Theo Bleckmann enregistre beaucoup. Il travaille avec Moss, groupe vocal prometteur dont
on attend un second album et vient de publier un recueil de chansons de Charles Ives dans lequel le groupe Kneebody l’accompagne. Convié en 2002 à un Wall-to-Wall Joni Mitchell Marathon Concert, Bleckmann avait alors
formé un trio avec Gary Versace et John Hollenbeck. Ce Refuge
Trio sort aujourd’hui un premier opus inattendu sur le label Winter & Winter. Il s’ouvre sur une version dépouillée de Refuge of the Roads, un morceau de Mitchell, le
dernier d’“Hejira“, un des grands disques de la chanteuse. Une minute et neuf secondes sans aucun autre instrument que la voix très pure de Bleckmann. Des effets électroniques en prolongent le
timbre dans To What Shall I Compare This Life introduit à l’accordéon. La voix chante inlassablement les paroles d’un mantra dont le piano égraine les notes. Le
xylophone lui confère un aspect étrange. Les musiciens profitent des possibilités que leur offre le studio pour étoffer l’instrumentation de leur répertoire.
Excellent pianiste, Gary Versace est aussi un spécialiste de l’orgue Hammond et un accordéoniste chevronné. Batteur, percussionniste, John Hollenbeck joue aussi
du vibraphone et des métallophones. La musique créée par le groupe est ainsi une suite de paysages musicaux aux couleurs très variées. Edge, un court morceau d’accordéon composé par
Versace, sert d’introduction à l’illustration musicale d’un texte écrit au XVIIe siècle par Mizuta Masahide, poète et samouraï. Bleckmann vocalise sur Peace
d’Ornette Coleman. La mélodie apparaît tardivement sous les doigts du pianiste. Un habile bruissement percussif le commente. Misterioso de Thelonious
Monk génère un délire sonore auquel participe activement un piano atonal. On cherche vainement à reconnaître le thème dans les phrases abstraites que joue Versace, mais c’est Bleckmann
qui en chante les notes. Hollenbeck tire des sons cristallins de ses vibraphones et ses crotales (cymbales à doigts) tintinnabulent joyeusement. La pièce se nomme Yang Peiyi, du nom de
la petite fille à la voix superbe que la télévision chinoise préféra ne pas montrer lors des derniers Jeux Olympiques. Elle est suivie par Hymn, une prière, un des plus beaux moments
d’un disque féerique.