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25 novembre 2020 3 25 /11 /novembre /2020 10:11
Disques : petite pluie automnale (1)

Que de disques cet automne ! Plus que d’habitude car la covid-19 bouleversant l’ordre des choses, une partie de ceux qui devaient paraître au printemps sortent aujourd’hui. Une dizaine d'entre eux, des nouveautés, m'ont interpellé. Je livre à votre attention les chroniques des cinq premiers. Vous en découvrirez cinq autres lundi prochain dans ce blog. Puissent-elles donner envie de vous procurer ces albums.  

 

Pierre de BETHMANN Trio : “Essais / Volume 4” (Aléa / Socadisc)

Rassemblant Pierre de Bethmann (piano et rhodes) Sylvain Romano (contrebasse) et Tony Rabeson (batterie), ce trio né il y a bientôt sept ans du hasard d’une rencontre, publie aujourd’hui la seconde moitié de sa séance studio de septembre 2019 enregistrée au Studio Recall (Pompignan) par Philippe Gaillot, ses “Essais / Volume 3” contenant la première. Sachant que les bonnes mélodies ne meurent jamais, Pierre puise son inspiration dans des thèmes qui n’appartiennent pas forcément au jazz et leur fait porter de nouveaux habits. Des pièces du répertoire classique, des chansons nourrissent son piano, ses “Essais”. Tout aussi réussi que les trois autres, le Volume 4 réunit surtout des compositions de jazzmen. Monk est une nouvelle fois à l’honneur avec une version aussi tonique qu’originale de Think of One, mais aussi Sonny Rollins (Saint Thomas), Wayne Shorter (Deluge, un extrait de “Juju”, un de ses disques Blue Note), Charlie Parker et Dizzy Gillespie (Anthropology). Si Ma Bel de Kenny Wheeler – joué par Pierre qui, en solo, le ré-harmonise en profondeur –, et Three Blind Men de Carla Bley sont rarement interprétés, reprendre This Never Happened Before, une des plages de “Chaos and Creation in the Backyard”, un disque de Paul McCartney est encore plus inhabituel. De même que Moreira que le pianiste et chanteur Guillermo Klein enregistra en 2011 avec son groupe Los Guachos. Fidèle à sa mélodie, Pierre nous en transmet la mélancolie par un piano sensible qui nous va droit au cœur*.

 

*Un coffret de 5 CD(s) rassemble également les quatre volumes de ces “Essais”. Le cinquième, un bonus, contient cinq plages inédites enregistrées entre 2015 et 2019, deux en trio et trois en solo.   

Pascale BERTHELOT : “Saison Secrète” (La Buissonne / Pias)

Engagée dans la création musicale – elle a enregistré des œuvres de Morton Feldman, John Cage et de compositeurs d’aujourd’hui –, Pascale Berthelot a principalement étudié la musique avec Bernard Flavigny, Éric Heidsieck et Claude Helffer. Directrice artistique de Cuicatl, collection du label de La Buissonne consacrée aux musiques contemporaines, elle vient d’enregistrer à l’invitation de Gérard de Haro, un disque de piano solo pas comme les autres. De son imaginaire, de son être intime, intérieur, le « weltinnenraum » du poète Rainer Maria Rilke dont le livret de son disque reproduit la dixième “Élégie de Duino”, a surgi cinq pièces improvisées très personnelles. Elle s’en étonne elle-même dans ses notes de pochette. Comment une telle musique a-t-elle pu naître, se mouvoir ? Comment le compagnonnage du silence peut générer ces improvisations inattendues ? Pascale Berthelot n’improvise pas comme une pianiste de jazz dont elle ignore la grammaire. Le swing, le blues et ses progressions harmoniques, n’existent pas dans cette musique profondément onirique qui séduit autrement. Son piano envoûte par ses harmonies, ses couleurs, le chromatisme de ses accords, le toucher de son interprète. Écoutez Balance des étoiles, la première plage de l’album. Dans un temps magiquement suspendu, la pianiste spatialise poétiquement une musique ruisselante de notes et de tendresse imaginée avec le cœur.

Thomas FONNESBÆK & Justin KAUFLIN : “Standards” (Storyville / UVM)

En 2015, le bassiste danois Thomas Fonnesbæk rencontrait à Copenhague le pianiste américain non-voyant Justin Kauflin. Deux ans plus tard, les 14 et 15 juin 2017, les deux hommes enregistraient de nombreux morceaux au Studio Nilento de Gothenburg. “Synesthesia”, le disque Storyville qu’ils sortirent cette année-là, en réunit une dizaine, essentiellement des compositions originales. Lors de cette même séance, Kauflin et Fonnesbæk interprétèrent des standards, y greffant leurs propres harmonies. Ce sont eux que contient ce disque, des thèmes de Bud Powell, Duke Ellington, Benny Golson, mais aussi Nigerian Marketplace d’Oscar Peterson et It’s All Right With Me de Cole Porter, deux des morceaux de “Synesthesia”. De Thomas Fonnesbæk, digne héritier du grand Niels-Henning Ørsted Pedersen, j’ai toujours dit le plus grand bien. Les albums qu’il enregistra en duo avec Sinne Eeg (“Eeg-Fonnesbæk”), Enrico Pieranunzi (“Blue Waltz”) ou en trio avec Aaron Parks et Karsten Bagge (“Groovements”) font entendre une contrebasse à la voix mélodique ample et puissante. Demi-finaliste de la Thelonious Monk Jazz Piano Competition en 2012, protégé de Clark Terry et de Quincy Jones sur le label duquel il enregistra “dedication” en 2014, Justin Kauflin reste inconnu en France. Puisse cet excellent album contribuer à le faire découvrir.

Tim GARLAND “ReFocus” (Edition Records /  UVM)

Arrangé par Eddie Sauter et enregistré par Stan Getz en 1961, “Focus” n’en finit pas d’inspirer les saxophonistes. Après le “Re Focus” de Sylvain Rifflet en 2017, le britannique Tim Garland sort aujourd’hui un “ReFocus” dont il a presque entièrement écrit la musique, les improvisations de Getz lui servant à architecturer de nouveaux morceaux. Si I’m Late, I’m Late de Sauter introduit les deux disques, l’instrumentation choisie par Garland – cinq violons, deux altos, un violoncelle, une harpe et une section rythmique, (contrebasse et batterie) s’écarte de l’original. Sauter utilise un grand orchestre à cordes et rejette la présence continue d’une rythmique. Dans ce nouveau disque, le batteur Asaf Sirkis occupe une place importante. Thorn in the Evergreen, Night Flight et Dream State possèdent une grande tension rythmique. Past Light est plus apaisé et dans The Autumn Gate, les cordes apportent un bel écrin mélodique au saxophone. La dernière plage de l’album Jezeppi, un bonus, bénéficie d’une orchestration différente. Tim Garland y joue du soprano. Le pianiste John Turville et le guitariste Ant Law interviennent dans l'enregistrement et Yuri Goloubev, le bassiste de la séance, y prend également un solo. On peut préférer, ce qui est mon cas, le “Re Focus” de Rifflet superbement arrangé par Fred Pallem et riche de dialogues entre le saxophone et l’orchestre, mais le travail de Garland n’en reste pas moins impressionnant.

Adam KOLKER “Lost” (Sunnyside / Socadisc)

Quatrième opus d’Adam Kolker sur Sunnyside, “Lost” réunit des musiciens avec lesquels il travaille depuis longtemps. Le saxophoniste retrouve ici Bruce Barth, pianiste avec lequel il enregistra il y a vingt ans l’album “Somehow It’s True”, (Double-Time Records), mais aussi Ugonna Okegwo (contrebasse) et Billy Hart (batterie) qui en assuraient la rythmique. Kolker apprécie beaucoup les compositions flottantes et souvent oniriques de Wayne Shorter, les étranges harmonies qui peuplent ses thèmes porteurs de fortes et troublantes images. “Lost” devait être entièrement consacré à ce grand créateur de thèmes, mais se rendant compte que sa propre musique basée sur des modes ressemblait beaucoup à la sienne, Kolker changea d’idée, ne gardant de Shorter que deux morceaux : Dance Cadaverous emprunté à “Speak no Evil” (1964), et Lost, le thème d’ouverture de “The Soothsayer” (1965). Kolker nous en donne une version plus longue et plus lente dans “Whispers and Secrets” publié il y a deux ans. Le saxophoniste reprend aussi Time of the Barracudas que Gil Evans composa et enregistra en juillet 1964 avec Shorter au ténor, ce dernier l’enregistrant à son tour l’année suivante dans son album “Etcetera”. Billy Hart fouette ses cymbales comme le faisait naguère Joe ChambersAdam Kolker joue du ténor mais aussi du soprano dans Dance Cadaverous et While My Lady Sleeps, une des ballades de cet album très réussi dans lequel Bruce Barth affirme une grande intelligence pianistique.

 

Photo : Sylvain Romano, Pierre de Bethmann et Tony Rabeson © Gildas Boclé

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