Incontournable rendez-vous médiatique et jazzistique que préside et orchestre François Lacharme depuis 2005, la traditionnelle remise des Prix de l'Académie du Jazz s’est tenue le 27 janvier au Pan Piper, une salle de concerts que l’amateur de jazz parisien connaît bien. Devant un parterre d’invités et d’amis œuvrant dans les métiers de la musique, du cinéma et des spectacles – musiciens et académiciens, producteurs et responsables de maisons de disques, partenaires et sponsors*, journalistes, photographes, attaché(e)s de presse, organisateurs de concerts –, dix prix furent décernés ce soir-là dont le prestigieux Prix Django Reinhardt que tous les musiciens de jazz français souhaitent bien sûr obtenir.
Mon compte-rendu de cette soirée de gala, très riche sur le plan musical, privilégie aussi l’image. Prenez-le temps de faire défiler mon carrousel jazzistique et de découvrir les photos qu’Antoine Piechaud et moi-même avons prises pendant les répétitions, en coulisses et après le concert lors des agapes qui suivirent. Outre les lauréats, vous y trouverez sans doute des visages familiers et peut-être le vôtre. Que la fête commence.
*La Fondation BNP Paribas, la SACEM, la SPEDIDAM, le Conseil des Vins de Saint-Émilion, le Pan Piper, mais aussi le Goethe Institut qui accueille en amont depuis quelques années nos fiévreux et passionnants débats.
LA CÉRÉMONIE
19h05 : à tout seigneur, tout honneur, François Lacharme ouvrit la cérémonie, et après quelques mots de bienvenue, remit le Prix du Jazz Classique à Gisèle Larrivé dite Gigi qui supervisa le travail de réédition exceptionnel qu’entreprit pendant plus de trente ans Michel Pfau sur Albert Ammons (1907-1949) le roi du boogie-woogie, la manière la plus africaine de jouer le blues au piano. Michel Pfau ne vit malheureusement pas son projet aboutir. Il décéda avant la parution de “Complete Work Albert Ammons” (coffret de 9 CD(s) auquel s’ajoute un DVD) qui regroupe tous les enregistrements du pianiste et contient un livre de 192 pages comprenant sa biographie et sa discographie complète. Appelé sur scène, Jean-Paul Amouroux expliqua ce qu’est le style boogie-woogie, puis l’un des groupes finalistes, les Three Blind Mice – Malo Mazurié (trompette), Félix Hunot (guitare) et Sébastien Girardot (contrebasse) – nous donnèrent une version chaleureuse de Viper Mad de Sydney Bechet en guise d’intermède musical.
2019 ne fut pas très riche en littérature jazzistique. Le centenaire de la naissance de Boris Vian que nous fêtons cette année (il est né à Ville-d’Avray le 10 mars 1920) donna fort heureusement matière à deux ouvrages que la commission livres de l’Académie estima judicieux de primer ensemble. Richement illustré, “Boris Vian 100 ans” (Éditions Heredium) de Nicole Bertolt et Alexia Guggemos est un peu le livre officiel de ce centenaire qui verra pleuvoir de nombreuses manifestations autour de l’écrivain. Dans leur “Anatomie du Bison” (Éditions des Cendres), Christelle Gonzalo et François Roulmann nous font suivre presque au jour la vie de l’écrivain qui fut membre de l’Académie et dont les écrits sur le jazz restent célèbres.
Prélude à une « Nuit Boris Vian » que l’Académie du Jazz organisera au Pan Piper le 27 mars, Natalie Dessay vint un peu plus tard confirmer son talent de lectrice sur Quand l’amateur de jazz écrit, un texte de Vian publié dans “Jazz 1954”, plaquette « présentée par l’Académie du Jazz » comme mentionne la couverture de ce petit ouvrage (20 pages) aujourd’hui recherché.
Également attribué par une commission, le Prix du Meilleur Inédit récompensa “Live in Tokyo‘91”, un double CD de Barney Wilen enregistré sur un Sony DAT au Keystone Corner de Tokyo, aujourd’hui le Harajuku Keynote. C’est grâce au fils de Barney, Patrick Wilen que nous avons aujourd’hui ce concert. Barney y est accompagné par Olivier Hutman au piano, Gilles Naturel à la contrebasse et Peter Gritz à la batterie. En l’absence du saxophoniste, décédé trop tôt en 1996, ses trois musiciens vinrent recevoir le prix des mains de François Lacharme et nous firent l’honneur d’interpréter No Problem de Duke Jordan, un des titres emblématiques de cette résurrection sonore et l’un des thèmes préférés de Barney. Plaisir d’entendre Gilles Naturel toujours impérial à la contrebasse et le merveilleux piano blues d’Olivier Hutman, un ami apprécié.
N’ayant pu se déplacer, Jontavious Willis et Mavis Staples, lauréat(e)s des Prix Blues et Soul pour leurs albums “Spectacular Class” et “Live in London”, exprimèrent leurs vifs remerciements à l’Académie dans les petits films qu’ils avaient envoyés.
Ce qui laissa du temps au pianiste / organiste Laurent Coulondre, Prix du Disque Français 2019 pour “Michel On My Mind”, superbe hommage à Michel Petrucciani, d’interpréter deux morceaux de son album après avoir reçu son trophée. Accompagné par les musiciens de son disque, Jérémy Bruyère à la contrebasse et l’inégalable André Ceccarelli à la batterie, Laurent mena son mini concert tambour battant. Sa version de She Did It Again, une composition de Michel que contient son album Blue Note “Promenade with Duke” (1993) et dans laquelle Caravan est longuement cité enthousiasma l’auditoire.
Présidée par Arnaud Merlin qui programme de grands musiciens au Studio 104 de Radio France dans le cadre de son émission Jazz sur le Vif, la Commission du Jazz Européen (dont j’ai l’honneur d’être membre) trouve toujours à récompenser des musiciens qui le méritent, des musiciens pas toujours connus du grand public, leur musique, parfois difficile, exigeant des oreilles ouvertes et attentives. Choisir Daniel Erdmann, primé cette année, fut une excellente idée. Membre du trio Das Kapital, capable de souffler des notes brûlantes et dissonantes et d’en murmurer d’autres apaisées et lyriques, le saxophoniste allemand a récemment enregistré un magnifique album en duo avec le pianiste Bruno Angelini dont vous lirez prochainement la chronique dans ce blog. Après avoir reçu son trophée, rejoint par Vincent Courtois au violoncelle avec lequel il travaille depuis plusieurs années, Daniel nous interpréta une composition d’un grand souffle poétique intitulée Les frigos. Elle apparaît dans “A Short Moment of Zero G”, un album BMC du Velvet Revolution publié en 2016, Théo Ceccaldi (violon) et Jim Hart (vibraphone) complétant le trio.
Après un hommage aux membres de l’Académie du Jazz disparus l’an dernier, Jean-Pierre Daubresse et André Francis qui était non seulement le doyen mais aussi l’un des membres fondateur de l’Académie (une courte bande audio retrouvée à l’INA, premières minutes de l’émission « Aimer le jazz » diffusée sur les ondes en mai 1948, André n’a pas encore vingt-trois ans, nous fit entendre sa voix), le Prix du Jazz Vocal fut décerné à la chanteuse Leïla Martial pour son album “Warm Canto”.
Un prix qui témoigne de l’éclectisme de l’Académie du Jazz dont le collège, faut-il le rappeler, reste très largement composé de journalistes. “Warm Canto” n’est nullement un disque de jazz, musique que Leïla Martial réinvente. Découverte par Jean-Jacques Pussiau qui publia son premier enregistrement, elle possède son propre univers musical, invente avec ses musiciens, Pierre Tereygeol (guitare acoustique) et Eric Perez (batterie, voix) un monde sonore qui n’appartient qu’à elle. Sa prestation fut unanimement appréciée car sur scène, la chanteuse, tout feu tout flamme, ensorcelle par ses onomatopées rythmiques, son énergie, et donne le meilleur d’elle-même. Assis près de moi, Bertrand Tavernier enthousiasmé voulait immédiatement se rendre chez un disquaire pour acheter l’album. Vu l’heure tardive, 20h30 passé, je lui conseillai prudemment d’attendre le lendemain.
Puis vint le moment tant attendu, celui de dévoiler le Prix Django Reinhardt, le plus prestigieux de l’Académie, un prix doté d’une somme de 3000 euros grâce à la générosité de la Fondation BNP Paribas représenté par Jean-Jacques Goron, son Délégué Général. Hugo Lippi le remporta devant Théo Ceccaldi et Leïla Olivesi dont la “Suite Andamane” fut également l’un des trois albums finalistes du Prix du Disque Français. Avec Fred Nardin, Prix Django Reinhardt 2016 au piano, Fabien Marcoz à la contrebasse et Romain Sarron à la batterie, le guitariste joua deux morceaux dont le Manoir de mes rêves de Django qui introduit “Comfort Zone” son dernier album enregistré à New-York avec Nardin et une section rythmique américaine. Propulsée par un (re)bondissant « Poinciana Beat », cher à Ahmad Jamal, la musique de Manoir de mes rêves se fit légère et délicate, pour ne plus peser que son poids de poésie.
Bien qu’impatient d’aller féliciter Leïla Martial, le cinéaste Bertrand Tavernier avait été invité à remettre le prix du meilleur disque de jazz de l’année, le Grand Prix de l’Académie du Jazz qu’il n’est évidemment pas facile d’obtenir, une pluie de bons disques s’abattant chaque année sur la tête des journalistes composant le collège électoral. Onze albums étaient encore en compétition au dernier tour de scrutin, “Groove du Jour” du Yes! Trio l’emportant pour finir sur “Star People Nation” de Theo Croker et “Playing the Room” d’Avishai Cohen et Yonathan Avishai.
Monté sur scène pour remettre le trophée à Aaron Goldberg, Omer Avital et Ali Jackson, respectivement pianiste, bassiste et batteur du Yes! Trio, Bertrand Tavernier qui, faut-il le rappeler, est un fin connaisseur du jazz – il a souvent confié les musiques de ses films à des jazzmen – se livra à un échange d’anecdotes fusantes et drôles avec François Lacharme, prenant le temps de décacheter l’enveloppe révélant le vainqueur afin de raconter des histoires savoureuses sur d’autres remises de prix. Très fiers d’avoir reçu leur trophée des mains d’un cinéaste qu’ils admirent – “Autour de Minuit” remporta un Oscar et “Dans la brume électrique” (“In the Electric Mist”) fut tourné aux États-Unis avec des acteurs américains. Tommy Lee Jones en est l’acteur principal –, le Yes! Trio joua deux morceaux de son disque(Escalier, son ouverture, et C’est clair), nos trois grands musiciens achevant ainsi de rendre cette soirée inoubliable.
LE PALMARÈS 2019
Prix Django Reinhardt
HUGO LIPPI
Grand Prix de l’Académie du Jazz :
YES! TRIO « Groove du jour »
(Jazz&People / Pias)
Prix du Disque Français :
LAURENT COULONDRE « Michel On My Mind »
(New World Production / L’Autre Distribution)
Prix du Musicien Européen :
DANIEL ERDMANN
Prix du Meilleur Inédit :
BARNEY WILEN QUARTET « Live In Tokyo ’91 »
(Elemental Music / Distrijazz)
Prix du Jazz Classique :
ALBERT AMMONS « Complete Work Albert Ammons (1907-1949)
Boogie Woogie King »
(Cafe Society / eurenie@gmail.com)
Prix du Jazz Vocal :
LEÏLA MARTIAL « Warm Canto »
(Laborie Jazz / Socadisc)
Prix Soul :
MAVIS STAPLES « Live in London »
(Anti- / Pias)
Prix Blues :
JONTAVIOUS WILLIS « Spectacular Class »
(Kind of Blue Music / www.jontaviouswillis.com)
Prix du Livre de Jazz :
NICOLE BERTOLT & ALEXIA GUGGÉMOS « Boris Vian 100 ans »
(Éditions Heredium)
CHRISTELLE GONZALO & FRANÇOIS ROULMANN
« Anatomie du Bison – Chrono-bio-bibliographie de Boris Vian »
(Éditions des Cendres)
BEFORE & AFTER
Avec par ordre d’entrée en scène (70 photos) : Aaron Goldberg & André Ceccarelli – André Cayot – Agnès Thomas – Claude Carrière & Claudette de San Isidoro – Laurent Coulondre – André Villeger – Bertrand Tavernier – Vincent Courtois – François Lacharme – Jacques Pauper & Hugo Lippi – Chantal Goron & Marie Mifsud – Alain Tomas – Juliette Poitrenaud – Francis Capeau & Sylvie Durand – Fred Nardin & Hugo Lippi – Jean Szlamowicz & Sarah Thorpe – Gilles Coquempot & Bruno Pfeiffer – Leïla Martial – Gilles Petard – Jean-Jacques Goron & Frédéric Charbaut – Pierre de Chocqueuse & Leïla Olivesi – Axelle & Louis Moutin – Hervé Cocotier – Omer Avital, Vincent Bessières & Hélène Lifar – Hervé Riesen – Bertrand Tavernier & François Lacharme – Marie-Claude Nouy & Flavien Pierson – Jean-Michel Proust & Hugo Lippi – Véronique Coquempot, Sylvie Durand & Gilles Coquempot – Isabelle Marquis & André Villeger – Jean-Louis Chautemps – Juliette Poitrenaud & Françoise Philippe – Patrick Martineau – Jean-Jacques Goron, Agnès Thomas & Mathilde Favre – Laurent Carrier – Patrice Caratini & Jacqueline Capeau – Pierre de Bethmann – Pierre-Henri Ardonceau – Mélanie Dahan & Marc Benham – Michele Hendricks & Claude Carrière – Sara Lazarus – Bénédicte de Chocqueuse & Aaron Goldberg – Vincent Bessières & François Lacharme – André Ceccarelli – Pierre Cuny – Jean-Louis Lemarchand – Glenn Ferris & Olivier Hutman – Hervé Sellin – Mathilde Favre – Marc Sénéchal – Gilles Petard & Jean-François Pitet – Jean-Jacques Goron – Sophie Louvet – Jacques Pauper, Ali Jackson & Aaron Goldberg – Pierre Christophe – Solenne Amalric & Stéphane Marais – Xavier Felgeyrolles – Stéphane Portet & Jean-Charles Doukhan – Ramona Horvath & Nicolas Rageau – Pierre de Chocqueuse & Bertrand Tavernier – Mélanie Dahan & Sarah Thorpe – Lionel Eskenazi – Philippe Baudoin – Fred Nardin & Leïla Martial – Didier Pennequin – Sylvie Durand & Gilles Coquempot – Pierre Mégret – Stéphane Kerecki – Laurent de Wilde – Yes! Trio.
Crédits Photos :
La Cérémonie : Photos © Pierre de Chocqueuse, sauf : François Lacharme, Yes! Trio & Bertrand Tavernier – François Lacharme & Gisèle Larrivé – The Three Blind Mice – François Lacharme & Natalie Dessay – Olivier Hutman, Gilles Naturel & Peter Gritz – Laurent Coulondre, André Ceccarelli & Jérémy Bruyère – François Lacharme & Leïla Martial – Eric Perez, Pierre Tereygeol & Leïla Martial – Hugo Lippi & Jean-Jacques Goron © Antoine Piechaud.
Before & After : Photos © Pierre de Chocqueuse, sauf : Laurent Coulondre – Axelle & Louis Moutin – Bertrand Tavernier & François Lacharme – Véronique Coquempot, Sylvie Durand & Gilles Coquempot – Jean-Louis Lemarchand – Glenn Ferris & Olivier Hutman – Hervé Sellin – Gilles Petard & Jean-François Pitet – Philippe Baudoin – Fred Nardin & Leïla Martial – Pierre Mégret – Laurent de Wilde – Yes ! Trio © Antoine Piechaud.