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20 avril 2020 1 20 /04 /avril /2020 10:01
Quelques Blue Note à rechercher (2)

“Tokyo Live” de Tony Williams, “No Words” de Tim Hagans, “Seventh Sense” de Kevin Hays, “The Invisible Hand” de Greg Osby, s’ajoutent aux disques Blue Note de Don Grolnick, Bill Stewart et Stefon Harris dont vous avez pu lire les chroniques la semaine dernière. Bien que passés inaperçus, vous les connaissez peut-être. Je vous invite à les (re)découvrir et à les (ré)écouter. Les mêmes musiciens s’y font parfois entendre. Seamus Blake joue du saxophone ténor dans les albums de Kevin Hays et de Bill Stewart, ce dernier étant également le batteur de celui de Tim Hagans. Greg Osby joue aussi du saxophone alto dans le disque de Stefon Harris, l’autre saxophoniste de la séance, Gary Thomas, accompagnant Greg Osby dans son propre disque. Présent au concert de Tokyo de Tony Williams, le trompettiste Wallace Roney, nous a quitté le 31 mars, emporté par le Covid-19. Il avait 59 ans. Ma chronique de “Tokyo Live” lui est dédiée.

Tony WILLIAMS : “Tokyo Live” (2 CD(s) enregistrés en mars 1992)

On doit à Tony Williams (1945-1997) l’un des chefs-d’œuvre du jazz moderne, “Life Time”, un disque Blue Note, le premier qu’il enregistra sous son nom. Il a travaillé avec Jackie McLean – il joue dans “One Step Beyond”, l’un des plus beaux disques du saxophoniste –, mais a surtout été le batteur du second quintette de Miles Davis avec Wayne Shorter, Herbie Hancock et Ron Carter, musiciens qu’il va retrouver à partir de 1976 au sein du VSOP, les années 70 le voyant également rejoindre Hank Jones et Ron Carter au sein du Great Jazz Trio. À son Lifetime, formation à géométrie variable qu’il reforme à plusieurs reprises entre 1969 et 1976, succèdera entre 1985 et 1992 un excellent quintette de bop moderne. Après plusieurs changements de personnel, Wallace Roney (trompette), Bill Pierce (saxophones ténor et soprano), Mulgrew Miller (piano) et Ira Coleman (contrebasse) en seront les membres définitifs.

 

Avec eux, en février 1992, Tony Williams s’envole pour le Japon. En mars, la formation joue une semaine à Tokyo et en profite pour enregistrer cet album, le seul live de sa carrière, un disque difficile à trouver. Il n’a pas été réédité dans le coffret Mosaic Select qui regroupe ses cinq albums studio pour Blue Note et n’a jamais existé en vinyle. Une bonne partie du répertoire, de la plume du batteur Blackbird excepté, provient de “Civilization”, le second album du quintette enregistré en 1986 avec Charnett Moffett à la contrebasse. Les morceaux sont beaucoup plus développés qu’en studio. Wallace Roney et Bill Pierce exposent les thèmes à l’unisson et tous y prennent des solos. Tony Williams s’en offre plusieurs, longs, sculpturaux, tous soigneusement construits. Ses toms parfaitement accordés avec sa caisse claire, ses cymbales finement bruissées, introduisent Warriors, Sister Cheryl, Mutants On the Beach et Geo Rose. Dans ce dernier, Mulgrew Miller y prend deux chorus fluides et imbibés de blues. Sa riche palette harmonique se fait surtout entendre dans Citadel. Il est seul à le jouer pendant neuf minutes (le morceau en dure dix-huit), et son imagination semble intarissable. Raffiné dans Sister Cheryl, son piano est aussi d’une grande élégance dans Angel Street, un grand thème du batteur, une mélodie sur laquelle Wallace Roney brille à la trompette et que Miles Davis aurait sûrement aimé jouer.

Tim HAGANS : “No Words” (enregistré en décembre 1993)

Né en 1954, trompettiste aux attaques franches dont la sonorité claire et droite évoque parfois Kenny Wheeler, Tim Hagans, fait peu parler de lui. Après trois ans dans l’orchestre de Stan Kenton et quelques mois dans celui de Woody Herman il s’installe en Suède et travaille avec Thad Jones – sa principale influence avec Freddie Hubbard auquel il consacra un album – qui l’encourage à poursuivre une carrière musicale et enregistre une de ses compositions. Tim Hagans a joué et enregistré avec Joe Lovano, le Bob Belden Ensemble, Bob Mintzer, le quartette de Gary Peacock, mais a peu fait de disques sous son nom. Les labels Pirouet (“Beautiful Lily” en 2006 et “Alone Together” en 2008, tous les deux avec Marc Copland) et Palmetto (“The Moon is Waiting” en 2011) abritent ses rares albums, mais c’est pour Blue Note en 1993 que Tim Hagans a gravé son meilleur opus, “No Words”.

 

Si Tim Hagans reste le principal soliste de son disque, Joe Lovano (saxophones ténor et soprano), John Abercrombie (guitare) et Marc Copland (piano et Fender Rhodes) se partagent avec lui les chorus. Largement improvisé, “No Words” est coproduit par Lovano qui, l’année précédente, a invité Hagans à participer à l’enregistrement de son “Universal Language”. Scott Lee qui en est l’un des bassistes, assure ici la rythmique avec le batteur Bill Stewart. Les envolées lyriques sont l’apanage de la guitare de John Abercrombie qui brode de délicats contre-chants derrière la trompette. Les tempos rapides, le tonique Nog Rhythms, contraignent Marc Copland à jouer un piano nerveux. Les petites notes qu’il fait sonner dans Walking Iris, celles légères et brumeuses de Passing Giants, nous sont davantage familières. Le pianiste leur apporte de subtiles nuances, des harmonies raffinées. Avec ses parties jouées par les souffleurs à l’unisson, Walking Iris bénéficie d’un arrangement soigné. C’est un des trois morceaux dans lequel se fait entendre Joe Lovano. Au chorus enveloppant de son ténor répondent les longues notes tenues par la trompette. Improvisation aux modulations vagabondes riches en audaces harmoniques, Immediate Left mêle avec bonheur instruments électriques et acoustiques. Copland fait gronder son Fender Rhodes derrière une guitare véloce et rageuse, Lovano soufflant dans l’urgence les notes brûlantes de son imaginaire.

Kevin HAYS : “Seventh Sense” (enregistré en janvier 1994)

Né à New York le 1er mai 1968, le pianiste Kevin Hays a joué avec les Harper Brothers, Benny Golson et Joe Henderson avant d’enregistrer son premier disque en août 1990 (“El Matador”) avec ce dernier comme invité. Tout en poursuivant une carrière de sideman auprès de Sonny Rollins et de John Scofield, il ajoute dans les années 90 trois SteepleChase et trois Blue Note à sa discographie (le troisième avec Ron Carter et Jack DeJohnette) avant de l’augmenter de plusieurs disques en trio avec Doug Weiss et Bill Stewart. Après s’être retiré trois ans au Nouveau-Mexique (“Open Range” en solo est un peu le reflet musical de cette période), il publie en 2010 “Modern Music” (Nonesuch) un opus en duo avec Brad Mehldau. Hays excelle aussi au Fender Rhodes. Ses derniers enregistrements sont disponibles sur Sunnyside et Edition Records (“Hope” en duo avec le guitariste Lionel Loueke).

 

Premier des trois opus que Kevin Hays enregistra pour Blue Note, “Seventh Sense”, produit par John Scofield, reste l’un des sommets de sa discographie. C’est aussi son premier disque avec Doug Weiss à la contrebasse, orthographié Wiess sur la pochette. Brian Blade complète la rythmique d’un quintette qui comprend Seamus Blake au saxophone ténor et Steve Nelson au vibraphone. Ce dernier va bientôt s’illustrer au sein du quintette de Dave Holland qu’il rejoint l’année suivante. Kevin Hays qui a derrière lui de solides études de piano – il a notamment étudié l’instrument avec la pianiste Eleanor Hancock remerciée sur la pochette –, ne dédaigne pas adapter des pièces du répertoire classique. Mais si Interlude de Paul Hindemith évoque ainsi lointainement la musique du Modern Jazz Quartet, “Seventh Sense” est un disque de jazz moderne dans lequel les musiciens prennent tour à tour d’excellents chorus. Ceux de Seamus Blake donnent de l’énergie à la musique de Hays dont le jeu brillant est aussi d’une grande finesse mélodique. Three Pillars qui dégage un subtil parfum oriental, et My Man’s Gone de Gershwin, ré-harmonisé et joué sur un tempo inhabituellement rapide, en témoignent. Hays aime surprendre, diversifier ses couleurs harmoniques. Sa version de Little B’s Poem (une composition de Bobby Hutcherson) s’inspire de Black Narcissus, célèbre thème de Joe Henderson qui conclut magnifiquement son disque. 

Greg OSBY : “The Invisible Hand” (enregistré en septembre 1999)

Engagé comme saxophoniste au sein de la Special Edition du batteur Jack DeJohnette en 1987 – il est présent sur trois albums de la formation –, Greg Osby est avec les saxophonistes Steve Coleman et Gary Thomas, la pianiste Geri Allen, et la chanteuse Cassandra Wilson l’un des membres fondateurs du M-Base Collective, mouvement qui dans les années 80 tente une synthèse de toutes les musiques afro-américaines. Après trois disques pour la firme allemande JMT – “Sound Theatre”, son premier, date de 1987 –, Greg Osby va enregistrer quatorze albums pour Blue Note avant de fonder son propre label, Inner Circle Music. “Friendly Fire” (Blue Note) associe Greg Osby à Joe Lovano. “Round & Round” et “Night Call”(Nagel Heyer Records) réunissent Greg Osby et Marc Copland.   

 

Retrouver dans un même album Jim Hall et Andrew Hill s’explique par la présence de Greg Osby dans plusieurs de leurs disques – “Panorama” et “By Arrangement” de Jim Hall, “Eternal Spirit” et “But Not Farewell” d’Andrew Hill. C’est la première fois que les deux hommes jouent ensemble et que Hall accepte de participer à une séance qui n’est pas une des siennes depuis 1964. “The Invisible Hand” rassemble également Gary Thomas (saxophone ténor, flûte et flûte en sol), Scott Colley (contrebasse) et Terry Lyne Carrington (batterie), cette dernière ayant mission de colorer une musique très ouverte. Associées aux clarinettes que Greg Osby joue en re-recording, les flûtes de Thomas offrent de magnifiques couleurs à Nature Boy et à Who Needs Forever que Quincy Jones composa pour le film de Sidney Lumet “A Deadly Affair” (“M.15 demande protection”). Greg Osby fait subir un profond lifting à Indiana qu’il reprend en trio, le Jitterbug Waltz de Fats Waller étant pareillement déconstruit. La sonorité feutrée de son alto, son phrasé fluide, son lyrisme s’accordent bien avec les intervalles inattendus du pianiste, son approche élastique du tempo. Les deux versions de The Watcher qu’ils interprètent en duo témoignent de leur complicité, l’univers pianistique de Hill se reflétant dans ses compositions, Tough Love et Ashes qu’il a écrit pour cette séance. Sanctus de Jim Hall est également un original. Jouant une guitare raffinée, le guitariste privilégie l’harmonie, la spontanéité de son jeu étant d’une fraîcheur délectable.

 

Photo d'ouverture : Le quintette de Tony Williams en 1992 © Michele Clement / Blue Note Records

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commentaires

C
Bonjour Pierre,<br /> <br /> Le thème "Little B's Poem" est-il une composition personnelle de Kevin HAYS ou s'agit-il à l'inverse de la très belle valse signnée Bobby HUTCHERSON sur son album Blue Note COMPONENTS gravé en 1965 avec, excusez du peu : F. HUBBARD, J. SPAULDING, H. HANCOCK, R. CARTER & J. CHAMBERS ?<br /> Bien cordialement, SCarini.
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C
C'est juste que je ne suis pas persuadé que tous tes (nombreux et passionnés) lecteurs connaissent ce thème ou son auteur, Bobby Hutcherson donc, ni même l'album BN dont il est issu : Components. Dès lors, la rédaction devient inopportunément imprécise...quand on constate les effets d'effacement de mémoire propres à notre époque, il n'est peut-être pas vain d'attribuer les compositions citées à leur véritable<br /> auteur....
P
Tu cherches la petite bête Stéphane. Dans mon texte "son " Little B's Poem signifie sa version de Little B's Poem. Mais si tu y tiens et pour te satisfaire, je peux ajouter entre parenthèses : "un thème de Bobby Hutcherson" histoire de préciser que ce dernier est l'auteur du morceau. Bien à toi. Pierre.
C
Alors, il est improprement attribué au pianiste dans l'article...Rendez-nous Bobby & Freddie ! SCarini.
P
Il s'agit bien de la composition de Bobby Hutcherson.