Quatre disques à ne pas laisser passer dans un grand pandémonium d’enregistrements médiocres et souvent chaotiques. Si le jazz conserve une place essentielle dans les musiques que ces albums proposent, leur part de métissage peut ne pas plaire à tout le monde. Elle reste acceptable, voire souhaitable si elle fait avancer les choses, apporte de nouvelles perspectives au champ musical. Question de dosage, de culture, de talent. Les auteurs de ces disques en ont à revendre, Sonny Rollins bien sûr, mais aussi les autres musiciens de cette sélection. Tous pratiquent un jazz ouvert dont ils connaissent les règles, l’histoire et le vocabulaire. J’ai définitivement adopté leur album et les écoute les yeux fermés. Peu me chaut les râleurs et les mécontents. D’autres musiques s’offrent à leurs oreilles. Du moment que je garde les miennes…
LUCKY DOG (Fresh Sound New Talent / Socadisc)
Ce groupe réunit quatre musiciens que l’amateur de jazz se doit de connaître. Parisien depuis septembre 2012 après quatre années passées à Bordeaux où il enseignait le saxophone, Frédéric Borey s’est depuis fait un nom dans la capitale. On a pu l’écouter dans les clubs au sein de diverses formations défendant plusieurs projets parmi lesquels des concerts autour de “The Option”, album dont vous trouverez la chronique dans ce blog. Sur deux plages, le saxophoniste y invite Yoann Loustalot au bugle, musicien cultivé qui joue surtout ici de la trompette. Yoni Zelnik (contrebasse) et Frédéric Pasqua (batterie) complètent un quartette sans piano qui parvient toujours à capter l’attention. Grâce aux compositions originales des deux souffleurs dont les thèmes n’oublient jamais de swinguer. Jacky’s Method, Interférence et Involved sont les plages rythmées d’un enregistrement qui abrite aussi des moments plus intimes. Bugle et saxophone ténor dans le mélancolique Sinless, trompette et ténor dans Peaceful Time et The Real all of Me qui ouvre le disque, ces pièces chorales favorisent des dialogues, des combinaisons de timbres subtils et appréciables. Les quelques thèmes-riffs évoquent parfois le quartette d’Ornette Coleman. Toujours à l’écoute, la section rythmique fait jeu égal avec les vents, participe à une aventure réellement collective.
Brian BLADE & THE FELLOWSHIP BAND : “Landmarks” (Blue Note / Universal)
Quatrième album d’un groupe qui prend son temps pour enregistrer. Accaparé par sa propre carrière, ses tournées avec Wayne Shorter et Chick Corea pour ne pas les citer, Brian Blade peine à réunir une formation dont il assure le leadership depuis sa création en 1997. Musicien de studio demandé, le batteur a accompagné Bob Dylan, Joni Mitchell (qui chante un des titres de “Perceptual”, le second opus du groupe), et affectionne de nombreux styles musicaux. Mélangeant le blues, le gospel, le folk, la soul et le jazz, The Fellowship Band en réalise brillamment la synthèse. Jon Cowherd (piano, claviers électriques, orgue à pompe), Myron Walden (saxophone alto, clarinette basse), Melvin Butler (saxophone ténor), Chris Thomas (contrebasse) et bien sûr Brian Blade accueillent ici les guitaristes Jeff Parker et Marvin Sewell. Une pâte sonore colorée et riche en résulte. Le groupe improvise avec lyrisme sur des chansons, de vraies mélodies. Blade a composé la plupart d’entre-elles. Il a déjà surpris l’amateur de jazz en 2009 avec “Mama Rosa“, un étonnant recueil de chansons que l’on croirait surgir de la Californie des années 70, et confirme ici un talent éclectique.
Gildas BOCLÉ : “Country Roads” (G. Boclé Production / Absilone / Socadisc)
Un hommage à Gary Burton dont l’album “Country Roads And Other Places” (1969) est un des disques préférés de Gildas Boclé. Contrebassiste, il a souvent eu l’occasion d’accompagner le vibraphoniste lorsqu’il séjournait en Amérique. Burton joue dans “Or Else”, un disque de 2006 que Gildas a enregistré sous son nom. Adolescent, il pratiquait la guitare folk, aimait Doc Watson, Leo Kottke et Chet Atkins. Confié selon les plages à Taofik Farah, Jérôme Barde et Nelson Veras, l’instrument occupe ici une place spéciale auprès de nombreux autres, Gildas Boclé s’étant aussi donné pour tâche d’habiller ses compositions chantantes, d’en soigner les arrangements. On retrouve ainsi son frère Jean-Baptiste Boclé à l’orgue et souvent au vibraphone. Sur plusieurs titres, Florent Gac assure les parties de piano. Sur d’autres, Walt Weiskopf joue du saxophone ténor. Un riche tapis orchestral en résulte. L’orgue fournit une ligne de basse constante et enveloppe parfaitement le son de la contrebasse jouée à l’archet, pratique que Gildas affectionne. Bien que le folk imprègne la structure de certains morceaux, “Country Roads” reste un disque de jazz. Les sections rythmiques (deux batteurs, Simon Bernier et Marcello Pellitteri) apportent souplesse et swing à la musique, des compositions lyriques que l’on ne se lasse pas d’écouter.
Sonny ROLLINS : “Road Shows Volume 3” (Okeh / Doxy / Sony Music)
Patriarche barbu, légende vivante du jazz, Sonny Rollins bientôt 84 ans donne moins de concerts, se réserve pour de grands festivals. Il faut bien sûr l’écouter sur scène, le voir souffler dans son saxophone ténor pour constater sa puissance, son jeu aussi brûlant que lyrique. En l’absence d’enregistrements studios, on se console avec une série d’albums réunissant des extraits de ses concerts. Enregistré au Etats-Unis, au Japon et en France entre 2001 et 2012, ce troisième volume reste plus conséquent que les deux précédents. Grâce aux titres qui font entendre le saxophoniste au sein d’une formation comprenant Peter Bernstein à la guitare et l’excellent batteur Kobie Watkins. On connaît les autres musiciens qui l’entourent, le fidèle Clifton Anderson au trombone et Bob Cranshaw son bassiste. Au Japon en 2001, Stephen Scott assure le piano, mais Rollins préfère avoir une guitare près de lui. Celle de Bobby Broom lui tient souvent compagnie. Il aime aussi jouer seul, en solo, comme en témoigne Solo Sonny, un stupéfiant morceau de 2009. Un concert de Rollins ne se conçoit pas sans un calypso et une courte version de Don’t Stop the Carnival conclut magnifiquement le disque.