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20 mai 2013 1 20 /05 /mai /2013 09:05
Nuit tropicale

Il peut faire très chaud à Paris lorsque, cuivrée par le soleil, la musique rythme des mélodies, lui donne des effluves tropicales. Fêtant la parution de son nouveau disque par un concert au Châtelet, Chucho Valdés et sa formation knock-outèrent le mauvais temps pour quelques heures, leur maelström de vibrations colorées et joyeuses plongeant le baromètre dans l’affolement d’une ivresse éthylique.

 

LUNDI 6 mai

Dans un théâtre du Châtelet archi plein et à la tête de ses Afro-cuban Messengers, formation dont le nom évoque bien sûr les défunts Jazz Messengers d’Art Blakey – que, curieusement, personne n’a encore songé à remettre sur pied à des fins mercantiles – Chucho Valdés présentait le répertoire de “Border Free”, son nouvel opus. Sur sa pochette sépia, il apparaît en chef indien, coiffé d’une parure de plumes du plus bel effet. Chucho créa naguère Irakere, le plus international des orchestres cubains. Loin de rester cantonné dans un style, il aime ouvrir sa musique à d’autres influences.

Nuit tropicale

Afro-Comanche, un des morceaux du nouvel album, est ainsi dédié aux descendants des Comanches qui, déportés à Cuba au cours du XIXe, y fondèrent des familles. Introduit par un piano nerveux et orchestral, le tempo rapide met en valeur la section rythmique, un batteur solide (Rodney Barreto Illarza) et deux percussionnistes, Yaroldy Abreu Robles aux congas et Dreiser Durruthy Bombalé aux tambour batá, mais aussi à la clave. Bâtonnets cylindriques en bois très dur que l’on frappe l’un contre l’autre, ils produisent une phrase rythmique également baptisée clave, 5 notes divisée en deux mesures et jouée en 3/2 ou en 2/3 qui marquent le temps de la musique cubaine.

Nuit tropicale

Cette clave, Chucho n’hésite pas à en assouplir le rythme. Il recherche une plus grande liberté rythmique, mélange mesures paires et impaires dans des compositions aux couleurs féériques. Pour Afro-Comanche, il souhaitait des flûtistes, de vrais indiens comanches. Ne pouvant en disposer, il préféra l’enregistrer avec sa seule section rythmique. Après l’impressionnant solo d’une contrebasse chantante, celle de Gastón Joya titulaire de l’instrument, Chucho se lance dans une fugue de Bach inattendue. Il n’ignore pas l’influence de la musique classique européenne sur la musique cubaine, cite souvent Debussy et Ravel.

Nuit tropicale

Dans Tabú, un thème écrit par Margarita Lecuona, sœur d’Ernesto Lecuona (1895-1963), pianiste et compositeur de La Comparsa souvent reprise par Valdés, une petite section de cuivres comprenant Reinaldo Melián Alvarez à la trompette et deux invités, Irving Acao (saxophone ténor) et Roy Hargrove (bugle et trompette), occupent la scène. Irving impressionne au ténor. Utilisant une sourdine, Roy subjugue le public par l’élégance de son style, la pureté de ses notes. La pièce se termine sur une improvisation collective très applaudie. La sono laisse pourtant à désirer. Alors que le théâtre du Châtelet est réputé pour sa bonne acoustique, un son trop sourd sort des haut-parleurs.

Nuit tropicale

Autre grand moment, Bebo, pièce au thème limpide et tendre écrit pour son père récemment disparu. Par un long et éblouissant chorus, Chucho en hisse la musique au sommet. Composé à l’occasion du carnaval de Las Palmas, Santa Cruz accueille la chanteuse de flamenco Buika, dont la voix particulière, proche du cri et de la transe, a du mal à passer. Je préfère celles des musiciens de l’orchestre qui se répondent, alternance d’un soliste et d’un chœur au rythme de tambours hypnotiques. Son incursion vers la musique arabo-andalouse avec la présence sur scène d’un chanteur surprise ne fut pas non plus très convaincante.

Nuit tropicale

LE DISQUE :

“Border-Free” (Jazz Village / Harmonia Mundi)

Nuit tropicale

Enregistré à La Havane et à Malaga avec les musiciens présents au Châtelet et un seul invité, Branford Marsalis, il mêle toutes sortes de musiques, l’afro-cubaine se voyant ainsi autrement métissée. Certains genres musicaux sont mieux intégrés que d’autres, mais Chucho invente, expérimente. Il repense les rythmes de la clave, joue un merveilleux piano orchestral aux notes chaudes et ruisselantes. Trompette et saxophone ajoutent de la couleur, se livrent avec les tambours de l’orchestre à de passionnantes improvisations collectives, la rythmique tournant à plein régime, comme un guéridon visité par des esprits. Branford Marsalis étonne au saxophone ténor dans Tabú et Bebo, mais déconcerte dans Abdel, une pièce moins heureuse qu’il arabise au soprano. “Border-Free” est aussi un hommage à ses parents et à ses maîtres qui forgèrent sa musique. Il s’ouvre avec Congadanza, un hommage à María Cervantes, la fille d’Ignacio Cervantes (1847-1905), créateur de nombreuses danzas pour piano. Certaines d’entre-elles doivent beaucoup à Chopin. Caridad Amaro, prénom de la grand-mère de Chucho contient un passage célèbre du concerto de piano de Rachmaninov qu’elle aimait écouter. Pilar porte le nom de sa mère. Elle appréciait Bach, mais aussi Blue In Green. Le morceau y fait référence. Bebo, son père, son premier professeur, lui inspire un thème magnifique. Il mérite à lui seul d'acquérir cet l'album.

Photos concert © Pierre de Chocqueuse

 

DERNIÈRE MINUTE :

Nuit tropicale

Ne manquez pas les concerts que donneront les 31 mai et 3 juin prochains dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, 47 rue des Écoles, 75005 Paris (20h00), le sextette de Stéphane Guillaume dans une relecture de “Cityscape”, concerto pour saxophone ténor et orchestre symphonique écrit par Claus Ogerman pour Michael Brecker qui l’enregistra en 1982. “L'Attente” (“Waiting for an Answer”), une commande pour chœur et piano passée à Carine Bonnefoy avec Hervé Sellin au piano, mais aussi les Chichester Psalms et les Danses Symphoniques de West Side Story de Leonard Bernstein complèteront le programme. Les mêmes jours à 18h, Laurent Cugny, désormais responsable du Chœur et Orchestre Sorbonne Universités, donnera une conférence sur l’improvisation et l’écriture, sujets passionnants pour tous les mélomanes.

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commentaires

B
Cher Pierre,<br /> le Sextet de Stéphane Guillaume pour le concert Cityscape à la Sorbonne est composé de Frédéric Favarel-guitare, Paul Staicu-piano, Sebastian Quezada-percussions, Antoine Banville-batterie et votre serviteur à la contrebasse.<br /> Amicalement
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