrin serait loin d’être ridicule.
Revu “Juliette des Esprits“ du maestro Federico Fellini. Un film de 1966, son premier en couleur (un beau technicolor), baroque, extravagant (la maison de Susie ressemble à l’antre d’une communauté hippie fortunée) dans laquelle le magicien Fellini éblouit. Les émois de son héroïne, petite-bourgeoise constipée (Giulietta Masina) aux fantasmes envahissants, intéressent peu. On est happé par les images (que porte la musique allègre de Nino Rota), les tenues vestimentaires de certains personnages féminins, les décors (une villa blanche ; une autre peinte de mille couleurs) dont le kitsch finit même par séduire.


MERCREDI 29 octobre
Réécoute un vieux disque de Michel Sardaby. “Caribbean Duet“ date des premiers jours du CD. Produit par François-Dominique Jouis pour son label Harmonic Records, il fut enregistré au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris en 1984 sous la direction artistique de Patrice Blanc-Francard qui signe les notes du livret. Michel dialogue avec Monty Alexander et c’est bonheur de les entendre tricoter à quatre mains une musique délicatement rythmée, fraîche comme de l’eau de source, mais qui sent bon le parfum des îles. Il existe un autre album de Michel sur Harmonic Records, un duo avec Ron Carter intitulé “Voyage“. Je l’ai perdu depuis longtemps.

JEUDI 30 octobre
Jérôme Sabbagh au Sunset. Son nouvel album reçu le matin même m’encourage à sortir. Il pleut. Le froid est tombé sur Paris. Les clients du club sont étonnamment attentifs, comme pour ne rien perdre des précieuses notes qui s’échappent du saxophone ténor. A la contrebasse, Ben Street marque un tempo solide ; à la batterie, Rodney Green
ponctue délicatement la ligne mélodique. Pas de piano, Jérôme joue donc beaucoup, articule de longues phrases tranquilles et suaves ou souffle avec rythme de courts motifs rythmiques. Avec ce trio, le même qui l’accompagne dans “One Two Three“ son nouveau disque, Jérôme nous régale de standards célèbres ou oubliés : Conception de George Shearing, Stella by Starlight, Tea for Two, sans oublier Ugly Beauty et Ask me Now de Monk. Il fait chanter leurs mélodies, leur donne un swing fluide et beaucoup d’élégance.

VENDREDI 31 octobre
Je retrouve Ronnie Lynn Patterson et Anne sa femme dans un café. Nous parlons de William Faulkner et du Sud qu’il connaît mieux que moi. Je termine “Descends, Moïse“, un recueil de nouvelles. Il contient L’Ours dont j’ai parlé la semaine dernière, mais aussi le nostalgique Automne dans le Delta et Le Feu dans le Foyer, pièce importante du puzzle faulknérien, car éclairant la généalogie des Mac Caslin, la famille la plus grande et la plus complexe de la saga. « Dans aucun ouvrage mieux que “Descends, Moïse“, Faulkner n’a traité du problème des relations entre Noirs et Blancs issus du même sang, nés sur une même terre, unis par une même mémoire » a écrit Michel Mohrt, responsable de l’“Album Faulkner“ de la Pléiade. Comme on le voit sur la photo, Ronnie Lynn travaille toujours d'arrache-pied à son concert du New Morning. Il en donne peu, n’a pas d’agent pour lui trouver des engagements et cherche désespérément à jouer davantage. Envoyez-lui un mail musiques2@free.fr  si vous pouvez faire quelque chose.

Photos ©Pierre de Chocqueuse

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26 octobre 2008 7 26 /10 /octobre /2008 10:14

Chaque dimanche, mes coups de cœur jazzistiques (élargis à des films, des livres, des pièces de théâtre…). Rencontres, visions surprenantes, scènes de la vie parisienne à vous faire partager. Suivez le blogueur de Choc…

LUNDI 20 octobre
Quelques disques m’attendent à la rédaction de Jazzman. Celui de Theo Bleckman - douze chansons de Charles Ives arrangées par le chanteur et le groupe Kneebody – sort du lot. Sortie française le 30 octobre. Le soir, dans l’auditorium de la SACEM, projection d’un documentaire de 90 minutes sur Martial Solal en présence de ce dernier et du réalisateur Michel Follin. Le pianiste revient sur sa longue carrière, commente les images d’archives et de concerts qui défilent sur la grande fenêtre de sa maison de Chatou. Ne manquez pas ce film diffusé sur Arte le lundi 3 novembre à 22 heures 45. On se bouscule au cocktail qui suit la projection. Buffet chic et champagne choc pour quantité de journalistes affamés et assoiffés. Martial discute avec son ami André Hodeir. Une photo s’impose. Ils acceptent avec plaisir.
 

MARDI 21 octobre
Travaux d‘écriture pour Jazzman. J’ignorais que Charles Ives avait composé 153 chansons. La réédition japonaise d’un vieux CD de Richard Beirach récemment trouvé à la Fnac Montparnasse, (“Elegy for Bill Evans“ avec George Mraz et Al Foster) m’enchante. Dans la soirée, je croise mon musicien en armure entre les bras d’infirmiers maousse costauds. Dans une salle de l’Usine Spring Court dans le 11ème, Daniel Yvinec doit dévoiler les programmes de la saison 2009/2010  du prochain ONJ dont il est directeur artistique pour trois ans. Rencontrant Daniel Humair, je lui montre une photo prise quelques jours auparavant dans un café parisien, celle d’un Super Baby dont le cœur plastifié fait méchamment Boum. Daniel en est tout retourné. Constitué de jeunes musiciens –  Yvinec en a auditionné 150 en deux mois ! - , l’Orchestre National de Jazz, qu’il souhaite transformer en laboratoire de création musicale, démarre trois projets spécifiques. Le premier autour de la voix de Robert Wyatt, enregistré a capella (la musique sera arrangée par Vincent Artaud) ; le second “Broadway in Satin“, autour de Billie Holiday avec Alban Darche comme arrangeur ; enfin la mise en musique de certaines scènes du “Carmen“ de Cecil B. DeMille (1915), projet auquel seront conviés Bernardo Sandoval et Benoît Delbecq. Pas le temps de découvrir les musiciens de ce nouvel ONJ, je fonce au New Morning. Ronnie Lynn Patterson s’y produit avec Stéphane Kerecki à la contrebasse et Louis Moutin à la batterie. Il subjugua ses auditeurs par son lyrisme, ses choix harmoniques tout droit venus du cœur.

 

MERCREDI 22 octobre
Chroniques pour Jazzman, Molly Johnson (elle sera au Duc des Lombards les 14 et 15 novembre), Aaron Parks, pianiste prometteur qui vient de sortir un premier album sur Blue Note. Je réécoute les Sun Bear Concerts de Keith Jarrett. Ce dernier jouait alors un étonnant piano, inventait constamment de nouvelles idées mélodiques. Découverte d’un disque de Ralph Alessi de 2002 “This Against That“ sur RKM Music, label de Ravi Coltrane (ne pas confondre avec le disque qui a fait l’objet du “Débat“ du numéro d’octobre de Jazzman). Alessi a composé une musique d’une grande intelligence tant sur le plan des rythmes que de l’harmonie. Outre sa trompette, clarinette, guitare et piano lui donnent une grande variété de couleurs.
 

JEUDI 23 octobre
Déjeuner chez Guillaume de Chassy à Bourg-la-Reine. Une petite maison parmi d’autres dans une rue tranquille. Mel, son épouse nous a préparé un excellent repas. Nous parlons de son prochain disque, enregistré à New York avec Daniel Yvinec, Paul Motian et Mark Murphy. Guillaume me conduit au rez-de-chaussée et, assis à son piano, me fait écouter du Brahms (les 10 intermezzi pour piano joués par Glenn Gould). Un bon moment passé ensemble. Revu “Le Masque de Dimitrios“, film que Jean Negulesco réalisa en 1944 avec Peter Lorre et Sydney Greenstreet. Déception, le film trop bavard vieillit mal. Lorre n’est pas très crédible dans le rôle de l’écrivain et les décors artificiels respirent trop le studio. Mieux vaut relire l’excellent roman d’Eric Ambler dont le film est tiré.

 

VENDREDI 24 octobre
Enfin en DVD, et pour un prix modique, “The Pillow Book“ de Peter Greenaway (dont “Le ventre de l’architecte“ vient aussi de paraître). Le metteur en scène britannique hérisse pas mal de monde, mais l’histoire de Nagiko en quête d’un amant-calligraphe qui transformera son corps en livre reste un de ses meilleurs films. De bons disques au courrier. Ceux d’Arild Andersen (“Live at Belleville“) et d’Antonio Faraò (“Woman’s Perfume“) feront prochainement l’objet de chroniques dans ce blog. Terminé la lecture de “Jefferson Mississippi“, anthologie de textes de William Faulkner réunis par Michel Mohrt et publiés par le Club du meilleur livre en 1956. L’ours, la plus longue nouvelle de ce florilège, comprend une phrase de 1600 mots (avec une parenthèse de plus de deux pages).
 

SAMEDI 25 octobre
Bill Carrothers trio au Sunside (avec Nicolas Thys à la contrebasse et Dre Pallemaerts à la batterie). La musique reflète la cohésion du groupe car le pianiste expérimente, change sans cesse sa manière de jouer, greffe des accords nouveaux sur les morceaux qu’il interprète. Il peut égrainer de belles notes perlées, imaginer une ligne mélodique d’une grande poésie ou tout aussi bien adopter un jeu en accords, presque staccato, puissant dans les graves qu’il fait gronder comme l’orage. Son premier concert parisien, il le donna en 1996 à la Villa, défunt club de la rue Jacob. Dany Michel (sur la photo avec Bill) en assurait la programmation. Philippe Ghielmetti, qui a produit plusieurs albums du pianiste (le dernier avec le violoncelliste Matt Turner chroniqué dans ce même blog) assistait au concert. Un petit tour au Duc des Lombards pour écouter le grand Roy Haynes et ses musiciens dans In a Sentimental Mood, la mélodie idéale pour terminer la nuit.

Photos ©Pierre de Chocqueuse

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