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8 décembre 2009 2 08 /12 /décembre /2009 12:47

Les balais de Fabrice Moreau bruissent sur sa caisse claire ; des voix murmurent une étrange mélopée ; au piano, Edouard Ferlet en joue les accords magnifiques puis laisse chanter la trompette d’Airelle Besson. Le morceau s’intitule La fable du grimoire. Il ouvre un album peu ordinaire, insolite par son instrumentation. On y découvre de la très belle musique jouée avec une grande économie de moyens. Alexandra Grimal complète la formation aux saxophones. Pas de contrebasse dans un espace sonore qui s’en trouve agrandi. Peu d’ostinato dans des pièces impressionnistes presque transparentes. Les notes jouées en suggèrent d’autres non exprimées, invisibles mais présentes. On passe ainsi de l’autre côté du miroir, dans un univers sonore aux mélodies « inspirées implicitement par (Henri) Dutilleux, les modes d’(Olivier) Messiaen, ou les couleurs de Charles Koechlin » pour reprendre les propos de Ferlet. Ce dernier joue ici un piano aux harmonies très pures qui semblent constamment flotter – Bords perdus, Amane. A la batterie, Fabrice Moreau suggère et diffracte délicatement les rythmes, apporte des couleurs et commente les silences. Trompette et saxophone mêlent leurs voix mélodiques, tissent de mystérieux contre-chants, tiennent de longues notes capiteuses et, à tour de rôle, cisèlent leurs improvisations. L’écriture très souple offre de larges espaces à ces dernières. Les instruments s’y promènent. Notes et accords respirent, évoquent des images, des paysages dans lesquels il fait bon badauder.
Edouard Ferlet, Airelle Besson, Alexandra Grimal et Fabrice Moreau se produiront au Sunside les 11 et 12 décembre. Concerts à 21h00.        

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5 décembre 2009 6 05 /12 /décembre /2009 13:19

Les albums précédents de Stéphane Guillaume ne nous ont pas préparé à un tel travail d’écriture. On connaissait le soliste bouillonnant et inspiré, on découvre un arrangeur habile qui parvient à résoudre les différents problèmes que posent les timbres d’un ensemble de cuivres de diverses familles. Deux trompettes ou bugles (Claude Egéa et Pierre Drevet), deux cors (Eric Karcher et François Bonhomme), deux trombones (Phil Abraham et Denis Leloup, ce dernier jouant également de la trompette basse) et un tuba (Bastien Stil) mêlent leurs différentes sonorités et apportent de véritables tapis sonores aux improvisateurs. Ils peuvent aussi bien jouer des phrases riffs (le funky Helicon on the Lookout) des lignes mélodiques sophistiquées (La Légende de l’Uirapuru), que ponctuer ou relancer l’improvisation jusqu’à y participer (L’amphi en fard). Au centre de ce dispositif, les membres du  quartette de Stéphane, ce dernier jouant des saxophones ténor et soprano, de la clarinette basse et de la flûte. Marc Buronfosse à la contrebasse, Antoine Banville à la batterie et Fréderic Favarel à la guitare assurent la rythmique et avec Stéphane se répartissent les chorus, certaines pièces (Noéline, Valse d’or, Nounoucet) leur étant spécifiquement réservées. Mais le plus souvent, le quartette emprunte aux cuivres un ou plusieurs solistes, intègre leurs voix mélodiques selon ses besoins et devient formation à géométrie variable. Diversifiée sur le plan des couleurs et loin de toute pesanteur, la musique déploie avec finesse son inimitable brillance.

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28 novembre 2009 6 28 /11 /novembre /2009 16:17

On ne présente plus Lee Konitz. Agé de 82 ans, l’altiste fut de bien des aventures. Représentant de l’esthétique cool, il s’est mêlé aux courants d’avant-garde sans jamais sacrifier la suavité de ses lignes mélodiques. Plus transparente que jamais, sa sonorité s’entend aujourd’hui comme vibration. Fragile, elle ne semble pas avoir plus de consistance que l’air qui la rend perceptible, mais dans ce souffle que réduit le poids des ans passe une émotion intense. Né à Paris de parents américains, Dan (Daniel) Tepfer se fit remarquer en 2002 en terminant semi finaliste du Concours International de Piano Jazz Martial Solal. Il compléta ses études jazzistiques au New England Conservatory de Boston sous la direction du pianiste Danilo Pérez. Installé à New York en 2005, il remportait un an plus tard le Montreux Jazz Festival Solo Piano Competition, récompense suivie par d’autres prix aussi prestigieux. Daniel Tepfer reste pourtant scandaleusement méconnu. Souffrant d’une diffusion confidentielle, ses albums en trio et en solo restent introuvables chez les disquaires. “Duos with Lee“ paraît heureusement sur le label Sunnyside qui, en France, bénéficie via Naïve d’une vraie distribution. Konitz et Tepfer se sont rencontrés grâce à Martial Solal. Les deux musiciens s’entendent si bien (au propre comme au figuré) qu’ils nous offrent aujourd’hui ce disque, témoignage ludique de leur complicité. Il réunit dix courtes pièces, entièrement improvisées en studio. Baptisées Elande et numérotées de 1 à 10, elles présentent toutes des tonalités différentes. S’y ajoutent un vieux standard des années 20, une composition de Dan placé au centre de l’album et un morceau en piano solo. Lee est quasiment le seul soliste de ces dix improvisations. Dans la première, Dan joue un ostinato, fournit un rythme sur lequel le saxophoniste invente et développe une ligne mélodique vagabonde et poétique. La prise de son fait entendre les petits clics que font les clés de son instrument. On réalise que tout en lui laissant la plus grande liberté, Dan Tepfer guide les pas de son aîné et compense sa justesse approximative, sa sonorité fragile par un jeu de piano particulièrement réactif. Attentif, il embellit la ligne mélodique, sert au mieux le tendre saxophone de Lee. Le blues s’invite dans Elande n°2 et après un début hésitant, le chant aérien du saxophone répond aux notes graves du clavier. Plus lent, Elande n°3 possède un aspect mystérieux et envoûtant. Dan économise ses notes pour l’improvisation suivante, offrir un majestueux contrepoint à l’alto inspiré. Concis, presque des haïkus, les deux morceaux qui suivent sont plus abstraits. Deux discours semblent cohabiter dans le cinquième, comme si les deux hommes jouaient deux partitions différentes dans la même tonalité. Les vagues de notes du piano répondent à celles du saxophone dans le sixième, abordé sur un tempo plus vif. Merka Tikva interrompt cette série. Konitz prend le temps de développer ce morceau, le plus long du disque, par des phrases suaves et mélodiques. Tepfer enrichit délicatement son discours et prend (enfin) un chorus aux notes rêveuses et mélancoliques. Le cycle des improvisations reprend. L’impressionnant bagage « classique » du pianiste se perçoit surtout dans Elande n°8. Konitz s’y montre particulièrement lyrique. Plus longue, la dixième pièce sort des limbes de l’imaginaire pour se structurer autour de la mélodie de The Last Time I Saw Paris. Dan nous offre sans doute la quintessence de son art pianistique dans No Lee, un morceau en solo, une improvisation dans laquelle, porté par le léger balancements des notes, le piano grave et profond délivre un riche vocabulaire harmonique. Trees, un vieux thème, conclut l‘album sur un chant optimiste. D’une grande fraîcheur, il se prête aux accords élégants du piano, au velouté sensuel d’un saxophone émouvant.

Lee Konitz et Dan Tepfer se produiront en duo au Duc des Lombards le dimanche 29 novembre. Concerts à 19h00 et 21h00.

Photos © Jean-Jacques Pussiau, ici spécialement remercié. 

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25 novembre 2009 3 25 /11 /novembre /2009 10:32

Saxophoniste puissant à la personnalité affirmée, auteur de compositions habiles qui se prêtent au jeu de l’improvisation, Jean Toussaint possède un formidable métier acquis au cours d’une carrière aussi riche que passionnante. Il étudia la musique au Berklee College of Music de Boston, mais c’est au sein des Jazz Messengers d’Art Blakey qu’on le remarque en 1982. Mulgrew Miller, Donald Harrison et Terence Blanchard font alors partie du groupe. Une sacrée équipe, car Blakey sait s’entourer des meilleurs. Jean reste quatre ans auprès du batteur. Lorsqu’il le quitte en 1985, c’est un musicien accompli qui sait raconter une histoire avec ses saxophones. En outre, il possède une vraie sonorité, utilise tout le registre de son ténor et sait faire chanter ses notes au soprano. Jean Toussaint a enregistré huit albums sous son nom. C’est peu si l’on prend en considération le talent du musicien. Comme Donald Brown qui fut aussi un des pianistes de Blakey, Toussaint a trouvé le bon samaritain en la personne de Xavier Felgeyrolles, un physicien passionné de jazz, assez fou pour organiser chaque année avec succès depuis 1988 un festival de jazz à Clermont-Ferrand et posséder un label de jazz, Space Time Records, pour défendre les jazzmen qu’il apprécie. C’est grâce à ce noctambule impénitent que j’ai découvert Toussaint dans “Blue Back“un enregistrement studio de 2001. Commercialisé un an plus tard il passa inaperçu. Felgeyrolles récidive aujourd’hui avec un enregistrement live qui restitue fidèlement ce dont est capable son protégé lorsqu’il est en forme. Dès la première plage jouée au soprano, The Bean Counter, le saxophoniste prend les choses en mains. Un thème très simple, quelques notes agencées sous forme de ritournelle sert de support à des échanges avec Andrew McCormack, son pianiste. Vivant en Angleterre lorsqu’il ne tourne pas avec son groupe, il joue ici avec des musiciens anglais, dispose d’une rythmique solide – Larry Bartley à la contrebasse et Troy Miller à la batterie – et parfaitement en phase. Avec eux, Jean n’a pas peur de se lancer dans de longs chorus savamment construits. Il faut l’entendre au ténor dans Random Discourse, brillante improvisation collective dans laquelle le pianiste fait tourner un ostinato et entretient une tension permanente. Dans le funky Heian Yondan – le morceau s’étale sur presque quinze minutes, mais on ne s’y ennuie pas une seconde - , Jean répète et rythme de courtes phrases, improvise tout en gardant toujours en mémoire les structures mélodiques du thème qu’il explore jusqu’au-boutisme, l’expression toujours lisible restant d’un grand lyrisme. A la guitare, Jérôme Barde ponctue et relance avec de petits riffs. Il joue également sur Chubby Rain construit sur une grille de blues. Son instrument y trouve naturellement sa place. Les quelques ballades de l’album sont également épatantes. Si Jean Toussaint évoque parfois Sonny Rollins lorsqu’il joue du ténor, c’est à Wayne Shorter que l’on pense à l’écoute de Hymn, chant mélancolique aux harmonies singulières abordé au soprano, et à John Coltrane lorsque sur le même instrument Jean déverse avec logique un torrent de notes brûlantes dans Mirage, composition dans laquelle Andrew McCormack prend un solo éblouissant. Benet McLean le remplace au piano dans une version particulièrement sobre et émouvante de Round Midnight, dernière plage de ce disque événement. Si ce dernier le joue “à la Monk“, Jean Toussaint en restitue la langueur, nous en transmet magnifiquement le vague à l’âme.
Photo CD © Michel Vasset - Photo Club © Pierre de Chocqueuse 

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13 novembre 2009 5 13 /11 /novembre /2009 11:53

Il y a presque un an, le 18 novembre 2008, Christophe Marguet, Joachim Kühn, Christophe Monniot et Sébastien Boisseau (placé dans cet ordre, la première lettre de leur nom de famille forme l’acronyme MKMB), donnaient un concert mémorable à Nantes, au Grand T, dont j’ai parlé dans les pages de ce blog. Je découvris une musique ouverte, changeante, énergique, d’une grande finesse harmonique, très solide et imaginative sur le plan du rythme. Le quartette s’était produit quatre ans plus tôt en septembre 2004 à l’initiative de Christophe Marguet et n’avait plus guère trouvé le temps de se réunir. Les quatre hommes se retrouvèrent en mai au Studio La Buissonne pour enregistrer ce disque, leur premier, recueil de huit compositions (bénéficiant d’une longue introduction de piano, White Widow occupe deux plages) parfois anciennes, toutes retravaillées, approchées sous l’angle de l’instrumentation que propose leur quartette. Joachim Kühn reste le compositeur le plus prolixe de cette formation sans leader. Méhariste sensible aux musiques africaines et du Maghreb, il nous entraîne dans le désert saharien avec Dahin (écrit pour le trio Kalimba) et Sata, titre inédit débouchant sur une longue improvisation modale scandée par les tambours de Marguet, mélopée développée par l’alto de Christophe Monniot dont les chorus souvent brûlants donnent du piment à la musique. Le saxophoniste confie au groupe son Have You Met Mystic, écrit pour un album que la Campagnie des Musiques à Ouïr réalisa avec le guitariste Gábor Gadó. Musicien raffiné, Kühn y excelle au piano. Il personnalise chaque accord par un toucher ferme et sensuel, joue de longs voicings plein de notes bleues qu’accompagne une section rythmique toujours en éveil. Sébastien Boisseau pose son imposante contrebasse sur la musique, fait entendre une voix mélodique souple et vive. Ecrit pour le Baby Boom de Daniel Humair dont il est le bassiste, Wanbli la met en valeur, mais aussi Ballet, un des deux titres de Christophe Marguet (le second est Song for Bacon), compositions ouvertes inspirées par la peinture et destinées spécialement à cet album. Le batteur commente, suggère, ponctue, dessine des rythmes qui s’ouvrent et se referment pour mieux accueillir une vraie musique de groupe dont on goûte immodérément les audaces.

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10 novembre 2009 2 10 /11 /novembre /2009 09:04

Surprise: les photos de Jean-Marc Lubrano qui illustrent cet album d’Ahmad Jamal sont celles d’un reportage réalisé pour Jazzman en 2008. Le pianiste n’aime pas trop les studios d’enregistrement, ne s’y rend que lorsqu’il a quelque chose à dire, de nouvelles musiques à proposer. Ce disque, le pianiste de Pittsburgh ne l’a pas non plus enregistré en France, mais à New York, dans un studio de Brooklyn. Kenny Washington son nouveau batteur ne change pas sa musique, mais lui apporte une fluidité plus grande. La contrebasse ronde et puissante du fidèle James Cammack reste toujours la colonne vertébrale de l’orchestre et les percussions de Manolo Badrena s’intègrent parfaitement à une musique toujours en mouvement et à la mise en place quasi millimétrée exigée par Jamal. Ce dernier reste une voix à part, un styliste dont les compositions facilement reconnaissables donnent faussement l’impression de se ressembler. Jamal les charpente souvent de la même manière, imbriquant les unes dans les autres les différentes parties qu’elles contiennent. Paris After Dark qui ouvre l’album ressemble d’ailleurs à une suite. Le pianiste y mêle plusieurs séquences rythmiques, fait alterner les moments de tension et de détente afin d’intensifier sa dynamique. Si ses arrangements privilégient souvent le rythme (Paris After Dark, Flight to Russia ou la version très enlevée du classique de Randy Weston Hi Fly que contient l’album), Jamal n’en reste pas moins un grand mélodiste. The Blooming Flower déborde de lyrisme. The Love Is Lost repose sur un thème d’une grande fraîcheur. Longuement introduit par un piano modal, Poetry ruisselle de couleurs. Dans cette pièce, batterie et percussions ne marquent pas le tempo, mais suggèrent, se font voix mélodiques. Toujours et partout, Ahmad Jamal fait chanter les silences qu’il place entre ses notes. Il peut en jouer beaucoup, phraser en accords ou placer des guirlandes de trilles décoratives, il parvient toujours à les faire respirer. La musique classique américaine (il n’aime pas l’appeler jazz) qu’il compose pour son « petit grand ensemble » possède une réelle dimension orchestrale. Neuf des onze morceaux réunis ici sont de sa plume. Riche en rebonds jamaliens, Tranquility fut précédemment enregistré par le pianiste qui nous offrit en 1966 une version également différente de I Hear a Rhapsody, l’autre standard d’un album incontournable de sa discographie.

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30 octobre 2009 5 30 /10 /octobre /2009 10:50

Le temps d’une moitié d’album (on espère une tournée pour prolonger la rencontre), DAG, acronyme de Domancich, Avenel, Goubert, invite Dave Liebman à partager l’aventure de leur trio pas comme les autres. Le saxophoniste possède une forte personnalité. Il titille souvent les aigus de son soprano et son jeu est aussi véhément que lyrique. Loin d’afficher une attitude passive, de constituer un simple écrin à sa flamboyance, nos trois musiciens font entendre leurs différences. Dès la première plage, The Day Before, on est saisi par le son volumineux de la contrebasse de Jean-Jacques Avenel. L’instrument n’a sans doute jamais sonné avec tant de profondeur dans Le Sec du Clocher, magnifique composition de Simon Goubert. Admirablement rythmée par ce dernier, la musique prend le temps de respirer et de se construire. S’il offre de véritables thèmes à Dave LiebmanEsteem construit autour d’une grille de blues - , le trio se réserve les plages les plus abstraites. Estampe (19x26), un duo contrebasse – batterie, révèle la poétique d’une improvisation intuitive, liberté que l’on trouve aussi dans de nombreuses pièces de l’album. Au piano, Sophia Domancich joue des  harmonies flottantes et mystérieuses dans A Pâques, une de ses compositions qu’elle aborde en solo. Sorti d’un magma sonore hésitant et informe, The Right Way To Go s’invente au fur et à mesure et semble avoir été entièrement créé en studio. Pour vous, ces quelques Althea rosea évoque le parfum et les couleurs des morceaux de Paul Bley, musique allusive, dont l’intériorité est une mise en espace de sentiments profonds, exploration sonore frémissante et toute en devenir.

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23 octobre 2009 5 23 /10 /octobre /2009 09:30

Keith Jarrett en solo : le pianiste s’est fait une spécialité de cet exercice sans filet qui consiste à inventer une musique en temps réel. Pour le mener à bien, il possède une vaste culture musicale, et peut compter sur la qualité de son jeu de piano, une technique affinée par des années de concerts. Ceux qu’il donna à Paris, Salle Pleyel, le 26 novembre 2008 et quelques jours plus tard à Londres, au Royal Festival Hall, le 1er décembre, font l’objet de ce coffret de 3 CD sobrement présenté. Le pianiste y crée des mondes sonores contrastés qui témoignent de son éclectisme, et canalise sa pensée dans des improvisations de longueur raisonnable. On est loin des vagabondages hypnotiques des années 70, même si Jarrett n’abandonne pas la pratique des ostinato incantatoires. La pièce la plus brève dure un peu moins de quatre minutes ; la plus longue approche les quatorze. Plus court que celui de Londres, le concert de Paris n’occupe qu’un seul CD. Que ce soit dans l’une ou l’autre de ces capitales, Jarrett commence par des morceaux de forme sonate – on pense à celles d’Alexandre Scriabine et de Serge Prokofiev qu’il a probablement beaucoup écoutées. La musique se déploie, sombre, mélancolique (à Londres), et souvent majestueuse. La première pièce parisienne flirte avec l’abstraction, vagues de notes ondulantes se concluant par le thème apaisé. Le pianiste adopte un tempo nonchalant pour faire chanter et respirer l’avant-dernière pièce de son concert londonien, la onzième. Comme l’écrit avec perspicacité Guillaume de Chassy dans le dernier numéro de Jazz Magazine / Jazzman, « Jarrett donne l’impression fascinante de construire, planche après planche, le pont sur lequel il s’avance au milieu du vide ». Les mélodies apparaissent parfois tardivement comme s’il attendait qu’elles se lèvent, tel le jour après la nuit (Londres, Part.5, une pièce particulièrement acclamée). Il peut aussi les décliner d’emblée et les ornementer par des notes arpégées (Paris, Part.3, Londres, Part.8), ou en faire ressortir la beauté par un jeu sobre et lumineux (Paris, Part.7, Londres, Part.6, des moments splendides ). Jarrett adopte alors la forme chorale, cisèle des pièces très organisées et d’une grande rigueur de pensée. Il contrôle parfaitement la dynamique de son piano et fait entendre l’extrême délicatesse de son toucher. Jarrett peut ainsi faire pleuvoir des cascades de notes perlées ou nous faire voir le bleu du ciel (Londres, Part.4). Certaines improvisations atonales et virtuoses ne convoquent pas la moindre mélodie (Londres, Part.9, simple cadence acrobatique ; Paris Part.4 et Part. 8, cette dernière fascinante de rigueur et de logique). Et puis il y a le blues, souvent présent dans ses voicings, source majeure d’inspiration du pianiste tant à Londres (Part. 7 et 10) qu’à Paris (Part.6, du blues mêlé à des accords de boogie). Le gospel enfin, à Londres, (Part. 3 et 12), le pianiste achevant en état de grâce un concert exceptionnel.

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19 octobre 2009 1 19 /10 /octobre /2009 10:25

Cela faisait un moment que Terence Blanchard n’avait pas sorti un album digne de lui. “Bounce“, son dernier opus intéressant date de 2003. Lionel Loueke est déjà le guitariste d’une formation aujourd’hui renouvelée, une sacrée équipe avec le jeune et prometteur Walter Smith III au saxophone ténor et un pianiste pas manchot du tout, Fabian Almazan. Le trompettiste semble avoir pris conscience de la musique un peu mièvre de ses derniers albums. Son requiem pour Katrina (“A Tale of God’s will“) avec orchestre symphonique souffre d’une écriture par trop académique. Blanchard revient donc à des arrangements plus adaptés à ses moyens, laisse le soin à ses musiciens de fournir une grande partie du matériel thématique, lui-même ne signant que trois morceaux. Byus, une composition de Walter Smith III qui ouvre l’album, fait  entendre une musique plus musclée, hard bop modernisé par la guitare de Loueke. Autre nouveauté, la place importante accordée à la voix. Agencé comme une suite, “Choices“ accueille Bilal que les amateurs de nu-soul connaissent bien. Les jazzmen l’ont découvert dans “Mood“ un album du pianiste Robert Glasper enregistré en 2002. Il pose sa voix sur D’S Choice, Winding Roads et Touched By An Angel et chante dans Journey et When Will You Call, l’album s’ouvrant ainsi aux couleurs de la soul. Le trompettiste aurait par contre pu se garder d’inviter le Dr. Cornel West, activiste écrivain philosophe aux discours pontifiants et moralisateurs. Ses récitations de textes cassent un peu le flux musical lorsqu’elles ne sont pas habillées par la musique. Cela mis à part, ce disque regorge de bonne musique. Terence Blanchard conserve Derrick Hodge son contrebassiste et Kendrick Scott son batteur. Derrière cette section rythmique, trompette, saxophone, piano et guitare entrecroisent avec fluidité de savantes lignes mélodiques. Les instrumentaux très réussis restent ouverts à l’imagination des solistes. Terence Blanchard et Lionel Loueke prennent des chorus particulièrement brillants dans Him or Me. Fabian Almazan montre sa sensibilité dans Hacia Del Aire et Touched By An Angel. Magnifiquement arrangé, Winding Roads met en valeur les qualités d’improvisateur de Walter Smith III. Le morceau est de Derrick Hodge qui signe aussi A New World, probablement la pièce la plus funky d’un CD au minutage et à la musique généreuse que l’on aurait tort d’ignorer.

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12 octobre 2009 1 12 /10 /octobre /2009 09:04

Portée par les rythmes de deux complices qui ont grande habitude de les marquer ensemble, de les rendre souples et musicaux, la musique de cet album, le premier qu’enregistre sous son nom le contrebassiste Diego Imbert, concilie parfaitement écriture et improvisation au sein de compositions dans lesquelles ressort pleinement le jeu ouvert des musiciens. Ecrits avec soin, habilement agencés sur le plan de la forme, les morceaux réservent de grands espaces de liberté aux membres du quartette. Diego improvise, s’autorise deux courtes pièces en solo, mais préfère soutenir, entretenir un dialogue actif avec les autres  instruments, donner et tenir le rythme tout en jouant de belles lignes mélodiques (Les fils). Les cadences de sa contrebasse n’ont pourtant rien de forcé. Autour de l’instrument, véritable pivot d’un quartette qui ne souffre nullement de l’absence d’un piano, rythmes, mélodies et improvisations s’articulent souplement. Diego Imbert peut compter sur Franck Agulhon, batteur puissant qui distribue les temps sur les toms et les cymbales et commente avec beaucoup d’à propos le discours des solistes. David El-Malek au saxophone ténor et Alexandre Tassel au bugle s’entendent on ne peut mieux. Les deux hommes chantent les thèmes à l’unisson, dialoguent, improvisent des histoires brèves, courts motifs musicaux qui leur servent d’échanges (Léo). Les instruments s’unissent, se séparent pour mieux écouter et répondre, fournir de subtils contre-chants (Le garde Fou, Les dents qui poussent). La forme chorale de certaines pièces (Mr. OC) évoque certains arrangements de Gerry Mulligan, mais la diversité des combinaisons rythmiques et l’intelligence harmonique dont fait preuve les souffleurs ancrent la musique dans une perspective contemporaine. L’introduction  flottante et onirique de La tournerie des drogueurs évoque Red, composition de Tony Williams qui figure sur son premier album Blue Note. De nombreux changements de tempo en modifient constamment la respiration. Carthagène qui lui succède est une des plus belles plages du disque. Les vents soufflent les couleurs d’un thème lyrique se développant crescendo. Le bugle lui apporte la douceur de son timbre et le saxophone adopte toujours un langage mesuré, loin des notes brûlantes, des phrases paroxystiques auxquelles il nous a habitué. Agencé comme une suite, “A l’ombre du saule pleureur“ apporte la preuve que tout est possible lorsqu’une vraie complicité existe au sein d’un groupe et qu’une section rythmique fonctionne et inspire les solistes.

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