Décembre. Le fond de l'air est froid, Noël brille au loin comme une banquise. L’ennemi c’est bien sûr ce coronavirus qui se promène et se transforme. Le variant delta fait déjà des dégâts. Encore plus inquiétant, le variant omicron risque de confiner à nouveau la planète si nous ne respectons pas les gestes barrières. Le lavage fréquent des mains et le port du masque ne nous dispense pas de nous faire vacciner. Évitant de m’exposer, j’avoue moins fréquenter les clubs et les salles de concert qui ont pourtant besoin de nous. Sortez, mais soyez prudents.
Le samedi 27 novembre, Arnaud Merlin accueillait au 104 dans le cadre de Jazz sur le Vif le Happy Hours Quartet de Christophe Marguet. Avec lui, le trompettiste et joueur de bugle Yoann Loustalot, le pianiste Julien Touéry et Hélène Labarrière à la contrebasse pour jouerles belles et allègres compositions du batteur qui toutes bénéficient d’arrangements soignés.
Une excellente première partie pour introduire après un court entracte le nouveau trio de Marc Copland, aujourd’hui l’un des plus grands pianistes de la planète jazz. Accompagné par le bassiste anglais Phil Donkin à la contrebasse (né en 1980) et le batteur allemand Jonas Burgwinkel (né en 1981), Marc, en totale osmose avec ses jeunes musiciens, se surpassa et joua son meilleur piano. Interprétant standards et compositions originales, il les habilla d’harmonies rêveuses et flottantes, de notes tintinnabulantes, son toucher d’une grande finesse et son jeu de pédales favorisant leur scintillement, une mélodie devenant ainsi prétexte à d’inépuisables variations de couleurs harmoniques.
Après une telle prestation, je ne pouvais que le féliciter et lui offrir mon livre, “De la musique plein la tête”, qui vient de paraître aux Éditions Les Soleils Bleus. J’y raconte ma découverte du jazz dans les années 70 après celle d’une pop musique qui, devenant adulte, fut la musique de ma jeunesse. Critique de rock pour le magazine Best, organisateur de concerts pour étudiants désargentés, batteur mondain, attaché de presse puis label manager chez Polydor – ce qui m’amena à m’occuper des Bee Gees, Ringo Starr, des Who, mais aussi de Philip Glass, Amanda Lear, Ella Fitzgerald et Chick Corea –, j’ai eu la chance de vivre à une époque qui vit naître une contre-culture militante, un bouillonnement de musiques tel que l’on en a jamais connu depuis, des années bénies où tout était généreux, permissif, et plus libre. Ce livre dans lequel, une fois n’est pas coutume, je raconte mon histoire, vous apprendra à mieux me connaître. On peut le commander en librairie, mais il est également en vente 15 euros hors frais de port sur le site de l’éditeur www.lessoleilsbleus.com qui vous en donne à lire les premières pages.
J’apprends le décès de Stephen Sondheim, l’un des derniers (voire le dernier) des grands compositeurs de comédies musicales, à l’âge de 91 ans. Il fut également le parolier de Leonard Bernstein pour “West Side Story”. Ses belles pages de musique ont souvent fait le bonheur des jazzmen qui se sont emparés de ses mélodies pour en faire des standards. La chanteuse Cyrille Aimée qui lui a consacré sur Mack Avenue un album en 2019 (“Move On”) sera au Duc des Lombards les 14 et 15 décembre. Quelques jours plus tôt, le 10 et le 11, Melody Gardot et le pianiste Philippe Powell y donneront quatre concerts. Cyrille Aimée et Melody Gardot sont aussi à l’affiche de la 18èmeédition de You & The Night & The Music le 13 décembre salle Pleyel, avec (entre autres) Jamie Cullum, Thomas de Pourquery & Supersonic, et Kyle Eastwood. L’orchestre de cérémonie est cette année l’Amazing Keystone Band et l’invité d’honneur Michel Portal.
D’autres concerts interpellent en décembre. Au Bal Blomet le 9, André Ceccarelli (batterie), Pierre-Alain Goualch (claviers) et Diego Imbert (contrebasse) nous offriront leur version en trio de “Porgy & Bess” – l’album vient de paraître sur Trebim Music. Attendu également au Bal Blomet le 15, Fabien Mary et le Vintage Orchestra. À l’Ecuje, nouvelle salle de concert dont je vous ai déjà parlé, Olivier Hutman (piano) et Stéphane Belmondo (trompette et bugle) rendent hommage à Chet Baker le 16. Au New Morning, deux excellents quartettes à ne pas manquer. Celui du saxophoniste Pierrick Pédron le 9 et celui du batteur Daniel Humair le 16. Toujours au New Morning, le pianiste Laurent Coulondre rendra hommage en sextet à Michel Petrucciani le 21.
À partir du 17 décembre et jusqu’au 8 février, le Sunset fête ses 40 ans avec une programmation exceptionnelle et une soirée anniversaire au Théâtre du Châtelet le 28 janvier. En attendant, ne manquez pas le Belmondo Quintet au Sunside du 18 au 20 et les Voice Messengers les 26 et 27, ces derniers également au programme de You & The Night & The Music le 16 à Pleyel. Enfin la Philharmonie célèbre Sonny Rollins les 8 et 9 décembre, avec la saxophoniste Géraldine Laurent, mais aussi David El Malek (saxophone ténor), Céline Bonacina (saxophones baryton et soprano), Laurent de Wilde (piano), Ira Coleman (contrebasse) et Billy Drummond (batterie). Sortez, mais soyez très prudents.
Vous l’avez probablement constaté : ce blog est resté longtemps en sommeil. À cela, plusieurs raisons, la principale étant le peu d’envie que j’éprouve actuellement à écrire sur le jazz. La fermeture des clubs et des salles de concert depuis la fin du mois d’octobre a considérablement ralenti l’activité musicale d’une année 2021 assez pauvre en disques qui interpellent, la technique, l’indéniable savoir-faire des musiciens, ne compensant pas toujours le manque d’originalité de leur musique. Une certaine lassitude m’envahit à l’écoute des très nombreux CD(s) que je reçois. Toutefois, les bonnes surprises existent, preuves que le jazz, musique savante, n’a pas fini de produire des œuvres et de nous étonner, qu’actualisée et dynamisée par les jazzmen d’aujourd’hui, elle n’est pas prêt de disparaître.
Si les nouveaux disques du Trio Tapestry et de Vijay Iyer pour ECM m’ont enthousiasmé et que la parution de “Coming Yesterday”, album rassemblant les meilleurs moments du concert que Martial Solal donna Salle Gaveau, le 23 janvier 2019, reste son incontournable « testament musical improvisé », “Parabole” (Jazzdor), un album solo de Grégory Ott, pianiste strasbourgeois que je ne connaissais pas, m’a également beaucoup séduit.
Dix ans après “Reflets”, disque récompensé en 2011 par le Prix du Disque Français de l’Académie du Jazz, le saxophoniste Michel El Malem en a enregistré un second, “Dedications” sur Inner Circle Music, le label de Greg Osby, qui est tout aussi bon que le premier. Baptiste Bailly, un jeune pianiste que vous n’êtes certainement pas nombreux à connaître, sort prochainement sur le label Neukland un opus en solo qui intègre de légères textures électroniques, des sons d’orgue et de synthétiser. Intitulé “Suds”, il mérite une écoute attentive. Enfin, François Zalacain m’a fait savoir que Nick Sanders, un autre jeune musicien sur lequel je ne taris pas d’éloges, a enregistré pour Sunnyside un album solo qui paraîtra en fin d’année. Ces disques et quelques autres, moins d’une dizaine, j’essayerai de vous en parler brièvement.
La dernière décennie fut riche en évènements, en découvertes. Ce blog qui existe depuis bientôt treize ans en a rendu compte, contribué à les faire connaître, ce qui m’a donné l’envie de rassembler dans un livre certaines de mes chroniques. Révéler de nouveaux talents ayant toujours été mon intention première, j’y privilégie des jazzmen peu médiatisés qui peinent à se faire entendre, aborde des sujets qui me tiennent à cœur, raconte le jazz et le questionne : Peut-il exister sans swing ni racines ? Est-il devenu la nouvelle musique contemporaine ? Était-il plus créatif auparavant ? Vous y trouverez des axolotls, des ermites, des drôles de drames, des considérations sur Duke Ellington, Stan Getz, Boris Vian, André Hodeir, Henri Dutilleux et sur la modernité des Heures persanes. Intitulé “De Jazz et d’Autre”, l’ouvrage est prêt. Reste à trouver un éditeur, ce qui est loin d’être gagné.
Il survient parfois des miracles et c’est un autre de mes textes, longtemps remisé dans un tiroir, qui verra le jour à la rentrée. “De la Musique plein la tête” à paraître aux Éditions Les Soleils Bleus raconte ma jeunesse turbulente et mon parcours dans la musique, de mes années rock’n’roll à ma découverte du jazz dans la seconde moitié des années 70. Un parcours qui me mènera à intégrer la rédaction de Jazz Hot après quatre folles années au sein des disques Polydor.
Je profite de la réouverture des clubs le 9 juin (avec jauge réduite et respect des protocoles sanitaires) pour vous inviter à sortir écouter du jazz, en prenant bien sûr toutes les précautions possibles. Le 22, la pianiste Nathalie Loriers se produira en trio avec la saxophoniste Tineke Postma (lauréate du Prix du Jazz Européen 2020 de L’Académie du Jazz) et Nic Thys à la contrebasse au Studio de l’Ermitage (20h00). Leur nouveau disque s’intitule “Le Temps retrouvé” et sort sur le label Igloo. Ne manquez pas non plus l’immense Fred Hersch au Bal Blomet les 25 (20h00) et 26 juin (19h00). On se laissera également tenter par les concerts au Sunside du duo Laurent de Wilde / Ray Lema les 15 et 16 juin (19h00 et 21h00). Nos deux complices y fêteront la sortie de “Wheels”, subtil dosage de jazz, de classique et de musique africaine enregistré sur deux Steinway. Apprenez aussi que le 24 juin, Alexandre Saada interprètera au Sunside (19h00 et 21h00), le répertoire de “Songs for the Flying Man”, un disque qui, l’an dernier, ensoleilla mon confinement. Quant au Duc des Lombards, il accueillera le trio du pianiste Franck Amsallem les 11 et 12 juin (trois sets par soir, 19h00, 20h15 et 21h30). Portez des masques et faites-vous vacciner. On n’est jamais assez prudent.
Mars. Après plus de deux mois n’inactivité, ce blog redémarre avec les mauvaises nouvelles que vous connaissez déjà. C’est d’abord la disparition de Chick Corea, emporté le 9 février à l’âge de 79 ans par une forme rare de cancer. Je l’avais revu à la Philharmonie il y a un an, le 2 mars 2020, après son concert donné avec Christian McBride et Brian Blade. Passant du temps avec lui dans sa loge, nous avions échangé des souvenirs sur “The Mad Hatter” et “My Spanish Heart”, un disque qui lui tenait particulièrement à cœur et dont j’avais assuré la promotion chez Polydor lors de sa sortie en 1976. Chick avec son humour pince sans rire, sa fantaisie de chapelier fou, avait l’humilité des grands.
Claude Carrière : son nom et son prénom commencent par la lettre C, la troisième de l’alphabet. Comme Chick Corea. Curieux hasard qui les voit disparaître le même mois de la même année, Claude le 20 février, onze jours seulement après un musicien dont il aimait beaucoup le piano. Né à Rodez le 14 mars 1939, Claude avait fait partie de l’équipe de Jazz Hot dirigée par Laurent Godet. Avec son complice Jean Delmas, il créa en 1982 le Jazz Club, une émission qu’il conserva jusqu’en 2008, année au cours de laquelle la direction de Radio France l’en écarta, ce dont il fut profondément affecté.
Maurice Cullaz me le présenta en 1985. Je venais de rentrer à l’Académie du Jazz et Claude, de treize ans mon aîné, y était déjà écouté, Maurice se reposant déjà sur lui pour la bonne marche d’une institution alors quelque peu poussiéreuse dans laquelle il imposait ses choix. Je pris vite l’habitude de le seconder dans cette tâche et lorsqu’il devint lui-même Président en 1993, j’ai bien sûr continué de travailler avec lui.
Une rencontre fortuite à Fontainebleau m’avait permis de mieux le connaître. Avec Philippe Bourdin, nous avions l’habitude de nous y rendre fréquemment en train afin de récupérer les nouveautés que distribuait DAM, société dont s’occupait le sympathique André Turban. Du jazz, mais aussi de la musique brésilienne, DAM en étant alors le principal importateur français. Claude faisait de même. Nous nous y retrouvâmes par hasard et il me ramena en voiture à Paris ce jour-là. J’eus droit à de la musique de Duke Ellington pendant tout le trajet, découvrant par là même sa passion pour un musicien sur lequel il était intarissable. Il m’avait alors demandé combien de ses disques je possédais. N’en ayant qu’une dizaine, il m’avait affirmé que ce n’était pas assez et qu’un amateur de jazz se devait d’en avoir dix fois plus. N’écoutant pas la radio à cette époque, j’ignorais qu’entre 1976 et 1984 il avait diffusé l’œuvre intégrale du Duke et consacré 400 émissions à son idole.
Lorsqu’en 1994 j’entrepris la rédaction de “Passeport pour le jazz”, livre coécrit avec Philippe Adler et édité l’année suivante, c’est à Claude et à Christian Bonnet que je demandai conseil. Ce dernier me donna des renseignements sur les grands enregistrements de la « swing era ». Outre ceux qu’il me livra sur Duke Ellington, Claude me fit connaître des disques importants de Fletcher Henderson et Jimmy Lunceford, musiciens que je connaissais mal, et me fit gagner un temps précieux.
Jusqu’en 2005, année au cours de laquelle François Lacharme devint à son tour Président de l’Académie du Jazz, je le retrouvais chaque année chez lui, rue de Charonne, afin de mettre sous pli les invitations de notre remise des prix. Nous terminions la soirée chez Melac, restaurant aveyronnais que Claude appréciait. Outre notre Assemblée Générale annuelle qui se tenait aux « Broches à l’Ancienne », nous nous donnions rendez-vous en décembre, rue Joubert, chez Mimi Perrin, pour voter le Prix du Jazz Vocal dont elle présidait la commission.
Les années passant, je le vis moins souvent. Toujours élégant, il présidait l’Association Grands Formats et avec Christian Bonnet avait fondé la Maison du Duke. Par sympathie, j’en devins adhérent, sans toutefois assister aux nombreuses conférences qu’il y donnait régulièrement. Avec l’excellent guitariste Frédéric Loiseau et la jeune chanteuse Rebecca Cavanaugh, il avait monté un petit orchestre dont il était le pianiste. Outre Duke Ellington, Claude admirait Fred Hersch dont il manquait rarement les concerts. Il me fit écouter plusieurs de ses disques, me fit comprendre l’importance du musicien et découvrir la richesse de son piano. Il continuait également à s’occuper de rééditions discographiques. Après la collection Masters of Jazz pour laquelle il avait réalisé une intégrale de Charlie Christian en neuf volumes et de nombreuses compilations pour Francis Dreyfus, il était responsable depuis 2007 de la collection Original Sound Deluxe chez Cristal Records. Un coffret consacré à Nat King Cole en 2019 fut son dernier travail.
En tant que Président d’Honneur de l’Académie du Jazz, Claude était de facto membre du Bureau qui se réunissait ces dernières années à mon domicile du Boulevard Beaumarchais. J’ai des photos de lui avec Christian Bonnet et ce n’est pas sans émotion que je les regarde. Ils sont probablement là-haut avec le Duke, assistant à un concert inoubliable de son orchestre, Claude au premier rang pour mieux respirer les parfums capiteux de sa “Perfume Suite”, s’extasier sur cette musique ellingtonienne que le ciel accorde d’écouter à ceux qui l’ont beaucoup aimé.
Décembre. Tenus en laisse avec une corde vingt fois plus longue – nous pouvons nous déplacer dans un rayon de vingt kilomètres autour de notre domicile depuis le samedi 28 novembre –, nous passerons les fêtes en semi-liberté, évitant par prudence de nous rassembler, prenant soin de limiter les contacts physiques avec nos proches les soirs de réveillons. Mais qui a vraiment envie de faire la fête après une année pareille ? Une année que l’on n’avait encore jamais connue et qui laisse le pays sinistré, la culture exsangue d’avoir été si longtemps bâillonnée. « Viens voir les comédiens, voir les musiciens, voir les magiciens » chantait Charles Aznavour. Le public confiné, les spectacles interdits, on les a malheureusement très peu vus et entendus en 2020.
Les théâtres, musées, cinémas et salles de concerts reprendront leurs activités le 15 décembre. Une bonne nouvelle, mais l’instauration ce jour-là d’un nouveau couvre-feu entre 21h00 et 7h00 du matin, et ce jusqu’au 20 janvier, restreint leurs heures d’ouverture. Les clubs de jazz vont devoir aménager leurs horaires en conséquence, ce qu’ils ont déjà fait en octobre. Concerts avancés à 17h00 et 19h00 au Sunside le 19 décembre pour le New Monk Trio de Laurent de Wilde, à 16h00 et 19h00 les 26 et 27 pour le trio de Jacky Terrasson. Le Duc des Lombards reste fermé mais retransmet à 20h00 des concerts en direct sur TSF Jazz, la radio se trouvant dans l’impossibilité d’organiser You & The Night & The Music, son gala annuel. Vous pourrez ainsi écouter le 9 décembre Baptiste Herbin et le 16 le Belmondo Quintet. Le New Morning reprend ce jour-là ses activités, mais redémarrer ma rubrique « Quelques concerts qui interpellent » me semble prématuré. Tous peuvent être encore annulés, de nouvelles restrictions annoncées. On consultera les programmes des clubs sur internet avant de s’y précipiter.
Avant la mise en sommeil de ce blog autour du 20 décembre, vous découvrirez mes Chocs de l’année, treize disques que je place au-dessus des autres. Un choix difficile car si le virus a considérablement ralenti le travail des studios d’enregistrement, beaucoup de disques sont sortis en 2020. Mes chroniques ont été plus nombreuses que d’habitude, surtout cet automne. Profitant du confinement, certains pianistes ont enregistré leurs albums à domicile, Fred Hersch dans sa maison de Pennsylvanie et Jean-Christophe Cholet dans celle qu’il possède à Paucourt dans le Loiret. Quant à Brad Mehldau, il a réalisé le sien dans un studio d’Amsterdam, les douze morceaux de sa “Suite : April 2020” reflétant ses sentiments devant une pandémie qui allait le contraindre à changer ses habitudes. J’attends la sortie de “Songs from Home” de Fred Hersch le 11 décembre pour réunir ces trois disques solo dans un article que vous trouverez prochainement dans ce blog. Merci de lui être fidèle.
Le 13 octobre, le président de la République annonçait un couvre-feu applicable dès le 16 à minuit en Ile-de-France et dans huit métropoles particulièrement touchées par la covid 19. Dès le lendemain, contraints de fermer leurs portes à 21h00, les clubs de jazz aménageaient leurs horaires en conséquence et annulaient une partie de leurs concerts. Le Duc des Lombards optait pour une fermeture provisoire et après avoir organisé quelques concerts à 18h30, le Sunset-Sunside décidait de limiter sa programmation aux week-ends. Le 23 octobre à minuit le couvre-feu était élargi à trente-huit autres départements et le mercredi 28, le président de la République décrétait un confinement général à partir de minuit le lendemain pour une durée minimum d’un mois. Aurait-il pu faire autrement ? Pas sûr face à une épidémie galopante et des hôpitaux très bientôt surchargés. Je n’aurais vraiment pas aimé être à sa place, mais entre perdre des vies et des emplois, la seconde option s’imposait. Rien n’est plus précieux qu’une vie humaine et il devenait urgent d’en sauver.
Malheureusement, la culture se voit une nouvelle fois sacrifiée. On aurait certes pu laisser les librairies ouvertes, les disquaires indépendants travailler. Beaucoup ne s’en relèveront pas. Les clubs de jazz à nouveau fermés, ma rubrique “Quelques concerts qui interpellent” réactivée le mois dernier n’a donc plus de raison d’être. Quant aux disques qui devaient être commercialisés en novembre et en décembre, leur sortie sera probablement repoussée. Mes prochaines chroniques porteront donc sur des albums qui étaient disponibles à la vente jusqu’au 29 octobre, dernier jour de liberté avant le confinement. Ce jour-là, les magasins purent exceptionnellement mettre en rayon les disques qui devaient paraître le lendemain.
C’est ce que fit Gibert Joseph, qui dès le 29 proposait à ses clients le “Budapest Concert” de Keith Jarrett, un double CD ECM qui contient des moments inoubliables, les deux standards joués en rappel, It’s a Lonesome Old Town et Answer Me, My Love, justifiant à eux seuls son achat. Ces deux morceaux, Jarrett les interpréta quelques jours plus tard, le 16 juillet 2016, au Philharmonic Hall de Munich. Ce sont les enregistrements les plus récents de sa discographie. Le 21 octobre, le New York Times révélait que, victime de deux attaques cérébrales en février et mai 2018, le pianiste, la partie gauche de son corps paralysée, ne pourrait plus jamais donner de concerts.
Depuis qu’un anévrisme au cerveau faillit lui coûter la vie en 2015, Joni Mitchell n’est plus remontée sur scène. Il est également très improbable qu’elle enregistre à nouveau, mais elle nous révèle aujourd’hui une partie de ses archives, cinq CD(s) de démos, broadcasts radio et enregistrements live couvrant les années 1963-1967 qui témoignent de l'importance de la jeune folk singer qui a donné tant de standards au jazz (“Archives Vol.1 : The Early Years” - Rhino / Warner). D’autres volumes sont prévus. On ose espérer des faces inédites avec Jaco Pastorius, Herbie Hancock, Pat Metheny, Michael Brecker avec lesquels elle travailla dans les années 70.
En attendant, je me confine, des films, des disques et des livres ensoleillant mon lazaret. Dépassant le millier de pages, la récente publication en français de l’autobiographie de Ramón Gómez de la Serna, “Automoribundia” (Éditions Quai Voltaire), devrait m’y aider. Le confinement me laissera également le temps de poursuivre mon étude sur le jazz et le cinéma commencée le 11 mai dernier. En décembre, je vous révélerai mes Chocs de l’année avant de remettre mon blog en sommeil pour des fêtes qui s’annoncent bien compromises. Mais nous n’en sommes pas encore là.
P/S : J’écris ces lignes dans l’attente du résultat des élections américaines. Puissent les États-Désunis d’Amérique en finir avec le pire président de son histoire.
Octobre. Triste rentrée avec le décès d’Hal Singer, parti paisiblement dans sa maison de Chatou le 18 août. Hal aurait eu 101 ans le 8 octobre. Sa très longue vie l’avait amené à jouer du saxophone dans les orchestres de Jay McShann, Willie The Lion Smith, Roy Eldridge, Don Byas, Lucky Millinder, Duke Ellington – pour citer les plus connus – et à accompagner Ray Charles, Dinah Washington, Big Joe Turner et Wilson Pickett. À Paris en 1965, il rencontra Arlette, son épouse et mère de ses deux filles. C’est par son intermédiaire que je fis sa connaissance à la fin des années 80 dans les bureaux de Jazz Hot, passage de la Boule Blanche. Une visite qu'ils rendaient à Philippe Adler alors rédacteur en chef du journal. La simplicité, la gentillesse d'Hal Singer m’avaient beaucoup touché. Arlette s’occupait de ses affaires et en janvier 1992, je la retrouvai dans mon bureau de la FNAC Music, rue du Cherche-Midi.
Deux ans plus tôt à Moscou, Hal avait tenu l’un des rôles principaux de “Taxi Blues”, un film de Pavel Lounguine que le festival de Cannes avait récompensé en 1990 en lui attribuant le Prix de la Mise en Scène, et il souhaitait enregistrer un nouveau disque à New York. J’obtins l’accord de la FNAC pour le sortir sur leur label, mais, trop occupé pour m’y rendre moi-même, je confiai à François Lacharme le soin de superviser la séance et de le produire pour Asi’s House, la société de production d’Arlette. Entouré d’excellents musiciens – Steve Turre (trombone), Richard Wyands (piano), Lisle Atkinson (contrebasse) et Earl Williams (batterie) –, “No Rush” est le dernier grand album d’Hal Singer. Je ne suis pas peu fier d’en avoir été le producteur exécutif et d’en avoir permis la sortie. Hal m’avait alors très gentiment dédicacé ses mémoires co-écrites avec son épouse.
Resté en relation avec Arlette, j’eus le bonheur d’assister le 5 octobre 2014 au dernier concert public qu’il donna à Paris dans la salle de concert des Ateliers du Chaudron. Accompagné par ses amis Steve Potts, Alain Jean-Marie, Darryl Hall et Sangoma Everett, Hal fêtait alors avec quelques jours d’avance son 95ème anniversaire. Je lui rendis visite avec Bénédicte l’année suivante. Cet homme délicieux avait alors perdu la vue, mais il vivait heureux avec ses souvenirs dans cette maison de Chatou qu’il occupait avec Arlette depuis 2002. Cet édito lui est dédié.
Tristesse également avec la disparition de Gary Peacock le 4 septembre. Né à Burley (Idaho) en 1935, bassiste de Paul Bley et plus occasionnellement de Bill Evans (“Trio ‘64”), il voyagea beaucoup, faisant le tour du monde au sein du trio de Keith Jarrett. Il vécut quelques années au Japon, curieux de sa culture, de sa langue, apprenant à la parler couramment. La belle plume de Francis Marmande lui a consacré un article détaillé dans Le Monde*, mais c’est Marc Copland, le pianiste de ses derniers albums, qui lui rend dans le magazine en ligne Citizen Jazz** l’hommage le plus émouvant. Marc connaissait depuis 1983 le contrebassiste qui « heureux quand la musique était bonne » nous transmettait sa joie.
C’est la rentrée, une rentrée masquée. Ce n’est pas sans crainte que l’on fréquente les lieux publics, que l'on retourne au concert. Les jazzmen américains pouvant difficilement arriver jusqu'à nous, les clubs de jazz ouvrent plus largement leur programmation aux musiciens français. Comme chaque année, ceux de Paris Ile-de-France font leur festival. L’édition 2020 de Jazz sur Seine rassemble 20 clubs et propose 150 concerts. Ma rubrique « Quelques concerts qui interpellent » qui redémarre ce-mois-ci est partiellement consacrée aux plus intéressants. Jazz en Tête est l’autre festival d’octobre à ne pas manquer. Célèbre pour ne programmer que du jazz qui ressemble à du jazz, le festival clermontois fête cette année ses 33 ans d’existence et s’ouvre au « jazz monde », au flamenco, aux rythmes et aux couleurs de Cuba, du Brésil et d’Afrique.
*Le Monde du vendredi 11 septembre. Passant sa carrière et sa discographie en revue, Francis Marmande ne parle pas de Tethered Moon, trio réunissant autour de Gary Peacock le pianiste Masabumi Kikuchi et le batteur Paul Motian. Sept albums enregistrés entre 1990 et 2002, ce n’est pas rien !
QUELQUES CONCERTS ET QUELQUES DISQUES QUI INTERPELLENT
Reprise de cette rubrique interrompue le 17 mars par le confinement général. Nombreux sont les disques qui devaient paraître au printemps et qui sortent aujourd’hui, d’où le grand nombre de « concert de sortie d’album » que proposent les clubs ce mois-ci. Si vous ne craignez pas un virus toujours actif et dangereux, sous réserve d'annulations (de nouvelles mesures restrictives imposent la fermeture des bars à 22h00 à partir du lundi 28 septembre et pour quinze jours), n’hésitez pas à vous y rendre avec vos masques, aussi indispensables aujourd’hui que vos clefs et votre portefeuille.
Entré en vigueur le vendredi 16 octobre à minuit, le couvre-feu a contraint certains clubs à modifier leurs horaires, le Duc des Lombards annonçant sa fermeture pour six semaines. J’ai tenu compte de ces changements, mettant à jour les concerts annoncés dans ce blog. Je vous conseille toutefois de vérifier ces informations sur les sites internet des clubs avant de vous y rendre. On n’est jamais assez prudent.
-Sébastien Lovato au Sunside le 2 octobre (20h30). On l’y attendait six mois plus tôt le 2 avril pour fêter la sortie de “For Virginia” (Acel / Quart de Lune / UVM), un hommage à Virginia Woolf. Avec retard, son disque est enfin disponible ce qui ne vous dispense pas d’en écouter la musique sur scène. Après deux albums en quartet, le pianiste étoffe sa formation et change de section rythmique. Brunehilde Yvrande (slam et chant), Antoine Berjeaut (trompette, bugle), Manu Codjia (guitare), Yves Torchinsky (contrebasse), Luc Isenmann (batterie) accompagnent ses claviers (piano et fender rhodes) et donnent des couleurs à des compositions originales très séduisantes. La Pavane de Gabriel Fauré arrangée pour piano, contrebasse et batterie et une version très Nouvelle-Orléans d’Amazing Grace en sont les seules reprises.
-L’Espace Sorano de Vincennes inaugure sa nouvelle saison musicale le 3 avec Laurent Coulondre. En trio avec Linley Marthe à la basse et André Ceccarelli à la batterie, le pianiste jouera le répertoire de son album “Michel on My Mind”, Prix du Disque Français 2019 de l’Académie du Jazz. Michel, c’est bien sûr Michel Petrucciani que Laurent, plus jeune que lui, n’a jamais rencontré mais dont la musique depuis toujours fait chavirer son cœur. Son disque rassemble onze compositions de Michel, trois d’entre-elles, Memories of Paris, Looking Up et Bite, étant empruntées à son album “Music”. Laurent interprète également Les Grelots d’Eddy Louiss à l’orgue Hammond et signe quelques compositions originales dont le très beau Michel On My Mind qui donne son nom à l’album.
-Mélanie Dahan qui devait se produire au Pan Piper le 20 mars fête le 3 octobre au Sunside (19h00 et 21h00) la sortie de son disque “Le chant des possibles” (Backstage Production / L’Autre distribution). Un opus qui lui ressemble et dans lequel elle chante et célèbre des poètes sur des musiques du pianiste Jeremy Hababou qui sera avec elle sur scène. Benjamin Petit (saxophone), Marc Benham (claviers), Jeremy Bruyère (contrebasse) et Arthur Alard (batterie) qui entourent Mélanie dans l’album seront également présents.
-C’est aussi avec six mois de retard que Jean-Pierre Como présentera son album “My Little Italy” (Bonsaï Music / L’autre distribution) le 5 au Bal Blomet (20h30). Comprenant quelques compositions originales mais largement consacré à des reprises de chansons italiennes dont les belles mélodies interpellent, cet opus met en valeur la voix suave du chanteur Walter Ricci qui prolonge avec bonheur les lignes mélodiques élégantes des chorus de piano de Jean-Pierre. Superbement enregistré par Philippe Gaillot au Studio Recall (Pompignan), “My Little Italy” rassemble également Felipe Cabrera et Rémi Vignolo (contrebasse), André Ceccarelli (batterie) et Minino Garay (percussions). Tous seront présents au Bal Blomet pour en célébrer officiellement la sortie.
-Comme chaque année en octobre, à l’initiative de l’association Paris Jazz Club qui fêtera son 14ème anniversaire, les clubs de jazz de Paris et de la région parisienne font leur festival. 150 concerts, 450 musiciens et 20 clubs les accueilleront entre le 9 et le 24 octobre. C’est ce que propose la 9ème édition de Jazz sur Seine. Manifestation culturelle incontournable de l’automne, le festival maintient inchangée sa politique tarifaire. Comme l’an dernier, pour 40 euros, un « pass » à utiliser dans trois lieux différents donne accès à trois concerts. Une « offre découverte » (10 euros) est également proposée aux étudiants, demandeurs d’emploi et élèves de conservatoires. En partenariat avec l’ADAMI, une soirée Showcases (entrée gratuite selon les places disponibles) se déroulera le mardi 13 octobre dans cinq clubs du quartier des Halles afin de découvrir seize groupes ou artistes de la nouvelle scène jazz française. Développé par Paris Jazz Club, un volet d’actions culturelles (master-classes, ateliers de musicothérapie et de sensibilisation au jazz) est également proposé. Faisant l’objet de notices, les concerts signalés Jazz sur Seine (JsS) rentrent dans le cadre de cette manifestation.
-Au Sunside le vendredi 9 (à 20h30) et le samedi 10 octobre (à 20h00) le saxophoniste Baptiste Herbin, Prix Django Reinhardt 2018 de l’Académie du Jazz, jouera le répertoire de son nouvel et quatrième album, “Vista Chinesa”, enregistré à Rio de Janeiro avec d’excellents musiciens brésiliens parmi lesquels le pianiste Eduardo Farias et les saxophonistes Idriss Boudrioua et Ademir Junior. Un disque fort, trempé dans la samba, la bossa et la soul qui se referme sur un duo piano / saxophone de toute beauté. Présente sur trois plages, la chanteuse Thais Motta affaiblit un peu l'album. Je ne sais rien de Diana Horta Popoff qui la remplacera sur la scène du Sunside, mais les musiciens qui entourent Baptiste pour ce concert – Pierre de Bethmann (piano), Mathias Allamane (contrebasse) et Émile Saubole (batterie) – garantissent une soirée mémorable (JsS).
-Au Triton le 10 (20h00), Benjamin Moussay croisera un piano acoustique et un synthétiseur modulaire, deux mondes sonores qu’il fera se rejoindre, poétisant leurs timbres et révélant leurs richesses. Enregistré sur un piano acoustique, “Promontoire”, son premier album solo pour ECM, nous a récemment beaucoup séduit par la qualité de sa musique (JsS).
-Le 12 au New Morning (21h00), David Linx présentera son nouvel album “Skin in the Game” (Cristal / Sony Music), un disque au packaging très soigné et à la musique souvent enthousiasmante dont vous pourrez lire prochainement la chronique dans ce blog. Pour l’accompagner, Gregory Privat (piano), Chris Jennings (contrebasse) et Arnaud Dolmen (batterie), des musiciens qui, en osmose avec lui, contribuent beaucoup à la réussite de ce joyau de sa discographie. Guitariste invité, Manu Codjia rejoindra le groupe pour quelques morceaux sur la scène du club.
-Soirée Showcases le mardi 13 dans cinq clubs du quartier des Halles – Sunset, Sunside, Baiser Salé, Duc des Lombards et Guinness Tavern – dans le cadre du Festival Jazz sur Seine. L’entrée est libre selon la disponibilité des places. On consultera la programmation complète sur le site de Paris Jazz Club. Ne manquez pas à 19h30 au Duc des Lombards le quartette du saxophoniste Ludovic Ernault avec Manu Codjia (guitare), Enzo Carniel (piano), Florent Nisse (contrebasse) et Simon Bernier (batterie). Toujours au Duc, mais à 20h30, je vous conseille d’écouter le vibraphoniste Alexis Valet (photo) qui, avec Adrien Sanchez (saxophone) Simon Chivaillon (claviers), Damien Varaillon (contrebasse) et Stéphane Adsuar (batterie), a sorti un bien bel album l’an dernier. On se rendra également au Sunside à 21h30 pour découvrir la musique que Joachim Govin invente live dans “Present”, son nouvel opus pour le label Fresh Sound New Talent. Pour ce showcase, Ludovic Ernault remplace Ben van Gelder au saxophone, mais les autres musiciens sont ceux de l’album. La chanteuse Camille Durand (qui s’y fait entendre sous le pseudonyme d’Ellinoa), Enzo Carniel au piano, Joachim à la contrebasse et Gautier Garrigue à la batterie vous feront passer un très bon moment.
-Concert de sortie de “Remembering Jaco” (Naïve / Believe), nouvel album du Multiquarium Big Band sous la direction du batteur André Charlier et du pianiste / organiste Benoît Sourisse le 15 octobre à l’Espace Carpeaux de Courbevoie (20h45). Alignant des solistes éminents – Denis Leloup au trombone, Pierre Drevet et Claude Egéa aux trompettes, Stéphane Guillaume aux saxophones, Pierre Perchaud à la guitare pour ne citer qu’eux – l’orchestre rend hommage à Jaco Pastorius disparu depuis trente ans et invite le guitariste Biréli Lagrène qui joue sur plusieurs disques de Jaco à tenir la basse électrique. Au programme du concert et de l’album, des compositions que Jaco Pastorius enregistra avec Weather Report (Barbary Coast, Teen Town) et des morceaux de “The Birthday Concert”, “Twins”, “Invitation” et “Word of Mouth”, son album le plus célèbre (JsS).
-Le Chance Quintet d’Henri Texier au Triton le 16 (20h30). Le groupe porte le nom de son dernier album “Chance” (Label Bleu / L’Autre Distribution), l’un des plus attachant du contrebassiste. Vincent Lê Quang (saxophones ténor et soprano), Sébastien Texier (saxophone alto et clarinettes), Manu Codja (guitare) et Gautier Garrigue (batterie) avaient enregistré avec lui “Sand Woman”, toujours pour Label Bleu. Mais “Chance” est encore plus réussi. Cinecitta, Simone et Robert et Laniakea, ses ballades somptueusement orchestrées, rendent l’album inoubliable (JsS).
-Toujours le 16, mais au Sunside (20h30), le jazz de chambre lyrique et raffiné du Trio Viret interpelle également. Constitué de Jean-Philippe Viret (contrebasse), Édouard Ferlet (piano) et Fabrice Moreau (batterie), la formation a fêté l’an dernier ses vingt ans d’existence en publiant “Ivresse” sur le label Mélisse, un disque enregistré live à la Générale de Montreuil, salle dans laquelle elle donna deux concerts. On l’attendait le 17 mars au Studio 104 de Radio France. Le confinement la contraignit au silence (JsS).
-Après deux albums consacrés à William Shakespeare (“Shakespeare Songs” en 2015 sur lequel participe la comédienne Kristin Scott Thomas) et à Marlene Dietrich (“Letters to Marlene” en 2018), Guillaume de Chassy (piano), Christophe Marguet (batterie) et Andy Sheppard (saxophone) présenteront le 17 au Triton (20h30) leur nouveau projet conçu autour de textes de poètes anglais et français sur la Question Amoureuse. Les voix enregistrées de Lambert Wilson et de Delphine Lanson accompagnent dans les deux langues leur nouvelle conversation musicale dans laquelle, surgissant de la musique des mots, l’improvisation vient parfaire l’écriture (JsS).
-Raphaël Pannier au Duc des Lombards le 17 également (19h30 et 22h00) avec Baptiste Herbin (saxophone), Pierre de Bethmann (piano) et François Moutin (contrebasse). À l’exception de ce dernier, d’autres musiciens l’accompagnent dans “Faune”, le premier disque qu’il publie sous son nom et dont on parle beaucoup. Un album que le batteur a enregistré à New York, ville dans laquelle il vit depuis 2014. “Faune” (French Paradox / L’autre distribution) rassemble ses propres compositions, des morceaux d’Ornette Coleman, Wayne Shorter, Hamilton de Holanda, et des pièces du répertoire classique (Maurice Ravel et Olivier Messiaen) que Raphaël Pannier a lui-même arrangé pour un quartette de jazz. Un premier opus très mature qui s’écoute « comme une seule et grande pièce dont chaque moment est pensé, arrangé et joué dans son rapport à l’ensemble » écrit Laurent de Wilde dans ses notes de pochette (JsS). Concert annulé et reporté.
Dernière minute : Bruno Angelini (piano) et Daniel Erdmann (saxophone ténor) interpréteront le 19 à la Dynamo de Banlieues Bleues de Pantin (19h00) “La dernière nuit”, évocation de Sophie Scholl (1921-1943), jeune résistante allemande décapitée par les nazis avec son frère pour avoir imprimé et diffusé des tracts hostiles au régime et à la guerre. Souvent mélodique, la musique traduit les états d’âme de la condamnée, sa voix intérieure, ses sentiments. Les notes tendres et émouvantes du piano, le souffle expressif du saxophone expriment son espoir de vaincre la peur et d’entrer sereinement dans la mort. Vendu lors des concerts du duo, le disque, magnifique, est disponible sur les plateformes numériques (Bandcamp) et sur le site de Bruno Angeliniwww.brunoangelini.com
-Du 20 au 24 octobre, c’est aussi à Clermont-Ferrand qu’il faut se rendre pour écouter du jazz ressemblant à du jazz. Pour la 33ème édition de Jazz en Tête, Xavier Felgeyrolles a conçu un programme de qualité malgré une présence réduite de musiciens américains, la covid perturbant fortement leurs déplacements. Le guitariste Lionel Loueke en est cette année la vedette. En solo, il fait l’ouverture du festival le mardi 20, Jackie Terrasson en trio avec Sylvain Romano (contrebasse) et Lukmil Perez (batterie) se chargeant de la seconde partie du concert. Lionel Loueke vient de consacrer un disque à Herbie Hancock dont il a été le guitariste. Dans “HH” (Edition Records), il interprète en solo les compositions du pianiste, modifiant leurs harmonies pour les réinventer. On le retrouve le mercredi 21 au sein d’un All Stars comprenant le saxophoniste Jean Toussaint, le bassiste Darryl Hall et le batteur Jeff Ballard. Autres Têtes de ce Jazz en Tête, le saxophoniste Baptiste Herbin et le guitariste flamenco franco-espagnol Juan Carmona (le 22), le trompettiste catalan Raynald Colom suivit du duo Vincent Peirani / Émile Parisien (le 23) et le pianiste Iván « Melón » Lewis et son Cuban Swing Express (le 24). Tous les concerts sont à 20h00 et se déroulent dans la salle Jean Cocteau de la Maison de la Culture. On consultera le programme complet de la manifestation sur le site de Jazz en Tête.
-Matthieu Bordenave au Sunside le 21 (19h30) avec le pianiste Florian Weber et le bassiste Patrice Moret qui l’accompagnent dans “La Traversée”, son premier disque ECM dont les compositions oniriques s’inspirent de poèmes de René Char. C’est toutefois sur un autre album du label, “For 2 Akis” du batteur japonais Shinya Fukumori, que j’ai découvert le saxophoniste, un élève d’André Villéger installé depuis quelques années à Munich. Son ténor sonne souvent comme un alto et ses phrases chantantes, mélancoliques et diaphanes conviennent bien au jazz de chambre raffiné et mélodique qu’il propose. Florian Weber son pianisteest lui aussi un musicien très créatif. “Alba” qu’il a enregistré en 2015 en duo avec le trompettiste Markus Stockhausen témoigne de la richesse de son jeu harmonique (JsS). Concert annulé et reporté.
-Avec Adrien Moignard à la guitare et Diego Imbert à la contrebasse, Anne Ducros donna le 8 Mars un concert mémorable au Café de la Danse. On la retrouvera accompagnée par le même trio le 22 octobre au Bal Blomet (19h00), un « Sunset hors les murs » s’inscrivant dans le cadre des Jeudis de Jazz Magazine. La meilleure de nos chanteuses de jazz a fait paraître il y a quelques mois l’un de ses meilleurs albums, “Something” (Sunset Records), un disque dédié à Didier Lockwood dont je dis le plus grand bien dans ce blog, et qui capte avec précision, les nuances de son chant, le timbre de sa voix (JsS).
-Jeune et talentueux musicien à découvrir et à suivre, Simon Moullier présentera au Sunset le 23 (20h00) le répertoire de “Spirit Song” (Outside In Music), son premier album. Vibraphoniste, il utilise l’instrument de façon très originale et personnelle. Jouant aussi du balafon, des percussions et des synthétiseurs, il mêle leurs timbres et leurs textures, obtenant une pâte sonore qui donne du poids à une musique subtilement rythmée qui reste toujours mélodique. Acceptance et son étonnant foisonnement rythmique, I’ll Remember April tendrement habillé de sonorités nouvelles, Kenyalang une délicieuse ballade interprétée en quartette, en sont les moments forts. Diplômé du Berklee College of Music et du Monk Institute, Simon Moullier travaille aujourd’hui à New York avec des jazzmen renommés. Deux éminents saxophonistes de la scène new-yorkaise, Dayna Stephens et Morgan Guerin, jouent sur son disque enregistré à Los Angeles, Brooklyn et New York City entre 2017 et 2020 avec la même section rythmique, mais des pianistes différents. Au Sunset, Simon Moullier sera accompagné par l’un d’entre eux, Simon Chivallon, Francesco Geminiani (saxophone), Mats Sandahl (contrebasse) et Francesco Ciniglio (batterie) complétant son quintette (JsS). Concert annulé.
-Sous la direction de Frédéric Maurin, l’Orchestre National de Jazz fêtera au Studio de l’Ermitage le 28 octobre (à 18h30) la sortie de “Rituels” (ONJ Records / L’autre distribution), double CD comprenant des compositions originales de Sylvaine Hélary, Ellinoa, Leïla Martial, Grégoire Letouvet et Frédéric Maurin. Un chœur et treize instrumentistes interprètent ces “Rituels”, réunion de textes anciens qui auraient pu avoir été écrits hier et qui bénéficient aujourd’hui d’orchestrations étonnantes, les instruments acoustiques étant seuls convoqués dans cette configuration de l'orchestre. Mêlant cordes, bois, cuivres et percussions, utilisant les voix (celles de Linda Oláh, Ellinoa, Leïla Martial et Romain Dayez) comme des instruments à part entière, l’œuvre fascine par ses couleurs, son aspect onirique, la riche texture de ses timbres, son ouverture sur d’autres musiques. Les genres se télescopent au sein d’une masse orchestrale en mouvement qui réserve de l’espace aux solistes et tisse un monde sonore aussi surprenant que poétique qui ne ressemble à aucun autre. Une création vidéo imaginée par la réalisatrice Mali Arun accompagnera l’orchestre sur scène.
-Alexandre Saada enfin au Sunside le 31 octobre (18h00) pour interpréter le répertoire de “Songs For A Flying Man” (Labrador Records), un recueil de chansons aux mélodies délicieuses écrites avec la chanteuse Mélissa Bon. Pour ce concert, Martial Bort (guitare),Thomas Pégorier (basse), Olivier Hestin (batterie)et la chanteuse Caroline Minard accompagneront le pianiste qui utilise de nombreux claviers (piano acoustique et électrique, orgue, clavinet) et pose des couleurs chatoyantes sur ses musiques.
-Au Triton le 31 octobre (18h45), Aldo Romano fêtera la sortie de “Reborn” (Le Triton / L’autre distribution), un album qui ne sera mis en vente que le 13 novembre. Le club avait accueilli le batteur en mai 2019 pour une série de concerts dont il avait carte blanche. Entouré par ses amis, “Reborn” en fait entendre les meilleurs moments. Enregistrés avec Mauro Negri à la clarinette, Géraldine Laurent au saxophone et son vieux complice Henri Texier à la contrebasse, Annobón et Petionville baignent dans une belle lumière méditerranéenne. Avec Baptiste Trotignon au piano et Darryl Hall à la contrebasse, Aldo reprend Dreams and Waters, un morceau qui donne son nom à l’un de ses disques et qu’il a souvent joué. Enrico Rava se rajoute au trio dans une magnifique version de Positano que contient “Inner Smile”, un opus de 2011. Yoann Loustalot (trompette), Glenn Ferris (trombone) et Michel Benita (contrebasse) entourent le batteur sur deux plages, une version surprenante de Il Piacere dans laquelle Aldo retrouve le pianiste Jasper Van’t Hof aux claviers complétant ce programme séduisant.
Juillet. Le Sunside*, le Baiser Salé et le Triton ont ouvert leurs portes dans le respect du protocole sanitaire. Le Duc des Lombards** annonce la reprise de ses concerts le vendredi 3. On bouge, on se déplace, mais avec précaution. Heureux de pouvoir à nouveau circuler dans les rues récemment désertées de la capitale, le parisien attablé aux terrasses des cafés profite des beaux jours, du soleil retrouvé. Sous le regard blasé du garçon agile qui virevolte entre les tables pour servir le client, il respire un air pollué par un trop plein de véhicules aux gaz malodorants. Plongé dans la lecture d’un épais bouquin, il n’en est pas incommodé, reste sourd aux voitures qui klaxonnent, aux ambulances qui pinponnent. Son livre lui ouvre les portes d’un monde qui lui fait oublier le sien. Sans quitter la chaise sur laquelle il reste assis, il se promène dans le temps, rencontre des personnages et accompagne leurs aventures.
Ceux du Haut Pays que Jean Giono dépeint dans “Ennemonde et autres caractères” et “L’Iris de Suse” que je viens de relire sont même inoubliables. Giono décrit avec précision leurs physiques, leurs sentiments, leurs caractères bien trempés, mais le lecteur les voit avec ses propres yeux. S’attachant à eux, il appréhende sans pouvoir rien y changer les situations troubles aux dénouements incertains que l’auteur lui impose. Car ce dernier tire les fils d’un récit auquel notre imaginaire participe mais dont il a le dernier mot. L’intrigue d’un livre est parfois mince, mais on se laisse porter par le rythme des phrases, la petite musique enfermée dans ses pages.
Une œuvre littéraire donne parfois de grandes réussites cinématographiques mais il est souvent préférable de lire le livre avant de voir le film. Bien qu’émerveillés par la mise en scène de David Lean, les très nombreux spectateurs du “Docteur Jivago” sont loin d’avoir tous lu le chef-d’œuvre de Boris Pasternak. Son épaisseur a pourtant contraint les scénaristes à tailler dans le récit pour en réduire l’intrigue. La même chose est arrivée au gros roman de John Steinbeck “À l’Est d’Éden” qu’Elia Kazan adapta à l’écran en 1955. Confiant le rôle principal à un James Dean inexpressif, et ne gardant que la dernière partie de l’ouvrage, Kazan a réduit cette grande fresque familiale à un simple psychodrame et trahit l’écrivain. S’il peut lui servir de support et, par son succès, le rendre populaire, un film ne peut se substituer à un livre dont l’auteur raconte lui-même l’histoire. En parcourant ses pages c’est sa voix même que l’on entend. La beauté de sa langue, son parler imagé, sa poésie, y sont conservés intacts.
On peut très bien rester chez soi avec un livre, mais juillet invite à prendre des vacances, à quitter les villes pour la campagne, la mer ou la montagne. Dans ses bagages, des livres, pour voyager plus loin, changer d’époque et de lieux. Télérama vient récemment de révéler les 100 livres préférés de sa rédaction. « 100 livres pour une bibliothèque idéale » titre le magazine. Existe-t-elle ? Je pense que non. Une bibliothèque n’est jamais idéale car toujours en devenir, agrandie par la découverte de nouveaux livres.
Dans la sélection que publie Télérama, certains m’interpellent. Je ne les ai pas tous lus mais “Le Maître et Marguerite” de Mikhaïl Boulgakov, “Ada ou l’ardeur” de Vladimir Nabokov et “Le Maître du Haut Château” de Philip K. Dick, des incontournables, sont à placer dans vos valises. Je vous invite également à découvrir deux ouvrages de ma propre bibliothèque “Le Temps où nous chantions” de Richard Powers et “Les Saisons de la nuit” de Colum McCann. Le premier aborde le racisme de l’Amérique à travers le destin de trois enfants aux ascendances juives et noires. Ses nombreuses pages sur la musique sont admirables. Consacré aux sans-abri qui vivent dans les tunnels qu’empruntent les trains traversant New-York, le second est tout aussi émouvant.
Comme chaque année à la même époque, ce blog sera prochainement mis en sommeil. Soyez prudents, portez des masques et bonnes lectures.
*Le club organise en juillet et en août son festival Pianissimo. Au programme de cette XVème édition, les pianistes Jackie Terrasson (le 3 et le 4 juillet), Paul Lay (le 7 et le 8), Fred Nardin (le 10 et le 11), Alain Jean-Marie (le 15 et le 16) , Laurent de Wilde (le 23 et le 24), Leila Olivesi (le 25), Yonathan Avishai (le 28 et le 29), Vincent Bourgeyx (le 30), Carine Bonnefoy (le 31), Pierre de Bethmann (le 4 et le 5 août), Franck Amsallem (le 6), Baptiste Trotignon (le 7 et le 8), Marc Benham (le 11), Laurent Coulondre (le 12 et le 13), Benjamin Moussay (le 19), René Urtreger (le 21 et le 22) et Ramona Horvath (le 23) pour ne citer que ceux qui m'interpellent. La plupart de ces pianistes sont attendus en trio. Ramona Horvath, Leila Oliveisi et Franck Amsallem se produiront en quartette. Benjamin Moussay présentera en solo “Promontoire”, son premier disque pour ECM). Deux concerts par soir en général. En outre, le trio de Laurent Courthaliac animera des jam sessions tous les lundis de juillet et les lundis 3, 10 et 17 août (entrée gratuite). On consultera le site du Sunside pour les horaires et le programme complet du festival.
**Thomas Enhco (piano) et Stéphane Kerecki (contrebasse) sont attendus au Duc des Lombards les 15 et 16 juillet et le Florian Pellissier Quintet les 17 et 18 (concerts à 19h30 et 21h45).
Juin. Après 55 jours de confinement (durée de l’isolement que subirent en 1900 les Européens assiégés à Pékin dans le quartier des ambassades et des légations étrangères), les villes retrouvent progressivement leur aspect habituel. À Paris, profitant du beau temps, les promeneurs redécouvrent les joies du shopping, envahissent à nouveau les parcs et les jardins dont les arbres ont retrouvé leurs feuilles pour se prélasser au soleil, fréquentent à nouveau les bouquinistes des quais de Seine à la recherche de livres épuisés. Le parvis de Notre-Dame est désormais accessible à tous. Dans les rues, vélos et trottinettes brûlent à nouveau les feux rouges. Les motos pétaradent et les voitures trop nombreuses font du sur place aux heures de pointe.
Si les salles de concert et les restaurants resteront fermés jusqu’au 22, ces derniers peuvent désormais utiliser leurs terrasses (bien que rien ne soit prévu en cas de pluie) et les magasins accueillir avec précaution leurs clients. Paris Jazz Corner a rouvert ses portes. Gibert Joseph également. On y avance masqué, ganté ou les mains protégées par le gel hydro-alcoolique que l’on nous offre avant d’en franchir l’unique porte d’entrée. Le virus traîne peut-être sur les livres, les disques, les DVD, les emballages plastifiés qui les recouvrent. Ces mesures qui nous rappellent que nous sommes encore constamment en danger ne risquent-elles pas de provoquer faillites et licenciements et de propager de nouveaux virus, ceux du chômage et de la précarité ?
La prudence est telle que l’on peut se demander comment feront les restaurateurs confrontés à des règles de distanciation leur obligeant à retirer une table sur deux de leurs établissements ? Les clubs de jazz risquent également d’être pénalisés par un trop plein d’ordonnances restrictives. S’il reste relativement facile d’espacer les sièges du New Morning, que faire des nombreux auditeurs agglutinés près du bar qui restent debout pendant les concerts ? Comment les contraindre à rester éloignés les uns des autres et à porter des masques ? Le Duc des Lombards dont l’espace est déjà confiné, va-t-il pouvoir réduire sa jauge de moitié ? C’est ce que compte faire le Sunside dès sa réouverture le 22 juin, avec au programme une jam session autour de Cedar Walton animé par David Sauzay. La salle du bas, le Sunset, n’ouvrira pas avant septembre. Pour compenser le manque à gagner, les concerts seront doublés (deux sets à 19h30 et à 21h30, ce qui se pratique déjà au Duc).
En juin seront enfin commercialisés des albums qui auraient dû paraître en avril et en mai. Quelques nouveautés importantes sont également attendues – Ambrose Akinmusire, Marcin Wasilewski Trio avec Joe Lovano –, mais les sorties de disques se feront surtout à partir de septembre. Cela me permet de poursuivre mon étude sur le jazz et le cinéma qui m’amène à revoir des films et à écouter leurs bandes-son. Il me sera toutefois difficile de l’achever avant l’été. D’ici là, le monde qui n’est déjà plus celui que nous avons connu aura peut-être encore changé. On peut donc aisément patienter.
Mai 2020. Privé de ses promeneurs, de ses cafés et de ses terrasses, noires de monde en cette période de l’année où le soleil chasse l’hiver et annonce déjà l’été, on peine à reconnaître Paris. L’an dernier, il pleuvait des concerts sur la capitale. En mai 2018, je déplorais que les grands festivals programment si peu de jazz et de jeunes musiciens talentueux. Enfin, il y a trois ans, le1er mai 2017, cherchant à en découdre avec les forces de l’ordre, quelques centaines d’enragés, cassaient, pillaient et vociféraient devant mes fenêtres.
Aujourd’hui plus personne. Les rues sont vides, les magasins fermés. Les visiteurs sont restés chez eux. Les vendeurs de muguet manquent à l’appel et on offre des fleurs avec mille précautions. Le 15 avril, le Covid-19 nous a enlevé Lee Konitz*. Dans l’incapacité de faire imprimer son numéro 727, Jazz Magazine le propose sous forme numérique à ses lecteurs pour la première fois depuis sa naissance en décembre 1954. Les festivals d’été n’auront pas lieu et comme les bars, les restaurants, les musées et les salles de concert, les clubs de jazz devront malheureusement attendre des jours meilleurs. On se console par l’annonce d’une réouverture probable le 11 mai des librairies et des disquaires. Pour le moment, pour la sécurité de tous, le confinement se poursuit. Le port du masque sera bientôt obligatoire.
Le temps pour moi est passé trop vite. Lire, écrire, écouter de la musique, visionner des films, regarder les programmes d’Arte occupent mes journées. Sans concerts à annoncer, de nouveaux disques à conseiller, les sorties physiques de ces derniers ayant été repoussées, j’ai partagé avec vous en avril ma redécouverte de quelques Blue Note oubliés. La réouverture des disquaires qui vendent encore du jazz conditionnant la reprise des chroniques que j’ai été amené à interrompre**, j’ai commencé la rédaction d’une série d’articles sur le cinéma et le jazz que vous découvrirez ce mois-ci. Trop longue pour être mise en ligne en une seule fois, sa publication s’étalera. Exceptionnellement, des liens vous permettront de visionner les bandes annonces de quelques films que j’ai été amené à revoir. Ayant réécouté leurs musiques, j’y ai redécouvert des pépites, des partitions que j’avais oubliées. Le confinement, cette parenthèse temporelle qui nous est imposée, m’a laissé le loisir de regarder derrière moi, de plonger dans le monde d'hier déjà différent du nôtre mais qui demain peut l’être encore davantage car, avec le Covid-19, rien ne sera plus comme avant.
*Outre ses albums avec Lennie Tristanoet Warne Marsh et son “Lee Konitz Meets Jimmy Giuffre” pour Verve en 1959, c’est “Toot Sweet” (Owl) qu’il enregistra à Paris en mai 1982 avec Michel Petrucciani qui me vient à l’esprit lorsque je pense à lui. En 1999, Jean-Jacques Pussiau produira également pour BMG France “Sound of Surprise”, un de ses derniers grands disques.
**Je me refuse à parler de la musique uniquement disponible sur les plateformes de streaming ou vendue sur internet. La fermeture des magasins nous a donné un aperçu de la ville qui risque de devenir celle de demain, une ville dans laquelle, tué par les achats en ligne, le disquaire, comme tant d’autres points de vente, n’existera plus.
Chick Corea à la Philharmonie, Xavier Desandre Navarre au Studio de l’Ermitage, Enrico Pieranunzi au Sunside, Anne Ducros enthousiasmant le Café de la Danse, c’était hier, en mars, quelques jours avant que le Président de la République s’exprimant le 16 à la télévision ne décide un confinement général sur l’ensemble du territoire. Depuis, les rues sont vides, les écoles, les magasins, les théâtres, les cinémas fermés, les parcs interdits au public. Occupant le terrain abandonné par l’homme, les animaux se réapproprient les villes. Des canards se dandinent en toute tranquillité devant la Comédie Française. Les rares passants que l’on croise portent des masques, gardent leur distance comme pour se protéger de la peste. Car c’en est une, invisible, inodore et incolore, un ennemi qui peut être mortel. Qui pouvait imaginer chose pareille il y a seulement quelques semaines ?
Confiné dans sa maison ou son appartement, on s’organise. Le temps passe trop lentement pour les uns, trop vite pour les autres. S’il ne nous est impossible de le ralentir, on peut en modifier la perception en changeant nos habitudes. Temps de pause et de découverte de soi-même, parenthèse temporelle, le confinement nous y oblige. Prendre des nouvelles des uns et des autres, leur parler au téléphone, rester en contact par courriel avec ses amis, avec des membres de la communauté du jazz – musiciens, producteurs, attaché(e)s de presse, journalistes –, resserrer des liens distendus, la réclusion rapproche, nous donne une magnifique occasion d’aller vers l’autre et de lui consacrer du temps.
Je plains les couples mal assortis qui découvrent leur impossibilité à vivre ensemble, ceux qui ne vivent que pour le sport et ne s’intéressent à rien d’autre, ces supporters de l’entreprise football qui, privés de matchs et désœuvrés, tournent chez eux en rond comme le ballon qu’ils vénèrent. Ceux qui aiment se plonger dans les livres s’en sortent beaucoup mieux. Le musicien qui pratique quotidiennement son instrument aussi. Les clubs de jazz ayant fermé leurs portes et les maisons de disques reporté leurs sorties, on écoute chez soi des albums plus anciens que le temps peut nous faire oublier. Les nouveautés n’arrivant plus, j’ai l’intention ce mois-ci de vous faire partager mon admiration pour des enregistrements que vous connaissez peut-être pas et vous les faire découvrir. La musique, ce puissant anti-stress, devrait être vendu en pharmacie.
Un grand merci à Sylvie Durand qui m’a fait parvenir un lien permettant de découvrir gratuitement sur Vimeo “The Ballad of Fred Hersch”(1*), un film de Charlotte Lagarde et Carrie Lozano consacré au pianiste. On suit ce dernier à Cincinnati chez sa mère, chez lui à New York, en Pennsylvanie chez Scott Morgan, son compagnon, mais aussi dans des clubs de jazz (en solo et en trio au Village Vanguard), en studio avec le guitariste Julian Lage et au cours d’une longue répétition de “My Coma Dreams” (2*), un spectacle associant théâtre et musique avec Hersch au piano, un orchestre de dix musiciens et un chanteur. Des documents d’archive (Hersh jouant du Monk au sein du quintette d’Art Farmer en 1982) et des interviews du journaliste David Hadju et du pianiste Jason Moran enrichissent ce portrait intimiste.
Confinement oblige, pour la première fois depuis que ce blog existe, vous ne trouverez-pas à la suite de cet édito mes concerts et disques qui interpellent. J’avais prévu de vous annoncer ceux de Sébastien Lovato, Lionel Martin & Mario Stantchev, Jacky Terrasson, Jan Harbeck, Yonathan Avishai, Jean-Louis Matinier & Kevin Seddiki, Sinne Eeg, Marie Mifsud et Baptiste Herbin. Tous devaient se produire dans des salles parisiennes, et certains fêter la sortie d’un nouvel album. Ce n’est que partie remise. Le temps passe très vite, trop vite, comme un cheval au galop. Demain sera déjà septembre. Espérons qu’il sera loin ce mois d’avril 2020 où l’on ne se déconfinait pas d’un fil.
2*Disponible en DVD chez Palmetto, distribution Bertus.
Je vous signale également que chaque soir à 19h00 précise (heure d’été en France), Fred Hersch nous donne à entendre sur sa page Facebook un morceau en direct de chez lui (“Tune of the Day”). Toutes ces vidéos étant archivées, il est possible de les revoir en replay - www.facebook.com/fredherschmusic