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13 mai 2013 1 13 /05 /mai /2013 10:21
Au-delà du miroir...

Susanne ABBUEHL : “The Gift” (ECM / Universal)

Difficile de définir la musique intimiste de Susanne Abbuehl. La chanteuse suisse mène sa carrière avec discrétion et donne peu de concerts. “The Gift” est seulement le troisième album qu’elle enregistre pour ECM en douze ans. Publié en 2001, comprenant des compositions de Carla Bley (Closer, Ida Lupino) auxquelles elle ajoute ses propres paroles et des poèmes d’Edward Estlin Cummings qu’elle met en musique, “April” nous révéla la voix pure et aérienne d’une artiste inclassable. Paru cinq ans plus tard et partiellement consacré à des poèmes de James Joyce, “Compass” confirmait la singularité de sa démarche : mettre en musique des poèmes, les chanter pour saisir leur rythme intérieur, traduire leurs plus infimes nuances.

Au-delà du miroir...

Contrairement à “Compass”, la quasi totalité des musiques de “The Gift” sont ses propres créations. Elles servent de support à des poésies d’Emily Dickinson, Emily Brontë, Sara Teasdale et Wallace Stevens, auteurs plus familiers aux lecteurs de langue anglaise qu’aux français. On a lu bien sûr “Les Hauts de Hurlevent” (“Wuthering Heights”) d’Emily Brontë, son unique roman, mais qui connaît la poétesse Sara Teasdale (1884- 1933) ou Wallace Stevens (1879- 1955), l’un des précurseurs de la poésie moderne américaine?

Si ce dernier travailla comme conseiller juridique pour une compagnie d’assurances, les trois autres furent des solitaires. De constitution fragile, Sara Teasdale vécut longtemps chez elle protégée par sa famille et Emily Dickinson ne s’est jamais beaucoup éloignée de la propriété familiale d’Amherst (Massachussetts), une immense maison où elle vécut confinée, répugnant même à sortir de sa chambre. L’aspect confidentiel de leurs poèmes, la vibration des mots qui n’expliquent pas mais invitent chacun à rêver inspirent Susanne Abbuehl qui nous invite à pénétrer de l’autre côté du miroir, à parcourir des paysages sonores épurés au sein desquels le verbe devient images, tend la main à d’autres mondes. Constitués de vers très courts, les poèmes qu’elle reprend ont souvent des rimes imparfaites. Peu conventionnelle, leur ponctuation permet à Susanne de les explorer au mieux. La voix allonge certains mots, étire ou contracte les syllabes pour donner un balancement à la phrase.

Avec elle, trois musiciens dont le fidèle Wolfert Brederode, son pianiste depuis vingt ans. Il choisit judicieusement ses notes, les fait sonner et respirer. Wild Nights se revêt ainsi d’harmonies magnifiques. Dans Fall, Leaves Fall et This And My Heart qui conclut le disque, il joue également d’un harmonium indien, instrument que Susanne rapporta de Bombay. Découvert auprès du trompettiste Tomasz Stanko, le batteur finnois Olavi Louhivuori suggère les tempos, apporte des touches de couleur à une toile percussive aux mailles desserrées. Forbidden Fruit résonne ainsi de bruits sourds inquiétants. A Slash of Blue n’est que bruissements, frémissements féériques. This and My Heart, In My Room et Fall, Leaves Fall sont les seules plages dont il marque le tempo. Seconde voix mélodique, le bugle de Mathieu Michel – trompettiste suisse né à Fribourg en 1963 – commente et souligne la voix, chante les rares notes d’émouvantes improvisations modales. À mi-chemin entre la musique indienne et le jazz, l’approche musicale de l’album reste bien sûr minimaliste. Susanne Abbuehl étudia le chant classique au Conservatoire Royal de la Haye et fut une élève de Jeanne Lee avant de se plonger dans la musique du nord de l’Inde à Amsterdam, puis à Bombay. Sa voix très pure envoûte. Chantant avec son âme, elle l’insuffle dans des poésies qui font corps avec elle. Le pouvoir de la grâce.

Pour fêter la sortie de “The Gift”, Susanne Abbuehl et les musiciens qui ont participé à l’album donneront un concert exceptionnel au Sunside le 16 mai.

Photo de Susanne Abbuehl © Martin U.K. Lengemann         

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commentaires

B
Irrésistible artiste, Susanne séduit aussi sur sa frimousse, c'est ça les Suissesses, c'est sûr !
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