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4 juin 2013 2 04 /06 /juin /2013 09:29
Festivals : ce jazz étrange qui prolifère

Rendant visite à Monsieur Michu, je lui trouve le moral en berne. Les flots d’eau qui nous tombent sur la tête depuis quelques semaines n’incitent pas à le faire sortir de son appartement. Il en profite pour consulter les programmes des innombrables festivals de l’été, non sans se faire du mal. Le moindre village fête le jazz, ou du moins imagine le fêter. Prenez Toinette-sur-Loire, 2000 habitants, 20.000 attendus pour le premier Merguezazz Festival que sa Mairie organise. En vedette Cheba Tutassoilah. Portée par des rythmes gnawa et hassani, elle mâtine de jazz son chant sahraoui. Un peu plus au sud, le paisible hameau de Cébranché prépare Mondo Jazz, méga manifestation culturelle ouverte à tous les métissages jazzistiques, comme si le jazz n’était déjà pas assez métissé. Monsieur Michu effondré m’apprend que les vertes prairies bordant la ferme de sa Tante Pétunia, verts pâturages foulés dans sa jeunesse, vont prochainement accueillir des hordes de fans venues massivement applaudir Lia et Paula, électrons libres du jazz indo-sumérien, mais aussi le très médiatisé Dan Pharacoulé auteur d’une étrange musique se situant quelque part entre raï, hip hop, house et électro jazz. Le communiqué de presse précise que « les infra-basses de son melting pot jazzistique font vibrer les tympans et trembler la terre ». Monsieur Michu en groove déjà des dents. Ce n’est pas mieux chez les bretons. Armor Jazz attend 50.000 visiteurs. Les têtes d’affiche en sont Fuck T.L. (Fuck Ta Langue) et Sam the Mad Fluo. Rasta rappeur, le premier décrit sa musique comme « de la matière vibrante, organique et percussive dont les rythmes contagieux invitent à voyager dans son for intérieur ». Follement apprécié par Jean-Jacques Dugenoux, le second distille « un jazz sans règles et sans frontières dans un alambic improvisateur », expérimente l’infinité des perspectives possibles de la harpe électro-celtique, instrument avec lequel il confronte « les confins de l’univers aux limites des fréquences perceptibles ».

 

Abusivement estampillées jazz, ces musiques venues d'ailleurs donnent envie d’écouter du jazz dans les festivals qui en proposent, à Marciac par exemple. Ailleurs, entre Kassav, Chic, The Temptations ou Earth Wind & Fire, se glissent encore quelques jazzmen. De moins en moins. Mulgrew Miller a rejoint lui aussi les étoiles. Le 29 mai, un accident vasculaire cérébral a eu raison de ce géant du piano, un homme simple, modeste, d’une grande gentillesse que Jean-Paul admirait. Il aurait eu 58 ans le 13 août. Avec lui disparaît l’un des derniers tenants d’un piano ancré dans le blues et la tradition, un musicien de jazz, chef d’œuvre en péril dénaturé par trop de métissages. Laurent de Wilde qui le connaissait depuis presque trente ans le plaçait tout près du tronc de l’arbre généalogique du jazz, « là où sa sève coule en abondance, au plus proche de sa source ». Mulgrew Miller a abondamment enregistré. Parmi les disques qu’il publia sous son nom, je conseille “The Countdown”, en quartette en 1988 avec Joe Henderson, Ron Carter et Tony Williams dont il fut le pianiste, et “Solo” enregistré live en octobre 2000 au Festival Jazz en Tête de Clermont-Ferrand, le seul album qu’il réalisa sans soutien rythmique. Philippe Etheldrède lui a consacré dimanche 2 juin une heure de son Jazz à FIP. On peut réécouter l’émission en podcast. Il pleut. Ruisselante d’eau, la terre répand une odeur molle. Les escargots laissent de longs sillages d’humidité sur les sols détrempés. Orphelin de l’un de ses meilleurs pianistes, le jazz pleure des larmes de pluie.

 

QUELQUES CONCERTS QUI INTERPELLENT

-Ernie Watts au Duc des Lombards les 4, 5 et 6 juin. Avec lui, les Melody Players, groupe comprenant Bernard Vidal à la guitare, Peter Giron à la contrebasse et Tony Match à la batterie. On ne présente plus le saxophoniste, un musicien de studio recherché qui fut aussi membre du Liberation Music Orchestra puis du Quartet West, deux formations de Charlie Haden. Au ténor, il possède une sonorité personnelle aisément reconnaissable. On peut l’entendre dans le dernier album de Kurt Elling “1619 Broadway, the Brill Building Project”. Ses chorus de ténor donnent de l'épaisseur à I’m Satisfied et à So Far Away, une des chansons de “Tapestry“, disque que Carole King enregistra en 1971.

-Thomas Enhco au New Morning le 7. Aux membres de son trio habituel, Chris Jennings (contrebasse) et Nicolas Charlier (batterie) s’ajoute Kurt Rosenwinkel dont la guitare à la sonorité et aux harmonies singulières expose des phrases simples et mélodiques dont toutes les notes semblent chanter. “Fireflies” le dernier disque de Thomas révèle un pianiste sensible à la technique assurée qui se consacre sincèrement à sa musique, des compositions souvent mélancoliques qui distillent une lumière de petit matin et donnent le vague à l’âme. Il possède aussi une oreille très sûre que lui a apporté la pratique du violon. John Patitucci et Jack DeJohnette l’accompagnent dans un enregistrement new-yorkais destiné au marché japonais. Assurément l’un des espoirs de demain.

-Le mardi 11, toujours au New Morning, Philip Catherine nous rend visite dans le cadre de la tournée qu’il entreprend à l’occasion de son 70ème anniversaire. Avec lui, les musiciens de “Côté Jardin”, son dernier disque : le pianiste Nicola Andrioli qui en a composé trois des thèmes, le fidèle et indispensable Philippe Aerts à la contrebasse, Antoine Pierre, batteur au drumming aussi perspicace que subtil, et Isabelle, la propre fille de Philip pour poser sa jolie voix sur le titre qui donne son nom à l’album. Il contient une grande version de Je me suis fait tout petit. Les amateurs de George Brassens apprécieront. Fluide et élégante, sa musique témoigne de la grande forme d’un guitariste qui, au regard d’une carrière faite de rencontres et de réussites, a marqué le jazz de ces quarante dernières années.

-Après s’être produit au Duc des Lombards en février 2012 avec Steve Swallow et Billy Drummond, Steve Kuhn retrouve le club parisien le 13 à la tête d’un nouveau trio comprenant Aidan 0’Donnell à la contrebasse et Steve Johns à la batterie. On écoutera le pianiste dans deux albums de 1986 aujourd’hui réédités par Sunnyside : “Life’s Magic” et “The Vanguard Date”. Influencé par Bud Powell et Bill Evans, Kuhn peut aussi bien jouer un piano aux harmonies ancrées dans la tradition du bop que du jazz modal. Son jeu lyrique ressemble alors à celui de McCoy Tyner. Il rend d’ailleurs hommage à John Coltrane dont il fut pendant quelques mois le pianiste dans un disque ECM de 2009, “Mostly Coltrane”.

-Marjolaine Reymond le 16 à 18h00 sur la Péniche Le Marcounet, quai de l’Hôtel de Ville, prélude à la sortie de “To Be an Aphrodite or not to Be”, oratorio en trois parties dont l’orchestration varie du nonette au duo. Son enregistrement a demandé une préparation minutieuse de nombreux re-recordings. Enregistré en 2006, publié il y a cinq ans, “Chronos in USA”, opéra de poche en trois actes sur des textes empruntés à des poètes anglais et américains, révélait cette chanteuse inclassable mêlant jazz et bel canto, sprechgesang et effets électroniques. Avec elle pour ce concert, Julien Pontvianne (saxophone ténor) David Patrois (vibraphone et marimba), Xuan Lindenmeyer (contrebasse) et Yann Joussein (batterie). Sa voix qui escalade trois octaves, Marjolaine l’engage dans une nouvelle aventure, une féérie vocale consacrée à Emily Dickinson (1830-1886) qui, recluse dans sa demeure d’Amherst, jardinait, s’habillait en blanc et publia de son vivant quelques 1800 poèmes.

-Sachal Vasandani au Duc des Lombards les 17, 18 et 19 juin. Il est présent dans “Life Forum”, nouveau disque du pianiste Gerald Clayton chroniqué dans ce blog. Le père de ce dernier, le contrebassiste John Clayton, a produit “Hi-Fly”, le disque le plus récent du chanteur qui bénéficie de la trompette d’Ambrose Akinmusire. Sachal prépare le prochain et en rode sur scène le répertoire. Il possède une voix charmeuse de ténor léger et donne chaque année quelques concerts au Duc, y aborde un répertoire très varié, des compositions personnelles, des standards et des thèmes empruntés à la pop. Il travaille depuis longtemps avec Jeb Patton (piano), David Wong (contrebasse) et Peter Van Nostrand (batterie) qui, sous toute réserve, seront avec lui au Duc.

-Bruno Angelini et Philippe Le Baraillec sur la péniche l’Improviste amarrée pour deux mois 34 quai de la Loire (M° Jaurès) le 22 à 21h30. Les deux pianistes se succèderont en solo sur le même instrument. Ils eurent tous deux comme professeur Samy Abenaïm qui avec Bernard Maury fonda la Bill Evans Piano Academy. Bruno et Philippe en ont charge aujourd’hui. Ils aiment organiser les sons, sont férus d’harmonies, de notes élégantes et tendres dont ils tirent une grande diversité de couleurs. Plus extraverti, Bruno Angelini multiplie projets et enregistrements. Il a rejoint le groupe de Sébastien Texier et joue dans “Toxic Parasites”, son nouveau disque. Philippe Le Baraillec donne peu de concerts et fait peu de disques. Exigeant avec sa musique, poète autant que musicien, il caresse ses notes avec douceur, sensualité et va à l’essentiel. Harmonie, rythme et mélodie habitent ses silences. Ses apparitions sont rares. On ne manquera pas son récital parisien.

-On parle beaucoup de Ken Berman, pianiste new-yorkais remarqué par la critique américaine qui occupera la scène du Sunside le 27. Influencé par Bill Evans et Keith Jarrett, cet ancien étudiant du Berklee College of Music dont le mentor fut Barry Harris, apporte des compositions originales bien structurées. Sa formule de prédilection reste le trio, combinaison instrumentale interactive qui offre de nombreuses possibilités d’échange et de création. Avec Darryl Hall (contrebasse) et Rémi Vignolo (batterie), il jouera des extraits de son troisième album “Sound Poetry” dont la sortie est prévue cet été.

-Billy Childs au Sunside les 28 et 29 à la tête d’un quartette de vedettes comprenant Steve Wilson aux saxophones, Scott Colley à la contrebasse et Kendrick Scott à la batterie. Naguère pianiste de Freddie Hubbard et de J.J. Johnson, Childs est l’auteur de nombreuses pièces orchestrales, certaines destinées à des orchestres symphoniques, d’autres à des orchestres de jazz, tel le Lincoln Center Jazz Orchestra. Il écrit pour le Kronos Quartet et a composé un concerto pour violon et orchestre. Regina Carter en était la soliste. Au Sunside, c’est le jazzman que l’on écoutera dans ses œuvres. “Autumn : in Moving Pictures” son dernier disque réunit le saxophoniste Bob Sheppard, les batteurs Antonio Sanchez et Brian Blade, mais aussi Scott Colley dont la contrebasse est capable de donner des ailes à la musique.

-Duc des Lombards : www.ducdeslombards.com

-New Morning : www.newmorning.com

-Péniche Le Marcounet : www.peniche-marcounet.fr

-Péniche l’Improviste : www.improviste.fr

-Sunset-Sunside : www.sunset-sunside.com

 

CREDITS PHOTOS : Ernie Watts © Philippe Etheldrède – Steve Kuhn, Sachal Vasandani © Pierre de Chocqueuse – Marjolaine Reymond © Bernard Minier – Mulgrew Miller, Philip Catherine, Ken Berman, Billy Childs : Photo X/D.R.

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commentaires

B
La procession des escargots qui pleurent Mulgrew. <br /> De Choqueuse, c'est le Prévert du jazz... !
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