1980 : les grands groupes de jazz fusion semblent avoir jeté l‘éponge ou tournent en rond. Les meilleurs disques de Miles Davis, Weather Report, Return to Forever, Mahavishnu Orchestra sont derrière eux. Cette année-là apparaissent en import japon dans les bacs des (bons) disquaires trois albums de Steps, formation réunissant Mike Mainieri (vibraphone), Michael Brecker (saxophone ténor), Don Grolnick (piano), Eddie Gomez (contrebasse) et Steve Gadd (batterie) : “Smoking in the Pit (double album enregistré live au Pit Inn de Tokyo), “Step by Step”, (un disque studio) et “Paradox” (également en public).
Trois ans plus tard, sous le nom de Steps Ahead, le groupe sort un second album studio très remarqué sur Elektra Musician. Fondé par Bruce Lundvall, ce jeune label vient d’éditer les premiers disques de Sphere et les célèbres “Bill Evans Paris Concert” du pianiste Bill Evans. La formation joue encore du jazz acoustique bien que Mainieri utilise parfois un synthivibe (vibraphone synthétiseur). Steve Gadd a cédé sa place à Peter Erskine et Don Grolnick a été remplacé par Eliane Elias, une inconnue si se fera bientôt connaître. C’est avec “Modern Times”, en 1984, que Steps Ahead marqua durablement son époque. Warren Bernhardt remplace la belle Elaine au piano, mais surtout la formation a électrifié sa musique : Synthétiseurs, pianos électriques, les saxophones de Michel Brecker se promènent sur une mer de sons stupéfiants. Toujours sous la direction de Mike Mainieri, d’autres albums studio plus ou moins bons verront le jour avec d’autres musiciens, la formation n’ayant presque jamais disposé d’un personnel régulier. Des enregistrements inégaux – “Magnetic” et “Live in Tokyo” (1986), “N.Y.C.” (1989), “Yin-Yang” (1992), “Vibe” (1994), “Holding Together” (1999) – jalonnent une histoire que l’on pensait terminée.
Surprise, réunissant quelque uns des anciens membres de la formation sous la houlette du vibraphoniste, un nouveau disque inattendu de Steps Ahead tombe du ciel. Bill Evans (ne pas le confondre avec le pianiste) en avait été le saxophoniste au décès de Bob Berg en 2002. Le guitariste Chuck Loeb et le bassiste Tom Kennedy rejoignirent le groupe dans les années 80 et le batteur Steve Smith succéda à Peter Erskine après l’enregistrement de “Magnetic” en 1986. Avec eux, quatorze musiciens du WDR Big Band de Cologne dirigé par Michael Abene. Les amateurs de Steps Ahead ne pourront que se réjouir du répertoire constitué d’anciennes compositions de la formation et de morceaux naguère enregistrés par Mainieri pour ses propres albums. Nouvellement arrangées et ré-harmonisées par Abene, ils héritent de nouvelles introductions et interludes, de couleurs inédites. Loin de surcharger la musique, la masse orchestrale la sert admirablement.
Une excellente version de Pools, composition figurant sur “Steps Ahead”, premier disque que la formation enregistra sous ce nom, ouvre ce nouvel album. Encadrés par les riffs des cuivres, portés par une solide section rythmique (la basse électrique de Kennedy et les tambours de Smith), Tom Kennedy, Mike Mainieri, Chuck Loeb et Bill Evans se partagent les chorus. D’autres solistes se font entendre au fil des plages. Dave Smith prend un solo de batterie dans Beirut, une pièce quelque peu funky de “Magnetic”, solo qu’il enrichit d’onomatopées rythmiques relevant du konnakol, pratique couramment utilisé dans la musique carnatique du sud de l’Inde. Plusieurs musiciens du WDR sont également mis à contribution : le trompettiste Ruud Breuls dans Blue Montreux ; les trombonistes Shannon Barnett et Andy Hunter, le trombone de ce dernier dialoguant avec le ténor d’Evans dans le magnifique Sara’s Touch. Très en forme, Bill Evans échange aussi dans Oops des chorus brûlants avec Paul Heller, le sax ténor du WRD. Autre grande composition de “Modern Times”, Self Portrait, une ballade, conserve intact son grand lyrisme. Michael Abene dont il faut saluer le travail, en a particulièrement soigné l’arrangement.