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4 novembre 2016 5 04 /11 /novembre /2016 10:53
Jazz au Japon

Trois semaines au Japon, pays de forts contrastes au sein duquel tradition et modernité font bon ménage. A Tokyo, mégalopole la plus moderne de la planète, des immeubles gigantesques voisinent avec des parcs et des temples plusieurs fois centenaires. Dans les couloirs du métro de Kyoto, on croise des femmes en kimono, l’avance technologique du pays n’empêchant pas le vieux Japon d’y avoir toute sa place. Sa découverte ne m’a pas empêché de faire vivre ce blog. Des chroniques des nouveaux disques de Steps Ahead et de Laurent Courthaliac ont été mises en ligne pendant mon voyage. Visiter le pays, ses temples, ses musées, ses jardins, ne m’a pas coupé du jazz. Moins présent aujourd’hui que pendant les années d’après-guerre, il reste toutefois apprécié par de nombreux japonais.

Le soir même de mon arrivée à Kyoto, mes yeux se posèrent par hasard sur l’enseigne lumineuse du ZACBARAN, un club de jazz au sous-sol assez vaste pour contenir un orchestre, un bar, quelques tables. Au programme, une jam-session réunissant quelques-uns des bons musiciens de la ville, certains américains, des joueurs de claquettes rythmant la musique, du bop modernisé, des standards sur lesquels bâtir des improvisations. Si le Blue Note de Tokyo est hors de prix (Il faut compter 10.000 yens / 90,00 euros pour un concert d’une heure, consommations non comprises), je ne me suis pas privé d’arpenter les disquaires des grandes villes, ceux de Pontocho et du Nishiki Marquet à Kyoto, de Shibuya et de Shinjuku à Tokyo. Nombreux sont les musiciens américains qui ont enregistré des disques au Japon, disques que l’on peine à obtenir en Europe. Bien sûr, on trouve (presque) tout sur le net, mais où est le plaisir ? Un clic ne remplacera jamais la découverte d’un disque rare dans le bac d’un disquaire.

Les japonais classent les disques des jazzmen américains ou européens par instruments et par les prénoms des musiciens. Ne cherchez pas Enrico Pieranunzi à la lettre P, mais à E, à Enrico. Même chose pour Michel Sardaby, pianiste vénéré au Japon dont on trouve partout à la lettre M une section à son nom. Trouver des CD(s) de musiciens japonais est encore plus difficile. Le classement se fait par le nom de famille, pas par le prénom. Les albums du pianiste Masabumi Kikuchi sont ainsi rangés à la lettre K, mais tout est écrit en japonais. Les dénicher demande du temps, d’autant plus que les rééditions à petits prix sont parfois classées à part. J’ai toutefois trouvé quelques perles : un Super Audio CD de Paul Bley avec le batteur Masahiko Togashi de 1999 dont j’ignorai l’existence ; un enregistrement en trio de Richie Beirach avec Dave Holland et Jack DeJohnette réalisé pour le Japon en 1993, plusieurs opus de Renee Rosnes et de Junko Onishi qui me manquaient. C’est toutefois “Ginkai” (“Silver World”), un disque de Masabumi Kikuchi enregistré en quartette en 1970 avec Gary Peacock, le batteur Hiroshi Murakami et le flûtiste japonais Hozan Yamamoto (au shakuhachi) qui me semble le mieux refléter le Japon, un pays qui, après avoir assimilé certains éléments de la culture chinoise, a sût habilement mêler à sa propre culture ce que lui a apporté l’occident.  

QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT   

-Vincent Peirani (accordéon) et Michael Wollny (piano) au New Morning le 6 pour fêter la sortie de “Tandem” (ACT), un disque enregistré trois ans après “Thrill Box”, un album en trio avec Michel Benita à la contrebasse. Leur nouvel opus traduit une grande variété d’inspiration. Des compositions personnelles mais aussi des reprises de Björk (Hunter), Tomas Gubitch (Travesuras), Samuel Barber (Adagio for Strings), Gary Peacock (Vignette) témoignent de cet éclectisme. Les deux hommes prennent des risques, improvisent, n’ont nul peur des dissonances, ni de séduire par leur lyrisme.

-Apprécié des amateurs exigeants de piano, Steve Kuhn revient jouer au Duc des Lombards les 7 et 8 novembre (deux concerts par soir, à 19h30 et à 21h30) avec David Wong à la contrebasse et Billy Drummond à la batterie. Il a enregistré beaucoup de disques dont certains comptent dans l’histoire du jazz moderne : “Ecstasy” (1974) en solo, “Mostly Ballads” (en solo et en duo avec Harvie Swartz à la contrebasse), “Remembering Tomorrow” (1996) et plus récemment “Mostly Coltrane” (2009) sont de grandes réussites.

-Le Gil Evans Paris Workshop de Laurent Cugny au Jazz Club Étoile le 10 novembre. Seize jeunes musiciens prometteurs qui privilégient harmonies et couleurs et font revivre des arrangements de Gil Evans (Time of the Barracudas) ou des compositions arrangées par ses soins (Goodbye Pork Pie Hat de Charles Mingus, Blues in Orbit de George Russell, King Porter Stomp de Jelly Roll Morton), Laurent glissant quelques-unes de ses propres compositions dans ce répertoire. Ce dernier rencontra Gil Evans à Paris en 1986, lors de la rédaction de “Las Vegas Tango”, livre publié chez P.O.L., et enregistra deux albums avec lui l’année suivante. Au sein de l’orchestre, Andy Sheppard occupait le pupitre du saxophone ténor. Laurent l’invite à se joindre à l’orchestre qui gagnera Londres le lendemain pour un second concert donné dans le cadre du London Jazz Festival.

-Né à Bali le 25 juin 2003, le jeune pianiste Joey Alexander, 13 ans, effectue une tournée mondiale à la tête de son trio et sera à Paris, le 12, au Café de la Danse (20h00). Précocement surdoué, le phénomène stupéfie par une technique prodigieuse. Plébiscité par de nombreux festivals, ce protégé de Wynton Marsalis faisait ses débuts sur la scène du Lincoln Center à l’âge de 9 ans. Après un premier disque quelque peu inégal l’an dernier, “Countdown”, son nouvel opus sur Motéma montre les progrès accomplis. On jugera sur place et en direct.

-Joshua Redman et Brad Mehldau en duo à la Philharmonie le 14 (20h30). “Nearness” (Nonesuch), l’album qu’ils ont récemment sorti sous leurs deux noms contient de beaux échanges mais n’est pas exempte de longueurs (les solos parfois interminables de Redman au saxophone soprano, alors qu’il maîtrise mieux le ténor). Quant à Brad, il joue un magnifique piano, notamment dans In Walked Bud de Monk, fait preuve d’un grand lyrisme et éblouit par un jeu inventif et inattendu. Laissez-vous donc tenter.

-Le 14 également, Laurent De Wilde et Ray Lema se produiront à la Fondation Cartier, 261 boulevard Raspail 75014 Paris (20h00) dans le cadre de ses Soirées Nomades (des artistes de la scène investissent le temps d’une soirée les espaces d’exposition et, si le temps le permet, le jardin de la Fondation). Un duo de piano pas comme les autres, le but recherché : éviter les bavardages pour se consacrer à la musique, faire simple pour en dégager la beauté. Au programme “Riddles” (One Drop / Gazebo), le premier disque qu’ils ont enregistré ensemble et qui vient de paraître. Des plages rythmées et lyriques dans lesquelles souffle l’esprit de la danse, et du bonheur plein les oreilles.

-La grande René Marie avec son groupe, Experiment of TruthJohn Chin (piano), Elias Bailey (contrebasse), Quentin Baxter (batterie) – au Duc des Lombards les 14 et 15 novembre (2 concerts par soir, 19h30 et 21h30). Elle s’y est produite deux fois, (novembre 2013 et octobre 2014) subjuguant le public du club par sa voix chaude, son jeu de scène félin et sensuel. Après “I Wanna Be Evil” disque consacré au répertoire d’Eartha Kitt qui manqua de peu le Prix du Jazz Vocal 2013 de l’Académie du Jazz, elle a récemment publié “Sound of Red” (Motéma), un opus largement autobiographique dont elle a écrit toutes les chansons, l’un des meilleurs albums de jazz vocal publié cette année.

-Ambrose Akinmusire et son quartette au Sunside le 15 (2 concerts : 19h30 et 21h30). Sur la souple trame rythmique que lui apportent  Harish Raghavan à la contrebasse et Justin Brown à la batterie, le trompettiste fascine par la justesse de ses longues notes détachées, ses tutti, ses phrases mélodiques parfaitement ciselées. Au piano, Sam Harris, le membre le plus récent d’un groupe avec lequel Akinmusire se produit depuis longtemps. Avec eux, il prend des risques, jongle avec d’improbables métriques, explore un jazz moderne imprégné de tradition. La scène est un laboratoire qui permet l’expérimentation, l’invention permanente en temps réel. Spontanée et changeante, la musique naît et grandit naturellement.

-Kandace Springs au Jazz Club Étoile le 16 dans le cadre du Blue Note Xperia Lounge Festival. Bonne pianiste habile capable d’écrire de bonnes chansons, cette protégée de Prince qui l’aida à sortir de l’anonymat revendique l'influence de Billie Holiday, Nina Simone, Roberta Flack ou Norah Jones. Très bien produit, bénéficiant dans quelques morceaux de la trompette de Terence Blanchard, “Soul Eyes”, son premier album pour Blue Note au sein duquel jazz, folk et soul font bon ménage, mêle habilement standards et compositions originales. Une chanteuse à suivre que l’on découvrira en trio, Jesse Bielenberg (contrebasse) et Dillon Treacy (batterie) constituant sa section rythmique.

-The Aziza Quartet de Dave Holland au New Morning le 17. Occasion de découvrir le nouvel All Stars d’un contrebassiste qui a marqué l’histoire du jazz. Avec lui son vieux complice Chris Potter au saxophone ténor, Lionel Loueke à la guitare et Eric Harland à la batterie, quatre virtuoses de leurs instruments respectifs, Loueke apportant une touche africaine à la musique d’un groupe qui vient de faire paraître sur Dare Records son tout premier album.

-Cyrus Chestnut au Sunside le 18 mais au sein d’un trio accompagnant l’excellente chanteuse italienne Chiara Pancaldi. Cette dernière, une élève de Sheila Jordan et de Rachel Gould avait enregistré un premier album lorsque le pianiste l’invita à se produire au Dizzy’s Club de New York en janvier 2013. Cyrus Chestnut joue aussi dans son second disque “I Walk a Little Faster” sorti en 2015 sur le label Challenge Records. Chiara Pancaldi s’est également produite au Sunside l’an dernier, avec Olivier Hutman au piano et Darryl Hall à la contrebasse qui une fois encore se verra confier l’instrument, le batteur autrichien Bernd Reiter complétant la formation.

-Le quartette de Charles Lloyd Salle Pleyel le 19 dans le cadre du Blue Note Xperia Lounge Festival. Le saxophoniste a toujours très bien choisi ses pianistes. C’est aujourd’hui Gerald Clayton qui occupe le poste. Si Reuben Rogers assure toujours à la contrebasse, Kendrick Scott est le nouveau batteur d’une formation perméable à des métriques inhabituelles. Un groupe capable de refaçonner le répertoire du saxophoniste, de développer un jeu collectif et interactif parfaitement cohérant. Lloyd aime donner des versions différentes des morceaux qu’il aborde, se promener sur des morceaux qu’il réinvente. Il peine un peu à souffler des notes justes, mais qu’importe. Singulièrement profonde et toujours ancrée dans la tradition, sa musique parle le langage de l’âme. En première partie, Mare NostrumRichard Galliano (accordéon), Paolo Fresu (trompette et bugle), Jan Lundgren (piano) –, voyages sonores imaginés dans une Europe multiculturelle et sans frontières.

-Al Jarreau à l’Olympia le 22, toujours dans le cadre du Blue Note Festival, dans un programme entièrement consacré à Duke Ellington. Une idée de Jörg Joachim Keller, le chef du NDR Big Band, l’orchestre de la radio et de la télévision de Hambourg qui aligne vingt musiciens. Hambourg : la ville où, 37 ans plus tôt, la carrière du chanteur décolla lorsqu’il interpréta à l’Onkel Pö’s Carnegie Hall sa version de Take Five qui, en quelques jours, le rendit célèbre en Allemagne. Ce n’est pas la première fois qu’Al Jarreau travaille avec cet orchestre. Pour le centenaire de George Gershwin en 1998, l’orchestre lui avait proposé un arrangement de “Porgy and Bess”, programme que les parisiens purent découvrir en 2007 au Palais des Congrès.

-Antonio Faraò au Sunside les 25 et 26 novembre avec Stéphane Kerecki (contrebasse) et Daniel Humair (batterie). Le pianiste séduit par la vivacité de sa musique, un jazz souvent modal au lyrisme convaincant. Avec lui, point de notes inutiles mais, un phrasé fluide, une technique toujours au service d’une ligne mélodique qu’il se plaît à raffiner. L’influence de Bill Evans mais aussi d’Herbie Hancock est perceptible dans son piano, dans ses choix harmoniques. Il peut aussi se montrer énergique, attaquer ses notes avec agressivité, leur donner du swing et du poids. Nul doute que l’excellente section rythmique qui va l’accompagner saura servir intelligemment sa musique.

-Harold López-Nussa au New Morning le 30 avec son jeune frère Adrián Ruy López-Nussa à la batterie et aux percussions et le sénégalais Alune Wade à la basse et au chant, ce dernier apportant une touche africaine bienvenue au jazz afro-cubain du pianiste. Il enrichit beaucoup “El Viaje”, le nouvel album d’Harold, son meilleur, celui dans lequel il parvient à nous faire voyager, à nous dépayser. Une musique rythmée et élégante, enracinée dans la tradition cubaine mais ouverte à d’autres cultures.

-New Morning : www.newmorning.com

-Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com

-Jazz Club Étoile : www.jazzclub-paris.com/fr

-Café de la Danse : www.cafedeladanse.com

-Philharmonie : www.philharmoniedeparis.fr

-Fondation Cartier : www.fondation.cartier.com

-Sunset-Sunside : www.sunset-sunside.com

-Salle Pleyel : www.sallepleyel.com

-Olympia : www.olympiahall.com

-Blue Note Xperia Lounge Festival : www.bluenotefestival.fr

 

Crédits Photos : Kyoto / Métro / Kimono, Zacbaran Kyoto, Tower Records Tokyo © Pierre de Chocqueuse –Michael Wollny & Vincent Peirani © Joerg Steinmetz / ACT – Joey Alexander © Motéma Records –  Joshua Redman & Brad Mehldau © Michael Wilson – Laurent De Wilde & Ray Lema © Olivier Hoffschirf – René Marie © John Abbott – Ambrose Akinmusire © Autumn De Wilde – Chiara Pancaldi © Mali Erotico – Cyrus Chestnut © HighNote Records – Al Jarreau © Marina Chavez – Antonio Faraò © Roberto Cifarelli – Harold López-Nussa © Eduardo Rawdriguez – Steve Kuhn, Laurent Cugny, Kandace Springs, The Aziza Quartet, Daniel Humair, Stéphane Kerecki © Photo X/D.R.

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