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15 juillet 2019 1 15 /07 /juillet /2019 09:26
Un antidote muy caliente

Dans son nouveau disque, “Antidote”, Chick Corea dont la famille est originaire de Sicile et de Calabre célèbre à nouveau ses origines latines. “Antidote” est aussi un hommage au guitariste de flamenco Paco de Lucía (1947-2014) avec lequel il travailla. Cet héritage musical qu’il revendique, le pianiste lui a consacré un album au titre évocateur en 1976, “My Spanish Heart”, aujourd’hui le nom de son groupe. Je m’en souviens d’autant mieux qu’il contient la première version du célèbre Armando’s Rhumba et que, travaillant alors chez Polydor, j’avais moi-même supervisé la sortie française de ce disque. Avant de devenir un classique, il reçut un accueil mitigé, les fans de Return to Forever ne s’attendant pas à écouter une telle musique. Les années ont passé, Chick Corea joue toujours aussi bien du piano et son talent d’arrangeur reste intact comme en témoigne ce nouveau fleuron de sa très longue discographie.

 

« Mes origines sont italiennes, mais mon cœur est espagnol et j’ai grandi avec cette musique » déclare Chick Corea dans les notes du livret de ce nouveau disque. Ses premiers concerts à New-York, il les donna avec Mongo Santamaria au début des années 60 avant de rejoindre la formation du percussionniste portoricain Willie Bobo. Chick s’était initié à la musique latino-américaine à Boston au sein de l’orchestre de Phil Barboza. En 1967, il enregistra “Sweet Rain” avec Stan Getz dont il est alors le pianiste, mais c’est la parution l’année suivante de “Now He Sings, Now He Sobs” enregistré avec Miroslav Vitous et Roy Haynes qui suscita l’enthousiasme et l’admiration des amateurs de jazz. Loin de renier ses origines latines, Chick Corea en orchestrera brillamment les musiques. Spain, sa plus célèbre composition, n’est-elle pas inspirée par le Concerto d’Aranjuez de Joaquín Rodrigo ? Comprenant le batteur percussionniste Airto Moreira et la chanteuse Flora Purim, le premier disque de Return to Forever mêle brillamment jazz et musique brésilienne. Il contient La Fiesta, une espagnolade qu’il reprendra souvent. Le flamenco est à l’honneur dans “Touchstone”, un album de 1982 sur lequel le pianiste invite Paco de Lucía, et dans “The Ultimate Adventure”, un « poème symphonique » (« Tone Poem ») de 2006 dans lequel l’Espagne et ses musiques nourrissent ses visions musicales.

Chick COREA & The Spanish Heart Band : “Antidote” (Concord Jazz / Universal)

Pour célébrer à nouveau le côté latin de son héritage musical, Chick Corea a réuni autour de lui Steve Davis au trombone, Michael Rodriguez à la trompette, Jorge Pardo à la flûte et au saxophone, Niño Josele à la guitare, le bassiste cubain Carlitos Del Puerto, le batteur Marcus Gilmore, le percussionniste vénézuélien Luisito Quintero et le Tap Dancer Niño de Los Reyes, étoile montante de la danse flamenca contemporaine. Certains d’entre eux nous sont familiers à commencer par Marcus Gilmore, petit fils du grand Roy Haynes, souvent associé au pianiste Vijay Iyer. Musicien très demandé, le tromboniste Steve Davis, un protégé de Jackie McLean, a été membre du sextet de ce dernier, mais aussi des Jazz Messengers et du groupe Origin de Chick Corea. Les espagnols Niño Josele et Jorge Pardo ont tous les deux travaillé avec Paco de Lucía qui, comme Astor Piazzolla avec le tango, modernisa la guitare flamenca. Pardo joue également sur plusieurs disques de Corea. On l’entend beaucoup dans le trop méconnu “The Ultimate Adventure”. Deux plages de “Trilogy”, My Foolish Heart et Spain, enregistrées live à Madrid en 2012, témoignent de sa grande maîtrise de la flûte.  

Antidote” contient une reprise de Zyryab, une composition de Paco de Lucía. Elle devint familière au pianiste lorsque le guitariste d’Algésiras l’invita à l’enregistrer avec lui à Madrid en 1990. Dans cette nouvelle version, la guitare de Niño Josele, la flûte de Jorge Pardo et le piano de Chick Corea mêlent leurs timbres et leurs rythmes obsédants. S’y ajoutent les « palmas » (claquements de mains) des musiciens et les claquettes de Niño de Los Reyes. Une plateforme de bois a été construite spécialement pour lui en studio. Il intervient également dans The Yellow Nimbus, à l’origine un duo écrit pour Paco et Chick. L’album “Touchstone” le contient. Dans cette danse flamenca, la guitare répond ici aux riffs des cuivres et la flûte improvise fièrement sur fond de percussions hypnotiques. Les doigts mobiles du pianiste prennent le relais. La sonorité est riche et brillante, le toucher ferme et souvent percussif. La main gauche plaque des accords avec une précision toute rythmique ; la droite, fluide et souple ornemente avec élégance et brio. Dans son disque, Chick Corea joue aussi des claviers électriques et un Moog Voyager utilisé avec sensibilité et parcimonie.

Également dans “Touchstone“ Duende bénéficie d'un nouvel arrangement. Le « duende » c’est le moment de grâce pendant lequel le joueur de flamenco (ou le torero, le terme se retrouvant dans la tauromachie) prend tous les risques afin de transcender son art et atteindre un niveau d’expression supérieur. Piano, flûte, trombone, trompette, les instruments s’expriment à tour de rôle, portés par une orchestration brillante, des rythmes irrésistibles. Composé pour cette séance, Antidote est chanté par le panaméen Rubén Blades qui intervient aussi dans My Spanish Heart pour lequel Chick a écrit un bref Prelude. Gayle Moran son épouse y assure toutes les voix. “My Spanish Heart”, l’album de 1976, en renferme une toute autre version. Elle ne dure qu’une minute trente-sept secondes mais reste inoubliable. Déjà confié à Gayle Moran, un chœur y intervient mais le piano de Chick est le seul autre instrument de cette pièce romantique. Du même disque provient le populaire Armando’s Rhumba. Le violon de Jean-Luc Ponty et la contrebasse de Stanley Clarke font merveille dans la version initiale. Introduite par une fanfare, la nouvelle, tout aussi enlevée, se voit confiée à tous les instruments de l’orchestre, chacun y allant de son chorus, les percussions rythmant joyeusement la musique.

Les musiques latines que célèbre ici le pianiste comprennent aussi la Bossa Nova que Stan Getz popularisa dans les années 60 avec Antonio Carlos Jobim, João Gilberto et quelques autres. Outre “Sweet Rain”, Chick participa en 1972 à un autre album du saxophoniste, “Captain Marvel” dans lequel ce dernier emprunte la section rythmique du premier Return to Forever. Corea a souvent joué Desafinado de Jobim avec Getz. Au piano électrique, il le reprend ici dans une version vocale colorée et sensuelle. Maria Bianca en est la chanteuse. Dernière surprise de ce disque, Admiration, sa dernière plage, est introduit par une adaptation pianistique du Pas de deux de la troisième scène du “Baiser de la fée” (“The Fairy’s Kiss”), un ballet qu’Igor Stravinsky composa en hommage à Piotr Ilitch Tchaïkovsky et qui fut créé à L’Opéra de Paris en 1928.

 

Magnifiquement enregistré par Bernie Kirsh, l'ingénieur du son attitré de Chick Corea, cet album solaire réunit quelques-uns des plus beaux arrangements du pianiste. Il ne sera pas oublié.

 

PHOTOS © The Mad Hatter Studios - Couverture de l'album “Antidote” © Mikolaj Rutkowski.

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