LUNDI 31 mai
Triple concert au Sunside. Riche de onze références, sans bruit, un label pas comme les autres, fête son deuxième anniversaire. Parmi les enregistrements édités, “Pandore“ de Stéphan Oliva et Jean-Marc Foltz, “New York City Session“ réunissant Bruno Angelini, Joe Fonda et Ramon Lopez,“Lives of Bernard Herrmann“ de Stéphan Oliva et “Lilienmund“ de Sophia Domancich et Raphaël Marc, ces deux derniers disques venant de paraître, ont mes préférences. Vous ne les trouverez pas dans les bacs des disquaires, sans bruit ne proposant la musique de ses artistes qu’en téléchargement (MP3 320 ou FLAC qualité CD).
La fête au Sunside, sans tambours ni trompettes, mais avec trois artistes qui ont récemment confié leurs musiques intimistes au label. On connaît la passion de Stéphan Oliva pour les musiques de film. Auteur en 1997 d’un des plus beaux disques de la série Jazz’n (e)motion dans lequel il nous livre une première version de Vertigo, puis toujours en solo d’un remarquable “Ghosts of Bernard Herrmann“ chez Illusions en 2007, deux disques épuisés, le pianiste met aujourd’hui en circulation “Lives of Bernard Herrmann“, un concert enregistré au Luxembourg le 16 octobre dernier. Stéphan en donne peu et l’entendre jouer les musiques de Bernard Herrmann au Sunside est un bonheur qui ne se refuse pas. Il en a patiemment relevé les moments les plus marquants et les a transposés au piano tout en s’offrant la liberté d’improviser, de changer l’ordre des séquences existantes. Les partitions posées sur le piano servent d’aide-mémoire à une création personnelle de l’interprète. Très vite, les seuls bruits qui règnent dans le club sont les notes du piano. Elles nous parviennent clairement articulées. Stéphan sait les faire sonner, leur donner puissance et dynamique. On imagine sans peine les images qu’elles évoquent, elles sont dans nos mémoires. Vertigo occupe une place de choix dans ce long set pianistique. On passe d’une musique romantique aux harmonies subtiles à un foisonnement de notes dissonantes, venimeuses, angoissantes. Le piano joue la cadence confiée aux cordes dans Psychose. Sur l’écran de nos yeux clos défilent en noir et blanc les paysages de l’Amérique que traverse Janet Leigh dont le destin s’achève dans un motel, sous une douche. Par un savant agencement de dissonances et de notes graves puissamment martelées, le piano nous restitue l’horreur de la scène. Dans Taxi Driver, ce même piano adopte les couleurs amères et sombres du blues pour suivre le yellow cab de Robert De Niro dans ses périples nocturnes. Il ruisselle de tendresse pour évoquer la mer, les rencontres de Gene Tierney et du défunt capitaine Gregg (Rex Harrison) dans The Ghost and Mrs Muir, l’une des plus belles partitions d’Herrmann jouée en rappel. Une pièce absente de l’enregistrement luxembourgeois de Stéphan dans lequel on retrouve les thèmes inoubliables du compositeur transcendé par un piano les portant comme nul autre pareil.
C’est au tour de Sophia Domancich d’occuper la scène. Introduit par les effets électroniques de Raphaël Marc, son piano égrène les premières notes de “Lilienmund“ une suite en six parties inspirée par des lieder de Robert Schumann. Romantique dans le premier mouvement, le piano fait peu à peu entendre un langage plus abstrait, écoute et répond aux sons qu’il rencontre, des samples de l’“Iris Dévoilée“ de Qigang Chen (un élève d’Olivier Messiaen), du “Lulu“ d ‘Alban Berg. L’électronique habille subtilement un discours onirique. Sophia peut marteler son piano, mettre en boucle des ostinato de notes, développer de longs voicings, jouer avec les cordes métalliques de sa table d’harmonie ou percuter avec énergie des clusters au sein de tempos éclatés, sa musique reste étonnamment lisible. Dans le troisième mouvement, le piano répond à un quatuor à cordes qu’elle a composé. Ses notes voluptueuses et tendres se détachent et respirent. Traitées par l’électronique, elles s’amusent de leurs propres résonances, réagissent aux voix qu’elles rencontrent et qui les interpellent. Un beat électro rythme le pénultième mouvement. Le tempo est vif, les notes abondantes coulent en cascade. Le piano évoque un des lieder de l’opus 48 de Schumann et croise la voix samplée de Dietrich Fischer-Dieskau. Un ostinato mélodique achève le cycle. Un battement de cœur l’accompagne. On sort du club le cœur chaud et battant. Il est près de minuit et Pascal Maupeu n’est pas encore monté sur scène. Trop tard pour moi. La fête aurait dû commencer une heure plus tôt. On écoutera ses guitares, ses “Folk Standards“ en les téléchargeant. Le site : www.sansbruit.fr Ajoutez-le à vos favoris.
Photos © Pierre de
Chocqueuse