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5 novembre 2013 2 05 /11 /novembre /2013 09:13
Michu’s Blues

Novembre : il pleut des taxes, des impôts et on annonce du mauvais temps. La météo n’est guère réjouissante. Certains parlent de pluies fines, d’autres de pluies épaisses comme ces soupes automnales à base de champignons dont raffole Monsieur Michu. À son retour de Clermont, ce dernier a eu la mauvaise surprise de se voir réclamer une taxe d’habitation éléphantesque. Comme tant d’autres français, il n’arrête pas de payer. Sa maigre retraite ne suffit pas, alors il râle, menace, vitupère. Il pleut des larmes dans ce pays. Avec ce que l’État lui laisse, notre homme s’est acheté un bonnet rouge et compte rejoindre les mécontents bretons qui, serrés les uns contre les autres, offrent moins de prise au vent. Son épouse l’en a fort heureusement dissuadé. À son âge et avec un cœur en mauvais état, mieux vaut pour lui écouter de la musique. En novembre, les clubs font le plein de bons concerts. Musiciens européens et américains nous visitent et Monsieur Michu n’a que l’embarras du choix. Il apprécie de moins en moins ces jazzmen diplômés qui ne savent rien du jazz et de son histoire. Sans l’intervention de Jean-Paul, l’un d’eux l’aurait probablement frappé à la sortie du Sunside. Le doyen d’âge de ce blog avait osé protester contre les sons inhumains que le faraud tirait de son saxophone. Contrairement à Jean-Jacques Dugenoux qui ne jure que par Tigran Collignon et Ibrahim Panossian, sans parler d’Étienne Marcel, farceur arc-bouté sur ses propres inventions, Monsieur Michu préfère les musiciens qui se réclament de la tradition et dont le blues irrigue la musique, ceux qui jouent encore des standards, greffent leurs lignes mélodiques sur de vraies mélodies. Ce n’est pas une question de couleur de peau, de nationalité, bien que le jazz nous vienne d’Amérique. Des jazzmen européens savent aussi faire cela. Prenez Olivier Hutman, le blues coule dans ses veines, donne une âme à son piano. Organisé par les centres culturels étrangers de Paris, le festival Jazzycolors permet depuis onze ans de faire découvrir au public français les groupes de jazz des pays participants, soit vingt-cinq concerts actés cette année entre le 27 octobre et le 30 novembre dans treize centres culturels de la capitale. Seul problème, ces groupes sont loin de tous proposer de la musique intéressante. Certains confondent même jazz et musique improvisée ce qui n’est pas la même chose. Je recommande toutefois le Maxime Bender Quartet (le 19 au Centre Culturel Irlandais) et Mélanie De Biaso, chanteuse talentueuse dont l’univers onirique aux confins du jazz et de la pop reste très séduisant (le 27 novembre à l’Institut Culturel Italien). Lionel Eskenazi aime et moi aussi. Vous trouverez sa photo dans le numéro de novembre de Jazz Magazine / Jazzman qui consacre sa couverture à Herbie Hancock. Sony publie un coffret des années Columbia du pianiste (1972-1988), soit trente et un albums que renferment trente-quatre CD. Huit d’entre eux sont indispensables. Les autres, plus ou moins bons, voire d’un goût douteux, ne s’imposent pas dans une discothèque. Un bel objet pour les collectionneurs qui ont encore des sous.

QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT

Michu’s Blues

-Vous n’avez pas eu besoin de moi pour vous rendre le 4 novembre à Bobino. Anne Ducros y chantait “Either Way” son nouveau disque. Des standards jadis interprétés par Marilyn Monroe et Ella Fitzgerald. Anne a déjà abordé le répertoire de cette dernière avec un grand orchestre de cuivres dans “Ella…My Dear” en 2010. Ce nouvel album met davantage en valeur son quartette. Benoît de Mesmay y tient le piano, Maxime Blesin les guitares, Gilles Nicolas la contrebasse et Bruno Castellucci la batterie. Quelques invités ajoutent des couleurs. Des cordes rendent soyeux quatre des quinze morceaux qu’il renferme. On ne se lasse pas d’écouter Either Way, la seule composition originale d’un opus réussi.

-Remplaçant Scott LaFaro au sein du trio de Bill Evans, le bassiste Chuck Israels joua trois ans avec lui avant de voler de ses propres ailes. On écoutera son jeu élégant et mélodique au Sunside le 5, dans un hommage à Evans. Chuck Israels se verra accompagner par Manuel Rocheman au piano – un bon choix, Manuel ayant justement consacré à Evans un de ses récents disques – et Dré Pallemaerts à la batterie.

Michu’s Blues

-Ahmad Jamal à l’Odéon pour trois concerts (7, 8 et 9 novembre à 20h). Le pianiste interprétera de larges extraits de “Saturnay Morning”, un album aussi inspiré que “Blue Moon”, son disque précédent. Avec lui pour jouer sa musique aux rouages huilés comme peut l’être un moteur de compétition, une exceptionnelle section rythmique, une des meilleure de sa très longue carrière. Reginald Veal (contrebasse), Herlin Riley (batterie) et Manolo Badrena encadrent son piano espiègle, ses notes virevoltantes et colorées qu’il retient pour les faire jaillir en cascades. Ne manquez pas ces précieux rendez-vous parisiens.

-Accompagné par l’excellent pianiste vénézuélien Luis Perdomo – sa main droite, virtuose et mobile apporte beaucoup à la musique –, Miguel Zenon revient au Sunside le 9 et le 10. Hans Glawischnig (contrebasse) et Henry Cole (batterie) complètent le quartette du saxophoniste portoricain, qui, à l’alto, s’impose comme l’un des meilleurs de sa génération.

Michu’s Blues

-Entre le 12 et le 17 novembre, le label Motéma fêtera ses dix ans d’existence au Duc des Lombards. On n’y entendra pas Geri Allen, son artiste la plus célèbre, mais la semaine sera assurément chaude avec le Focus Trio du pianiste Marc Cary dont j’ai récemment chroniqué un album, les effluves cubaines du Pedrito Martinez Group, la musique inclassable du batteur Jaimeo Brown. Consultez le programme. Le concert à ne pas manquer reste toutefois celui que donnera René Marie le 12 (20h et 22h), magnifique chanteuse que récompensa il y a une dizaine d’années l’Académie du Jazz. Son nouvel album, un hommage à la grande Eartha Kitt s’écoute sans modération. Je vous en promets prochainement la chronique.

Michu’s Blues

-Après s’être plongé dans les films noirs, le pianiste Stephan Oliva entreprend dans son nouveau disque une relecture personnelle des musiques des films de Jean-Luc Godard. Ce dernier les confia à Michel Legrand (“Vivre sa vie”, “Une Femme est une femme”), Antoine Duhamel (“Pierrot le fou”), Georges Delerue (“Le Mépris”), mais aussi à Martial Solal qui avec “A bout de souffle” (1960) composait une de ses premières pages pour l’écran. Au Sunside, le 13, Stephan réinventera ce répertoire en solo, non sans le transformer et le poétiser, y greffer des enchaînements mélodiques et rythmiques inattendus, en épurer le trop plein de notes, son piano, un univers à lui seul, ne chantant jamais deux fois la même chose.

Michu’s Blues

-Kristin Asbjørnsen en quartette au Sunset le 14. La chanteuse norvégienne s’est fait connaître au public français par sa participation à “Restored, Returned“ un disque ECM du pianiste Tord Gustavsen. Proche du folk et de la world music, sa musique se nourrit aussi du blues et du gospel. Sa passion pour le genre l’a conduit à enregistrer en 2006 un disque entier de negro-spirituals. Elle possède une voix rauque et chaude, qui monte aussi bien dans l’aigu qu’elle descend dans le grave. “I’ll Meet You in the Morning” son nouvel album mêle et réunit ces influences.

Michu’s Blues

-The John Scofield Überjam Band au New Morning le 18. Le guitariste mit sur pied cette formation en 2002, enregistrant pour Verve “Up All Night”, album mêlant jazz, funk et acid jazz. Scofield a récemment fait paraître “Überjam deux”, un disque fortement électrifié. Il sera à Paris avec l’étonnant Arvi Bortnick à la guitare rythmique, Andy Hess (basse électrique et contrebasse), et Louis Cato à la batterie.

Michu’s Blues

-Ne manquez pas Alan Broadbent en trio au Duc des Lombards le 20 et le 21. Élève de Lennie Tristano, il composa Blues in the Night Suite pour l’orchestre de Woody Herman avant de se faire connaître comme le pianiste du Quartet West de Charlie Haden. Il fut aussi celui de Nelson Riddle pendant dix ans avant de travailler comme arrangeur auprès de Diane Schuur, Shirly Horn et Diana Krall. Pianiste élégant au toucher délicat, il se produit au Duc avec Phil Steen à la contrebasse et Kai Bussenius à la batterie.

Michu’s Blues

- Christian Scott de retour au New Morning le 22 avec une musique forte, puissante, plus tonique que celle qu’il enregistre en studio. Sur scène, les compositions gagnent en dynamique, en intensité, le concert favorisant les échanges entre les musiciens, une prise de risque plus grande. La trompette de Scott y occupe une place importante. Insolente, tendre, fiévreuse, elle séduit par un chant aussi puissant que lyrique. Influencé par le rock, le funk et le hip-hop, elle place le groove au cœur de la musique. Pour la jouer avec lui, un sextette comprenant Braxton Cook aux saxophones, Lawrence Fields au piano, Matthew Stevens à la guitare, Kris Funn à la contrebasse et Corey Fonville à la batterie.

Michu’s Blues

-Irving Acao a grandi à Cuba. Nanti très jeune d’une solide formation classique, il est attiré par le jazz, le métissant de rythmes afro-cubains. Ayant choisi de s’exprimer au saxophone ténor, il vient de sortir un premier disque dans lequel prime lyrisme et générosité dans un jeu tout en puissance. “Azabache” contient des compositions originales auxquelles s’ajoute une reprise de Oh que sera que sera de Chico Buarque. On l'attend au Sunside le 22 et le 23 avec ses musiciens, le brésilien Leonardo Montana au piano, ses compatriotes Felipe Cabrera à la contrebasse et Lukmil Pérez à la batterie.

Michu’s Blues

-La basse de Christian McBride n’a aucun mal à se faire reconnaître. Elle ronronne comme un gros chat heureux. McBride la flatte, caresse ses cordes avec volupté. Qu’il choisisse de jouer une walking bass confortable ou d’adopter un jeu virtuose, il n’en reste pas moins un des grands de l’instrument. Chick Corea ne s’y est pas trompé, l’engageant dans son Five Peace Band et effectuant avec lui et le batteur Brian Blade une longue tournée mondiale l’an dernier. A la tête de son propre trio au sein duquel officie l’excellent pianiste Christian Sands et le batteur Ulysse Owens Jr., le bassiste est attendu au Duc des Lombards pour trois soirs et six concerts les 22, 23 et 24 novembre. L’occasion pour lui de jouer les morceaux d’“Out Here” son nouveau disque pour le label Mack Avenue, des standards qu’il réinvente magnifiquement.

Michu’s Blues

-Marjolaine Reymond au Sunset le 26 pour la sortie de son nouvel album “To Be an Aphrodite or Not To Be”, ou les pensées d’Emily Dickinson (1830-1886), poétesse américaine excentrique qui passa une partie de sa vie recluse dans sa propriété d’Amherst. Tout de blanc vêtue, elle jardinait, remplissait de fleurs son herbier et écrivait ses poèmes, véritable mise en abîme de sa solitude, des vers très courts aux rîmes volontairement imparfaites et à la ponctuation non conventionnelle pour l’époque. Pour jouer la musique de son disque, oratorio en trois parties qui relève autant de la musique contemporaine que du jazz, Julien Pontvianne (saxophone ténor) David Patrois (vibraphone et marimba), Xuan Lindenmeyer (contrebasse) et Stefano Lucchini (batterie) assistent la chanteuse dans une œuvre ne ressemblant à aucune autre.

-Le pianiste Jacky Terrasson fête son anniversaire au New Morning le 27 et à cette occasion invite ses amis musiciens. Stéphane Belmondo (trompette et bugle) et Minino Garay (percussions) seront présents avec d’autres dont les noms n’ont pas été communiqués. Leon Parker, batteur avec lequel il a naguère beaucoup joué, et Darryl Hall dont la contrebasse tient toujours le tempo adéquat, assureront la rythmique. Une belle soirée en perspective.

Michu’s Blues

-Denise King et Olivier Hutman de retour au Sunside le 29 et le 30. Avec eux Darryl Hall, toujours à la contrebasse, et le batteur Steve Williams. Leur dernier disque s’intitule “Give Me the High Sign”, une chanson co-écrite par Olivier Hutman et Denise King, et sa musique interpelle. On la croirait sortie des vénérables juke boxes de nos années vinyles, de cette décade prodigieuse (1966 - 1976) qui vit fleurir les chefs-d’œuvre, les genres se mélanger, les passions se créer. King et Hutman forment une association de rêve. Une voix royale chante les chansons sur mesure que lui cisèle un pianiste compositeur possédant un rare talent d’arrangeur. Denise sait chauffer une salle. Avec elle, l’air devient brûlant, la température déraisonnable. On replonge au cœur de l'été.

-Sunset-Sunside : www.sunset-sunside.com  

-Odéon, Théâtre de l’Europe : www.theatre-odeon.eu

-Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com

-New Morning : www.newmorning.com

 

Crédits photos : Ahmad Jamal © Frank Stewart – René Marie © Joseph Boggess / Motéma – Stephan Oliva , Irving Acao, Olivier Hutman © Pierre de Chocqueuse – Kristin Asbjørnsen © Universal Music – John Scofield Überjam Band © Nick Suttle – Alan Broaddbent © Artistry Music – Christian McBride Trio © Chi Modu – Marjolaine Reymond © Bernard Minier – Christian Scott © photo X/D.R.   

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commentaires

J
A propos de Marjolaine Reymond. De l'ambition, et surtout pas de la prétention ! Un élargissement des frontières du jazz pour ne pas en sortir. On est proche du Berg de der Wein et du Webern des Lieder op. 13 et 14. En plus, un travail spécifique sur le son, l'imbrication voix-instruments, la pulsation suggérée. Le jazz est une composante de la musique contemporaine.
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